En écoutant Mylène Demongeot raconter sa carrière, il ne fait aucun doute que cette actrice depuis 1953 est une passionnée de cinéma. « Les Sorcières de Salem » (1957), « Bonjour Tristesse » (1958), « Fantomas » (1964), « Maison de Retraite » (2022),… il y a toujours de belles anecdotes et de véritables réflexions. Actrice mais aussi modèle de photographe, productrice, écrivaine,… Mylène Demongeot a eu plusieurs vies (passionnantes).  

Entretien.

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La petite fille que vous étiez pendant l’Occupation pouvait-elle imaginer un jour jouer dans un film sur une maison de retraite ?

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De l’âge d’un an à 4 ans, je vivais chez ma grand-mère à Nice. En 1939, inquiet par l’imminence de la guerre, mon père est venu me chercher et j’ai alors à vécu à Paris. Ma mère n’aimant pas faire les courses, dès 6 ans, je faisais la queue pendant des heures nos maigres tickets d’alimentation serrés contre moi, je faisais le marché et j’achetais du pain de maïs qui au bout d’une heure devenait dur comme de la pierre.

Je n’aurais jamais imaginé devenir actrice. Je voulais être pianiste. En 1944, à la Libération, mon père est devenu le bras droit du préfet Weiss et du commissaire de la République Jacques Bounin. Nous sommes allés vivre à Montpellier. Un immense appartement avait été réquisitionné pour nous. Dans ce nouveau lieu de vie, il y avait un grand piano à queue. Pendant la guerre, avec ma nounou, qui écoutait la radio toute la journée, j’avais pris l’habitude d’écouter les chansons à la radio.

Dans un couvent, j’avais pris l’habitude de jouer du piano dans une cellule. J’étais seule et tranquille. Nous sommes rentrés en 1951 à Paris. J’ai continué mes études de piano en suivant les cours de Marguerite Long puis de Yves Nat. Ayant été opérée des yeux, je ne louchais plus. Je me suis mis à me tenir droite et à regarder les autres. Un jour, quelqu’un m’a arrêté dans la rue et m’a demandé si je pouvais accepter de faire des photos. Ma mère ne me donnait jamais de sous. Pendant toute la guerre, je n’ai jamais reçu de cadeaux de Noël. Faire des photos pouvait donc me permettre d’avoir un peu d’argent de poche. Je suis allée dans un studio rue de la Pompe pour une publicité Lesieur. 

Avec un seul doigt sur le piano, j’arrivais à les jouer toutes. Mon père m’a alors proposé de me faire prendre des leçons. Pendant dix ans, j’ai adoré jouer du piano. Aujourd’hui mes doigts ne sont plus ce qu’ils ont été mais j’ai gardé la passion de la musique.  J’étais un enfant très solitaire et je détestais le sport. Je louchais. Mes camarades de classe se moquaient de moi. Une petite fille a, par pure méchanceté, renversé un bol de café au lait bouillant sur mon crâne. J’ai d’ailleurs encore la cicatrice.

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Vous choisissez de prendre le nom Mylène au lieu de Marie-Hélène. Était-ce une façon de se démarquer ?

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Je détestais mon prénom. J’ai donc cherché à avoir un nouveau. Il y avait le prénom Mylena en Russie. J’ai trouvé que c’était original. Je suis donc devenue Mylène. Lorsque j’ai commencé une carrière au cinéma, on a voulu me faire changer de nom de famille.

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Pour un critique américain, vous aviez un nom de famille imprononçable.

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Oui. A New York, on conseillait de prononcer mon nom comme celui du mondialement célèbre joueur de Base ball Joe Di Maggio. ( di…mon… ji…ot ).

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En 1957, vous tournez dans « Les Sorcières de Salem » avec Yves Montand et Simone Signoret. Le scénario et les dialogues sont écrits par le philosophe Jean-Paul Sartre. Le film est en partie tourné en République d’Allemagne de l’Est. Avez-vous senti que vous jouiez dans un long métrage militant ?

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Pas du tout. J’étais si jeune. J’aimais tellement la passion de mon personnage, Abigail Williams, pour ce John Proctor (Yves Montand). Le village pouvait être entièrement brûlée, Abigail n’aurait eu que faire. J’ai choisi de jouer ce personnage comme dévorée par la passion.

