L’Affaire Seznec – voilà une histoire que tout Breton a tôt ou tard entendu parler. Que s’est-il vraiment passé ce 25 mai 1925 où Pierre Quéméneur, conseiller général du Finistère, disparaît mystérieusement. Près cent ans après, l’affaire continue de faire parler. Guillaume Seznec était-il coupable d’un crime de sang ? Est-ce une affaire entre Paris et la Bretagne ?

L’historien Michel Pierre a décidé de mener l’enquête et a publié le livre « L’Impossible innocence – Histoire de l’Affaire Seznec ». Pour lui, Guillaume Seznec est bel et bien coupable du meurtre de Pierre Quéméneur.

Entretien afin de mieux comprendre cette longue affaire.

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Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’Affaire Seznec ?

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Tout breton de ma génération a entendu parler de l’Affaire dans son enfance, vue comme un exemple d’erreur judiciaire. Lorsque j’ai commencé à écrire sur le bagne et les forçats, je l’ai peu abordé car l’histoire me semblait très compliquée. Puis l’intérêt m’est venu de l’approfondir peu à peu. Au fil d’ouvrages, d’archives et de témoignages, l’histoire de l’innocent envoyé au bagne m’es apparu comme une pieuse légende ayant peu à voir avec la réalité des faits.

Pour un historien, l’Affaire Seznec est en effet un cas d’école incroyable. C’est essentiellement le produit d’une folie médiatique façonnant ce qui est proposé comme une vérité, n’ayant rien à voir, en fait, avec la réalité des faits. Tout a été fabriqué au fil du temps par des mensonges successifs. Il a été notamment dit que l’instruction avait été à charge. C’est faux. Dès qu’il a le moindre doute, le juge Campion, en charge du dossier, fait vérifier multiplie les commissions rogatoires, instruit vraiment à charge et à décharge. Sa hiérarchie  le trouve même excessivement scrupuleux et le note de « caractère hésitant ».

Le procès d’assises est également un modèle. Aucun chroniqueur de l’époque ne relève le moindre dysfonctionnement dans la tenue des débats, les auditions, les plaidoiries. Les preuves de la culpabilité de Seznec sont accablantes. Ce n’est que quelques années plus tard,  à partir de deux personnes, un ancien juge d’instruction n’ayant pas toute sa tête et une institutrice de bonne volonté que l’on commence à parler d’une « affaire » à partir d’un presque banal fait-divers où le condamné Guillaume Seznec a fait disparaître l’un de ses amis et comparse d’affaires, Pierre Quéméneur pour s’emparer d’un bien foncier qu’il convoitait.

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Fils tous les deux de cultivateurs, Guillaume Seznec et Pierre Quéméneur ont tout de même un parcours différent : Le premier est ouvrier en scierie alors que le second est notable. Pour quelles raisons les deux hommes deviennent-ils proches ?

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Pas vraiment, en 1923 Guillaume Seznec est propriétaire d’une scierie à Morlaix. Certes, il n’a pas le statut d’important négociant en bois et de conseiller général de Pierre Quéméneur mais il n’est ni ouvrier ni manœuvre. Ils se sont essentiellement connus après la première guerre mondiale et dans le contexte des multiples opportunités offertes à la liquidation des stocks de toutes sortes laissés par l’armée américaine après la victoire.

C’est vrai que l’on peut s’étonner du lien entre les deux hommes, Quéméneur semble avoir une  bonne réputation, actée par son élection comme conseiller général. On ne peut dire autant de Seznec que l’on dit violent, procédurier, plus ou moins honnête en affaires. Aux archives départementales de Quimper, figure ainsi un courrier de son propre beau-père, M. Marc qui le décrit comme un individu brutal, portant des coups à sa belle-mère et, par ailleurs, passant des  « demi-journées entières à imiter des signatures ». Un rapport du commissaire de police de Morlaix le décrit comme « agissant sans loyauté et sans scrupule dans ses transactions, ne reculant pas devant l’emploi de moyens frauduleux et malhonnêtes ». Peut-être que Quéméneur ignorait ces aspects de Seznec ou qu’il ne soupçonnait pas pouvoir en être un jour victime.

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En 1923, Quéméneur et Seznec partent pour Paris afin de traiter d’une commande de 100 Cadillacs. Le voyage est éprouvant notamment à cause du mauvais état de l’automobile. Dès le départ, le voyage est-il obscur ?

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Dès le début de l’enquête, les autorités s’interrogent sur ce commerce d’automobiles destinées à l’Union soviétique rapporté par Seznec et qui expliquerait le voyage des deux hommes à Paris. D’autant que ce trafic n’a jamais eu le début des commencement de la moindre réalité. En 1923, l’URSS peut acquérir légalement des véhicules neufs et ne se serait-pas encombrer d’un projet foireux d’acquisition de véhicules d’occasion, vieux d’au moins cinq ans, et sans utilité. Les Soviétiques avaient besoin de tracteurs, pas d’anciennes voitures destinées à l’origine à des officiers américains sur le front. De plus, comment imaginer qu’ils auraient, pour cela, fait appel à nos deux bretons ?  c’est un scénario de « Pieds-Nickelés ».

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Pierre Quéméneur disparaît lors du voyage. Il ne sera jamais retrouvé. Que pense dès les premières semaines la famille du disparu ?

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Les proches de Quéméneur soupçonnent assez vite l’implication de Seznec dans la disparition du notable. Maître Jean Pouliquen, notaire,  l’époux de la sœur de Quéméneur, n’aimait pas Seznec. Il le considérait comme une crapule. De plus, Seznec se montre imprécis sur le dernier moment qu’il a eu avec Quéméneur. Pouliquen et un de ses amis vont mener l’enquête et vont soupçonner Seznec d’avoir tué le disparu.

