Le 24 février 2022, les troupes de Vladimir Poutine ont envahi le territoire ukrainien provoquant une véritable onde de choc dans le monde entier. L’Europe est à nouveau en guerre. Les villes de Kyiv, Karkhiv et Marioupol sont bombardées sans relâche par l’aviation russe et des millions d’Ukrainiens ont depuis fui leur pays. Face à cette invasion, des milliers d’étrangers se sont portés volontaires pour combattre l’armée du Kremlin. Wali, ancien soldat canadien de la guerre d’Afghanistan et de la lutte contre Daesh, en fait partie. Avec son fusil à lunette, ce jeune père de famille est sur un nouveau champ de bataille. Déjà annoncé comme mort par la propagande russe, c’est pourtant bien vivant que Wali a répondu favorablement à notre demande d’entretien. Face à sa webcam, le soldat porte l’uniforme de l’armée ukrainienne avec comme arrière plan un tapis oriental accroché sur le mur d’un appartement abandonné. Décor typique de l’époque soviétique – aujourd’hui décor de guerre.

Entretien avec un combattant fin analyste et passionné d’histoire.

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Le fait d’avoir pratiqué le survivalisme vous aide-t-il à être un meilleur soldat ?

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Beaucoup de personnes pensent que le survivalisme est une fantaisie mais de telles notions peuvent être bien utiles. Le sujet m’a intéressé car de nos jours, de réelles catastrophes peuvent arriver subitement. Nous n’avons pas à imaginer des guerres nucléaires ou une apocalypse, les drames arrivent tous les jours et il faut s’adapter.

Être survivaliste, c’est être prêt à toute catastrophe.

Avec l’invasion russe en Ukraine, il y a une réelle pénurie de carburant et des villages ont été abandonnés.  Avec le siège de Marioupol, les civils ont dû s’organiser pour ne pas mourir de faim. J’ai pu constater que lors de mes déplacements de ville en ville et de village en village, la population avait tout abandonné – même de très belles voitures comme des BMW par faute d’essence. Par entêtement ou naïveté, certaines personnes, malgré l’arrivée des combats, n’ont pas voulu quitter leur maison. Malheureusement, elles seront devenues des victimes. Nous avons rencontré des civils blessés mais nous avons dû les abandonner à leur sort car il aurait été trop dangereux de rester avec eux et de s’exposer au feu de l’ennemi.  Il y avait notamment un groupe de réfugiés avec une fille de 15 ans. Elle pouvait être violée mais nous n’avons rien pu faire.

A Irpin, je me souviens être entré dans de beaux appartements. Les casseroles et les chaudrons encore sur le feu. Les gens ont attendu la dernière minute pour fuir. J’ai même vu des passeports qui avaient été oubliés.

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Vous avez été soldat au Royal 22ème Régiment des forces armées canadiennes. Vous devenez ensuite tireur d’élite. Pour quelles raisons vous avez choisi ce type de mission ?

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Je n’ai pas choisi d’être tireur d’élite. C’est une spécialisation dans toutes les armées. Si vous êtes considéré par vos supérieurs comme un bon soldat, on vous fait passer des tests. En vue du déploiement de mon régiment en Afghanistan, on m’a attribué la mission d’être tireur d’élite. Avec d’autres soldats, j’ai été envoyé aux Etats-Unis pour davantage d’entraînements. Il fallait nous entraîner dans un environnement sans neige. J’ai ensuite intégré un détachement de 4 hommes au sein d’une unité canadienne et nous avons combattu ensemble en Afghanistan. Dès mon premier déploiement (6 mois et de demi au combat), nous sommes devenus de véritables frères d’armes parcourant les montagnes et le désert. Nous avons insufflé beaucoup de pertes à l’ennemi taliban. J’en parle dans mon livre « Mission : Tireur d’élite – L’Histoire non censurée de 4 snipers en Afghanistan ».

Mon deuxième séjour en Afghanistan a duré 9 mois.  