Nous avons tourné dans les studios de Babelsberg. A l’époque, le mur n’avait pas encore été construit. Par conséquent, avec mes copines, nous allions à Berlin-Ouest le samedi soir pour aller en boîte. Nous devions juste montrer notre passeport à un agent installé à une guérite. Le matin, nous rentrions en Allemagne de l’Est. La politique ne m’intéressait pas du tout. Yves Montand et Simone Signoret étaient bien entendu à gauche et avaient été un soir invités à l’ambassade soviétique. Ils sont revenus avec une énorme boîte de caviar. Sur le plateau, nous étions ravis à l’idée de manger un tel met. Simone était devant des assiettes et une balance. Nous faisions la file d’attente. Selon la personne, elle demandait une certaine somme d’argent. Les Soviétiques lui avaient fait cadeau d’une boîte de caviar et elle la vendait à l’équipe de tournage. Nous avons payé. Mon ami Claude Renoir, mon mari de l’époque, Henry Coste, et moi-même ne pouvions croire une telle mise en scène.

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A 21 ans, vous devenez une véritable vedette. Avec votre mari Henry Coste, vous apprenez à aimer à être photographiée ?

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Je n’ai jamais aimé être photographiée. J’ai appris à être modèle. C’est tout un travail qui pourtant n’est plus vraiment fait de nos jours. Lorsque je suis invitée à la télévision, je râle car les photographes vous prennent en photo en contre-plongée. Vous vous retrouvez avec un visage énorme sur les photos.

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Avez-vous souffert de cette image de blonde sensuelle ?

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Non. Ce fut un cadeau du ciel. C’était une énorme revanche sur mon enfance. Je n’ai pas eu de parents aimants. Mon père était gentil mais ma mère m’avait tellement dit que c’était un pauvre type que j’ai fini par le croire. 

Quand je repense aux années 60, je me rappelle qu’il y avait des femmes magnifiques comme Brigitte Bardot, Odile Rodin, Dany Saval ou Ursula Andress. Quant à moi, je me trouvais moche. Suite au film « Bonjour Tristesse », mon agent m’avait conseillé de partir à Hollywood. Je n’en voyais pas l’intérêt. Pour réussir aux Etats-Unis, il faut des jolies jambes et des seins volumineux. Je n’avais rien de tout cela. J’ai toujours été lucide sur moi-même.

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En 1957, vous tournez dans « Bonjour Tristesse ». Est-ce que le métier d’actrice s’est enrichi avec la rencontre d’artistes tels que Jean Seberg, David Niven et Otto Preminger ?

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Je n’imaginais pas jouer dans un tel film. Je ne parlais pas bien anglais et je n’aimais pas du tout le livre de Françoise Sagan. Puis, j’ai finalement accepté et ce fut un tournage incroyable. Jean Seberg devait apprendre le français et quant à moi, je devais apprendre l’anglais. Elle a donc passé un mois avec moi dans un appartement à Nice. Nous nous sommes très bien entendus. J’ai même gardé contact avec Jean pendant longtemps. Je l’ai vue 8 jours avant son suicide. Je ne m’en remets toujours pas.  Je lui avais pourtant dit d’aller un médecin. J’ai appris sa mort dans la presse. Pour faire le métier d’acteur, il faut être solide comme un roc.

Lorsque Françoise Sagan venait sur le plateau de « Bonjour Tristesse », je m’arrangeais pour être absente. J’avais des aprioris si idiots lorsque j’étais jeune. On m’a pourtant dit plus tard que je me serais sûrement bien entendu avec elle. Ce fut la même chose avec Jean Cocteau. J’avais tant aimé son film « La Belle et la Bête » que lorsque je l’ai rencontré j’ai été si déçue de le voir avec ses cheveux colorés en violet. J’ai eu un rejet total. Avant mes 30 ans, j’étais bien stupide.

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Pour « Les Garçons », peut-on dire que vous avez connu une véritable histoire cinématographique avec Laurent Terzieff ?

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Nous sommes tombés fou amoureux à l’écran comme hors de l’écran. Cependant, comme aucun d’entre nous était célibataires, nous étions bien sérieux. Le réalisateur Mauro Bolognini aimait tant Laurent qu’il nous a demandés de faire 23 fois la même scène : Nous devions nous embrasser. Lorsque vous êtes amoureuse de quelqu’un mais que votre histoire ne peut avoir de l’avenir, s’embrasser 23 fois devant une caméra était une vraie souffrance. Je rentrai le soir du tournage si triste. Mon mari, Henry Coste, ne comprenait pas pourquoi. Je ne voulais même pas dormir avec lui.

J’ai parlé à Laurent et nous nous sommes mis d’accord de ne pas faire de folie. Une histoire d’amour aussi forte même si elle ne continue pas, elle reste gravée dans votre mémoire.

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Dans le péplum « La Bataille de Marathon » (1959), vous jouez face au bodybuilder américain Steve Reeves. Comment s’est passé le tournage ?