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Une promesse de vente du domaine de Traou nez est retrouvée dans la valise de Quéméneur au Havre. Guillaume Seznec deviendrait ainsi le propriétaire pour une somme dérisoire. Il est prouvé que la promesse de vente a été tapée avec une machine à écrire achetée par Seznec au Havre d’où il avait envoyé un télégramme signé faussement de Quéméneur et laissant entendre que ce dernier rentrerait dans quelques jours. Ce document est-il la preuve la plus manifeste que le crime est crapuleux ?

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Le premier document qui se révèle faux est le télégramme de Quéméneur depuis Le Havre. Il est écrit qu’il se porte bien et que sa famille ne doit pas s’inquiéter. Seznec veut laisser entendre que Quéméneur est parti en Amérique par bateau. Une valise est retrouvée à la gare du Havre. Elle quelque peu humide d’eau de mer avec des traces de sable. Un exemplaire de la promesse de vente est retrouvé dans cette valise. Seznec est alors convoqué par la police à Paris. Il montre alors un autre exemplaire de la promesse de vente. Les deux documents auraient été signés à Landerneau. La frappe est maladroite et la promesse de vente ne correspond pas du tout à un papier administratif. La machine à écrire qui a produit les exemplaires, achetée au Havre est retrouvée cachée dans la scierie de Seznec.

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Sur le banc des accusés, Seznec ne se montre pas coopératif avec la justice. En prison, par l’entremise de messages passés à sa femme,  il tente de susciter de faux témoignages. Seznec est condamné aux travaux forcés. Est-ce un procès ordinaire ?

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Oui. L’instruction fait appel à 148 témoins dont 43 policiers. Les 12 jurés condamnent Seznec à l’unanimité pour faux en écriture privée, à la culpabilité pour homicide volontaire par 10 voix sur douze mais la préméditation est écartée par égalité des votes du jury, ce qui, dans ce cas, profite à l’accusé. De ce fait, il n’est pas reconnu comme assassin, ce qui menait à la peine de mort. Il es ta lors condamné aux travaux forcés à perpétuité, une peine qui se purge alors en Guyane.

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Quelles sont les conditions de détention de Guillaume Seznec (matricule 49.302) au bagne de Guyane ?

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Seznec n’est pas tout de suite envoyé au bagne car il n’y a qu’un ou deux convois par an pour la Guyane. Les navires doivent transporter environ 600 détenus. Une telle organisation demande du temps mais finalement Seznec quitte la métropole en 1927.

Etant devenu une vedette de cour d’assises, Seznec est interné à l’Ile Royale où les travaux sont moins pénibles que dans d’autres secteurs. L’endroit, moins infesté de moustiques que dans d’autres, est considéré comme supportable. C’est le lieu ou l’administration pénitentiaire car ses vedettes de cors d’assises afin d’éviter qu’elles ne s’évadent, ce qui est pratiquement impossible depuis cette île. Il y bénéficier d’une certaine mansuétude de l’administration mais y gagne une réputation de « mouchard » auprès des autres condamnés. L’un d’entre eux, un survivant du bagne que j’avais rencontré en 1979, me l’avait décrit ainsi et m’avait affirmé que Seznec lui avait raconté comment il avait tué Quéméneur. Seznec va tenter de s’évader en construisant un radeau mais sera pris. Il va demander une concession de terre  mais les autorités se méfient et lui refusent cette possibilité.
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Alors que Seznec est interné, un mouvement de défense  prend forme en Bretagne avec Marie-Françoise Bosser, secrétaire de la Ligue des Droits de l’Homme du Finistère et institutrice à Riec-sur- Bélon.

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Pendant des années, il n’y a aucun doute : Seznec est coupable du meurtre de Quéméneur. Puis, au début des années 1930, un étrange mouvement naît en Bretagne qui, à partir d’hypothèses farfelues comme je les relate dans mon livre, laisse croire à une possible erreur judiciaire. On en vient à penser que la justice à Paris ne veut pas reconnaître un cas d’erreur judiciaire, comme un mauvais parti fait à la Bretagne alors que le juge d’instruction était breton ainsi que les jurés de Quimper et les enquêteurs de Rennes et de Morlaix…

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Peut-on comprendre que certains encore de nos jours se posent des questions concernant l’affaire Seznec ?

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Tout au long de mes recherches, je n’ai pas trouvé le moindre élément allant dans le sens d’une erreur judiciaire ou d’une machination contre Seznec. Toute la littérature produite en ce sens et par scansions successives, est un admirable cas de folie médiatique multipliant mensonges et approximations pour le simple effet de faire croire qu’on a envoyé un innocent au bagne. Ce qui est fait toujours vendre du papier. Il suffit de relire le clap de fin donné en décembre 2006 par la Cour de cassation ayant eu à se prononcer pour une ultime demande de révision pour s’en convaincre. Mais il est certain que c’est d’une lecture plus ardue que toute les calembredaines publiées à foison.

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En 2010, Robert Hossein met en scène « L’Affaire Seznec : Un procès impitoyable » où le public devait à la fin de la représentation décider de l’innocence ou de la culpabilité de Seznec. Au fil du temps, l’affaire échappe-t-elle à la justice ?

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Elle échappe non seulement à la justice mais également à la réflexion et à l’intelligence, cette pièce n’était qu’un élément de plus dans le grand bêtisier suscitée par un fait-divers crapuleux devenu l’équivalent d’une affaire Dreyfus à la bretonne.

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