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D’où vient votre nom de guerre Wali ?

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Cela vient du fait que les Afghans n’arrivaient pas à bien prononcer mon prénom, Olivier. Le problème venait du V. Je leur disais donc de m’appeler Oli. Puis ils ont fini par m’appeler Wali – nom qui veut dire « Protecteur d’un territoire » en arabe. C’est un terme prestigieux.

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Après 12 ans de service, vous quittez l’armée canadienne et vous rejoignez en 2015 les Peshmergas du Kurdistan qui combattent l’Etat islamique. Qu’avez-vous appris durant ces trois mois et demi avec ces combattants ?

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Chaque guerre est différente. Il y a tant de choses à raconter. Contrairement à l’Afghanistan où nous devions faire face à une insurrection, le combat contre l’Etat islamique était une véritable guerre conventionnelle avec une ligne de front bien définie. La Coalition a tout fait pour que les Islamistes ne disposent pas d’aviation. De plus, ils disposaient d’une faible capacité en armement lourd car nos avions leur empêchaient d’utiliser cet équipement. Par contre, ils avaient un nombre impressionnant de mortiers (plus faciles à dissimuler), ainsi qu’une quantité quasi industrielle de IED (engins explosifs improvisés).

Lors des offensives, des colonnes de blindés venaient s’affronter comme durant la Seconde Guerre mondiale . J’ai beaucoup appris en observant et en participant durant ces manœuvres de combats.

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Vous filmez et photographiez les champs de bataille. Est-ce une nécessité de témoigner ?

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Oui je peux dire que j’ai un fusil dans une main et une caméra dans l’autre. Cependant, contrairement au Kurdistan où j’ai pu réaliser un documentaire, je filme moins et je prends beaucoup moins de photos en Ukraine. Les Ukrainiens n’aiment pas cela. J’aurais même pu être envoyé en prison. De plus, j’ai cassé mon appareil photo.

Prendre une photo d’un soldat ukrainien avant une patrouille peut être un mauvais présage pour lui. Par conséquent, les soldats ukrainiens font des photos de groupe à la fin de chaque patrouille.

Il est finalement difficile de filmer la guerre. Les choses arrivent très vite. Pendant la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de reportages qui montrent des combats ont en fait été filmés après les événements. Il s’agissait de reconstitutions avec des soldats pour la propagande.

Il y a quelques jours, il y a eu deux morts à mes côtés . Ils étaient allongés comme s’ils avaient été placés pour le tournage d’un film. Je me souviens si bien de ce moment que je pourrais aisément reconstituer la scène.

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Le 3 mars 2022, vous arrivez en Ukraine afin de combattre l’invasion russe. Il s’agit d’un conflit où deux armées régulières s’affrontent. Est-ce une guerre à part ?

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La majorité des gens ont eu une image fausse de la guerre. Un grand nombre de volontaires étrangers sont revenus dans leur pays d’origine car ils n’imaginaient ce qu’était la réalité d’un tel conflit. Vous ne voyez jamais clairement l’ennemi. Il se réfugie dans un blindé ou vous tire dessus depuis une fenêtre. Seules les projectiles (en particulier les balles traçantes) sont visibles.

Beaucoup de pertes sont le fait de tirs d’artillerie ou de bombardements. Dans une guerre moderne, la majorité des morts voit le combat mais pas le combat d’homme à homme . Il n’y a que rarement de véritables combats entre fantassins.

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Que pensez-vous de l’ennemi russe ?

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Je constate que beaucoup de Russes soutiennent les décisions de Vladimir Poutine. Avant mon arrivée en Ukraine, j’avais une opinion plus favorable concernant le peuple russe. Je voyais un conflit qui s’apparentait à la guerre de 1870 ou à la Première Guerre mondiale – un conflit sans véritable haine de l’adversaire. Aujourd’hui, je peux dire que la guerre d’Ukraine est assez proche du front de l’Est entre les Nazis et l’armée rouge. Il y a une véritable haine de l’ennemi. Des prisonniers ont été maltraités voire exécutés. Les civils sont également victimes d’atrocités. Chaque belligérant traite l’autre de nazi mais beaucoup d’actions rappellent celles qui ont été commises pendant la Seconde Guerre mondiale.