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Lorsque j’ai reçu le scénario, j’ai ri de façon narquoise. Comment pouvait-on m’envoyer une histoire aussi stupide ? Je me suis mis d’accord avec mon agent pour dire à cette production américaine que j’étais bien trop chère pour eux. Je valais environ une dizaine de millions de francs à l’époque. J’ai alors demandé 45 millions. Les Américains ont accepté cette somme sans broncher. J’ai alors accepté. Pendant le tournage, j’ai été traitée comme une reine. Steve Reeves était un charmant garçon qui faisait du cinéma dans l’unique but de se payer un ranch dans le Montana.

Pour le film, j’ai pris des leçons pour monter à cheval avec un écuyer du cadre noir au Bois de Boulogne. Un jour, un beau cheval blanc m’a lancé contre le mur. J’ai eu très mal mais l’écuyer m’a ordonné de remonter en selle comme un vrai cavalier. J’ai à nouveau été projetée contre le mur.

Dans la région de Rome, nous avons commencé le tournage. Un jour, la chaleur était trop forte pour les chevaux. Personne ne les avait nourris et un grand nombre de mouches les harcelaient. Nous avons commencé une scène. Je monte sur le cheval alors que la caméra est positionnée plus loin. Le bruit de la voiture et du travelling a rendu fou l’animal. Il est alors parti au galop. J’ai voulu l’arrêter mais ce fut impossible. Je me suis alors accrochée à son cou et j’ai attendu que le cheval se calme. Il a fini par s’arrêter au milieu de la forêt mais l’équipe de tournage a mis 2 heures pour me retrouver.

Sur le tournage des « Trois mousquetaires », j’ai à nouveau eu une mauvaise expérience avec un cheval. L’animal s’est mis au triple galop après un mauvais coup de cravache. Depuis, j’ai eu une peur bleue compréhensible de monter à cheval.

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En 1961, vous incarnez dans « Les Trois mousquetaires » Milady de Winter. Les deux films sont surtout une déception ?

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Oui et non. Je voulais tellement faire ces films. Après « Les Sorcières de Salem », je devais deux autres films aux producteurs, les frères Borderie. Cependant, ils me trouvaient trop jeune pour jouer Milady de Winter. J’ai alors insisté.

Les films ne sont pas bons mais beaucoup de personnes me disent que je suis une bonne Milady de Winter. Selon moi, le seul film qui soit resté fidèle à l’œuvre d’Alexandre Dumas c’est celui avec Gene Kelly et Lana Turner.

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Pour « Fantomas » vous étiez plus Louis de Funès que Jean Marais ?

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Oui. A l’âge de 12 ans, j’étais tombée amoureuse de Jean Marais dans « L’Eternel retour » (1943). J’ai passé des heures à essayer de trouver sa péniche blanche à Neuilly-sur-Seine. Nous avions tourné ensemble dans « Futures Vedettes » (1957) de Marc Allégret. Jean Marais était charmant. Je le retrouve pour le film « Fantomas » (1964) mais j’adorais également Louis de Funès. Il était formidable dans « Ah ! Les Belles bacchantes » (1954). Je l’ai même vu au théâtre dans « La Grosse valse » où Louis était extraordinaire. La salle hurlait de rire et deux secondes plus tard elle pleurait.

Sur le plateau, j’étais émue de tourner avec Louis de Funès. Il m’appréciait également. Par rapport au scénario de base, Louis a proposé des choses merveilleuses.

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Jean Marais incarnait à la fois le journaliste Fandor et le bandit Fantomas. Était-ce la même ambiance selon le personnage ?

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Jean Marais détestait porter le masque de Fantomas. Lorsqu’il devait le jouer, il était toujours de très mauvaise humeur. Jean Marais a été content lors du tournage du premier film de la série, moins content pour « Fantomas se déchaîne » et pas du tout content pour « Fantomas contre Scotland Yard ». Louis de Funès lui a progressivement volé la vedette. Même si le troisième film est mon préféré, il est vrai que face à Louis, nous n’avions plus grand-chose à faire.

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En 1966, vous rencontrez Marc Simenon. Vous intégrez alors le clan Simenon. Comment était l’ambiance ?

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Pendant longtemps, je n’ai été que spectatrice. Avant de rencontrer Marc, j’avais probablement lu plus de romans de Georges Simenon que toute la famille réunie. J’allais notamment apprécier « Les Volets verts » et « Les Anneaux de Bicêtre ». J’imaginais Georges Simenon très noir. Je pense aujourd’hui qu’il a beaucoup de points communs avec l’écrivain Michel Houellebecq.  Ils ne jugent pas les humains – Ils ont un regard juste.