D’un point de vue militaire, les Russes manquent clairement de moyens techniques. Je ne m’attendais pas à un tel constat avant mon arrivée en Ukraine. Je peux le dire : L’OTAN est nettement supérieure à l’armée russe. Dès le début de l’invasion, l’ennemi a misé sur les blindés afin de terroriser les Ukrainiens. Cependant, ces derniers s’étaient bien préparés à une telle opération. Par conséquent, les Russes ont loupé leurs premières opérations. De plus, l’Ukraine, contrairement à un Etat comme la Lituanie, n’est pas un petit pays – elle a pu tenir face à une armée moderne.

Je m’aperçois que les Russes constatent des mouvements de troupes ukrainiennes mais ne les pilonnent pas. Ils ont certes de l’artillerie mais elle est placée surtout en arrière des lignes. Par manque de surveillance aérienne, les Russes tirent finalement peu. Beaucoup moins que je ne l’aurais pensé en tout cas.

Ils n’arrivent pas non plus à planifier de vraies opérations comme le simple fait de récupérer les corps de leurs soldats.

Même si leur artillerie russe reste importante et même si l’armée russe comporte toujours de nombreux chars d’assaut, ils misent davantage sur la quantité plutôt que sur la qualité. Quant à l’aviation russe, elle est faible par rapport à l’US Air Force et participe donc peu au conflit.

Cependant, l’armée ukrainienne n’a pour le moment pas les moyens de repousser les Russes et de reprendre les territoires perdus, sinon au prix d’un long conflit et de lourdes pertes.

Je pense que la guerre va s’éterniser au même titre que la Première Guerre mondiale. Une vraie ligne de front va peu à peu s’éterniser. Pour comprendre ce conflit, il est nécessaire de réouvrir les livres d’histoire. Il faut réaliser un véritable réseau de tranchées et de fil de fer de barbelés afin de tenir la ligne.

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Votre tête aurait été mise à prix. Des médias ont même annoncé votre mort dès les premières heures de votre arrivée. Vous auriez été abattu par un Tchétchène ou une femme. Sentez-vous une certaine pression ? Une attente autour de vous ?

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Oui j’ai été le dernier à apprendre ma propre mort (rires). J’ai vu des informations circulées sur Internet. Une telle intox est si absurde car très facile à démentir. J’ai rapidement prouvé que j’étais toujours en vie. Tout ce buzz a finalement ridiculisé les pro-Kremlin.

D’autres pensent que je fais partie d’un complot mondial et que je ne suis même pas présent en Ukraine. J’ai lu d’autres théories totalement farfelues : l’armée russe s’est repliée sur le Donbass parce que la bataille de Kiev n’était qu’une simple diversion. La propagande du Kremlin a également justifié la perte de leur navire amiral Moskva [le 14 avril 2022] suite à un incendie et non par deux missiles ukrainiens. Alors pourquoi ont-ils bombardé Kiev sous prétexte de se venger de leur perte maritime ?

J’aime voir l’ennemi dans le déni et la contradiction – cela prouve qu’il est en difficultés. Le Russe est têtu. Tel un taureau courant après la cape du torero, il s’obstine à faire les mêmes actions mais l’animal va finir par se fatiguer.

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Comprenez-vous qu’un tireur d’élite puisse provoquer la terreur ?

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Le tireur d’élite provoque en effet de grandes peurs et une terreur certaine. Il choisit sa victime

Il est pourtant impossible qu’un tireur d’élite puisse provoquer un grand nombre de pertes pendant des heures. Lorsqu’il tire, l’ennemi va subitement se cacher afin de survivre. La seule exception c’est lorsque l’ennemi attaque en grand nombre. Les plus grandes pertes provoquées par un tireur d’élite arrivent durant les premiers jours de la guerre. Ensuite, l’ennemi apprend à devenir plus vigilant. La guerre d’Ukraine n’est pas une exception.

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« Être tireur d’élite ressemble au travail de psychologue ». Etes-vous un grand psychologue ?

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J’ai de l’empathie. Je ressens les émotions autour de moi. Selon sa façon de se comporter ou de se déplacer, je pouvais reconnaître un Taliban. En Ukraine, il est difficile de distinguer l’ennemi car un grand nombre de réfugiés sont restés dans la zone des combats. Je fais de mon mieux pour protéger les civils. Être un soldat expérimenté, ce n’est pas seulement savoir quand tirer mais aussi quand ne pas tirer. J’ai connu beaucoup d’occasions où j’aurais tiré ou lancé une grenade mais je ne l’ai pas fait – heureusement car j’aurais pu tuer un innocent. Alors que je défendais une place avec un autre soldat, on m’a dit que si j’entendais le moindre bruit dans une direction, il fallait que je lance une grenade. Il faisait nuit et le silence s’est interrompu : j’ai entendu quelqu’un courir comme un dératé. J’ai pourtant décidé de ne pas lancer de grenades. Heureusement car il s’agissait un de nos gars qui revenait vers nos positions. J’ai suivi mes intuitions et mon expérience au combat.

Envahir un pays est simple : il faut tuer les soldats qui occupent son territoire. La mission du défenseur consiste à simplement survivre et continuer de protéger la majorité de son pays.

Cependant, dans une guerre moderne, 75% du travail est de se protéger. L’humain est au milieu d’un chaos où une multitude de machines s’affrontent. L’ennemi n’a pas besoin de vous voir pour lancer sa puissance de feu. Cela va exploser de partout. Il faut bien choisir son lieu de protection. Il m’est arrivé de continuer à dormir malgré les bombardements proches car je savais que le lieu que j’avais choisi pour me réfugier était suffisamment solide pour ne pas exploser.   

J’ai combattu avec des soldats ukrainiens non expérimentés. Ils n’ont pas le réflexe de trouver le bon lieu pour se protéger. Certains sont morts ainsi.

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The Torch and Sword – La Torche et l’Epée. Que signifie votre devise ?

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La torche symbolise la lumière et la quête de la vérité. Depuis des années, je cherche à découvrir la vérité et à informer. C’est pour moi une obsession. Je ne serais pas venu en Ukraine si éthiquement quelque chose m’avait posé problème. Cependant, je sais que l’Ukraine n’est pas le pays parfait et que la Russie n’est pas non plus l’incarnation des ténèbres. La vérité est bien plus complexe que cela. Je veux aider les Ukrainiens à ne plus commettre d’erreurs. Pour moi, les Russes sont gris foncé et les Ukrainiens gris pâle.

En plus de la torche, je tiens également dans la main une épée. Cette dernière symbolise le courage, la volonté de faire des actions concrètes en tant que soldat. 

J’ai moi-même conçu le dessin et j’explique davantage la devise sur mon blog.

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Votre foi s’est-elle renforcée en participant à différentes guerres ?

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Absolument. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas victime de syndromes post-traumatiques. J’ai pourtant connu dans chaque guerre des moments très difficiles et violents. Je suis persuadé que je fais les bonnes actions. Je suis la même personne qu’avant ma participation aux combats de l’Afghanistan. Par contre, je suis reconnaissant d’être encore en vie et en un seul morceau. Il y a quelques jours, une explosion m’a rendu sourd d’une oreille. J’ai eu des maux de tête douloureux mais heureusement mon ouïe est revenue une journée et demie plus tard.

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Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter aujourd’hui ?

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Je souhaite tout simplement revoir ma famille. Je vois mon fils grandir sur les photos. J’ai hâte de le revoir. Je me rends dans une région en guerre comme un chirurgien va dans une salle d’opérations. J’ai le sentiment qu’on a besoin de moi en tant que soldat.

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