Georges Simenon aimait les femmes simples sans maquillage. J’étais l’antithèse. De plus, il pensait que les femmes russes étaient des intrigantes. Au fil des années, nous avons appris à nous connaître. Simenon aimait lorsque je jouais au piano. Il nous est arrivé de nous balader à Lausanne et il me racontait comment il écrivait. Après s’être inspiré des auteurs russes, Georges Simenon avait compris que la plupart des personnes ne maîtrisaient que 300 mots (de nos jours c’est encore moins !). Par conséquent, il a écrit des romans policiers avec uniquement ces 300 mots. Le premier Maigret, « Pietr-le-Letton » est né ainsi.

La vie de Georges Simenon avait été si dure qu’il était devenu une personne difficile.

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En 1981, vous produisez le film « Signé Furax » qui a le mérite d’avoir une multitude d’acteurs célèbres. Ce fut un vrai défi ?

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J’ai produit trois films en tout. « Signé Furax » fut un défi car nous n’avions pas d’argent. Le public est venu malgré tout. Francis Blanche avait une telle aura.

Nous voulions faire un film burlesque comme ceux des Marx Brothers. Mais dans ces films, après plusieurs scènes comiques, il y a des pauses. Quelqu’un se met à chanter et cela permet au spectateur de respirer. Puis le burlesque reprend. « Signé Furax » n’a aucune pause. Au bout de 20 minutes, le spectateur fatigue.

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Vous avez joué dans la trilogie « Camping ». Le succès vous a-t-il surpris ?

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Oui car malgré les 70 films que j’ai faits, lorsqu’on me croise dans la rue, on m’interpelle en disant : « Bonjour Madame Pic ». C’est ainsi. Le métier d’acteur est incroyablement éphémère. Lorsque j’ai accepté de jouer dans le film « 36 Quai des Orfèvres » (2004) d’Olivier Marchal, je me suis disputée pour une histoire de contrat avec les producteurs. J’ai rétorqué : « Vous n’auriez jamais fait cela à Michèle Morgan ». On m’a répondu : « C’est qui celle-là ? »…

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Pour « Maison de Retraite » (2022), l’ambiance était-elle similaire à une troupe de théâtre ?

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Nous nous sommes tous très bien entendus. Je n’avais jamais tourné avec Firmine Richard, Marthe Villalonga ou Liliane Rovère. Ce fut une belle expérience. Je connaissais déjà Gérard Depardieu. Nous avons beaucoup parlé du décès de ma belle-sœur, Marie-Jo Simenon, et celui de son fils, Guillaume. Le scénario était très drôle et le tournage s’est très bien passé. J’ai assisté à une séance au cinéma Grand Rex – l’ambiance était incroyable. Plus de 1 500 spectateurs riaient ensemble. Le cinéma permet des ambiances fantastiques.

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En 1992, vous avez été candidate sur la liste Energie Sud de Bernard Tapie aux Elections régionales de PACA. La politique fut une belle expérience pour vous ?

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Pas du tout. J’ai voulu faire plaisir à mon mari, Marc car il était fasciné par le personnage Tapie. Avec leur grand bateau, les époux Tapie venaient voir mes mangoustes à Porquerolles. Bernard m’a proposé de m’occuper de l’écologie avec lui. Quand j’ai finalement accepté, je me suis rendu compte que Tapie était un leader qui travaillait tout seul. Autour de lui, il n’y avait rien – pas de programme. Quand j’ai compris cela, j’ai voulu abandonner. De plus, lorsque vous êtes élu, une voiture vient vous chercher avec une cocarde sur le pare-brise. Tout le monde vous regarde médusé. Avec une voiture de fonction, vous n’avez que faire des feux rouges et des stops de Marseille. Tout cela était grisant. Malgré tout, j’ai refusé de rentrer dans le monde de la politique. Ayant une pièce de théâtre à préparer, j’ai réussi à sortir avec élégance.

Même si je suis militante du Parti Animaliste, je réalise que la politique est surtout peuplée de loups qui ne pensent qu’à leur propre pouvoir.

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Vous militez également pour le droit de mourir dans la dignité. Etes-vous avant tout éprise de liberté ?

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Je me considère comme libertaire. J’ai même lu Proudhon. De plus, depuis mes voyages en Afrique, je me sens animiste. Je suis attachée à la terre, aux plantes, aux animaux. En Afrique, les fêtes chrétiennes, juives, musulmanes sont fêtées par tous. C’est une ambiance incroyable.

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