« Pour une Poignée de dollars », « Le Bon, la Brute et le Truand », « Il était une fois l’Ouest », « Il était une fois en Amérique »… Le cinéma de Sergio Leone, irréductible italien, continue de fasciner et d’impressionner par son côté épique mais également pour sa technicité impeccable. Plus de 30 ans après sa mort, le réalisateur favori de Quentin Tarantino reste un véritable maître. Mais comment Sergio Leone construisait-il ses films ? Quel était son lien avec ses personnages ? Qui était-il dans l’intimité ?
Entretien avec le réalisateur, acteur, historien du cinéma et ami proche de Sergio Leone, Noël Simsolo.
Fils de Roberto Roberti, réalisateur du premier western italien, et de l’actrice Bice Waleran, Sergio Leone ne pouvait que travailler que dans le cinéma ?
Etant proche de Sergio, nous avons échangé par écrit à ce sujet. Toute son enfance, il a vu son père malheureux de ne plus tourner. Avant le fascisme, son père était l’un des plus grands réalisateurs italiens. Quant à sa mère, nous pouvons dire qu’elle était considérée comme une grande actrice.
A la naissance de Sergio, en 1929, sa mère a arrêté de tourner. Quant à son père, il s’était mis en opposition avec les dirigeants fascistes. Roberto Roberti ne réalisait donc plus de films.
Enfant, Sergio disait à ses camarades que c’était son père qui avait inventé le cinéma. Toute sa vie, de manière directe ou indirecte, il a été lié au monde du cinéma. La Seconde Guerre mondiale prenant fin, Roberto Roberti fréquentait les cinéastes qui tournaient encore à l’époque. Toujours sans argent, ses amis artistes souhaitaient l’aider en achetant par exemple les tableaux qu’il possédait à la maison. Adolescent, Sergio introduit dans le milieu cinématographique est vite devenu assistant. Ce fut une véritable chance pour lui. Il a ainsi pu être l’assistant de Vittorio De Sica pour « Le Voleur de Bicyclette » (1948) puis d’Alessandro Blasetti pour le film « Fabiola » (1949). Les cinéastes américains venant tourner en Italie l’engageaient aussi comme stagiaire.
Comment avez-vous connu Sergio Leone ?
En tant que spectateur de 15 ans, j’ai vu « Le Colosse de Rhodes » (1961) au cinéma Familia à Lille. Même si j’en avais assez des péplums, j’ai trouvé le film intéressant. A l’époque, les deux réalisateurs qui attiraient l’attention c’était Riccardo Freda et Sergio Leone. « Pour Une poignée de dollars » sort ensuite 3 ans plus tard. J’aime tout de suite le film.
Au moment de la sortie du long métrage « Il était une fois dans l’Ouest » (1968), je suis à Paris et je fréquente la rédaction des Cahiers du cinéma. J’apprends que Jacques Rivette aime beaucoup le nouveau film de Sergio Leone. Il allait même le revoir en version française dans les salles de cinéma parisiennes.
En 1970, je travaillais comme critique pour le magazine Zoom. « Il était une fois la Révolution » sort l’année suivante. Le film est formidable et cela me donne envie d’interviewer Sergio Leone. L’attaché de presse me propose alors d’assister à une avant-première le lendemain. L’interview se passe très bien, je passe la nuit à la retranscrire avec ma machine à écrire, une publication de 4 pages de Zoom suivra. Par la suite, j’ai écrit le premier texte au monde d’analyse sur le cinéma de Sergio Leone dans la revue de cinéma Image et son. Sergio est impressionné par ce qu’il lit. Son cinéma continue de me passionner et un jour, alors qu’il revient à Paris, le réalisateur romain souhaite me voir. Occupé, je ne peux répondre favorablement à son invitation. En 1973, pendant le Festival de Cannes, je passe à l’Hôtel Carlton. Un type m’apostrophe en criant : « Hey hey hey ». C’était Sergio Leone. Il se met à réciter l’article que j’avais écrit sur lui et me propose de déjeuner ensemble le lendemain. Je ne pouvais pas dire non. L’amitié avec Sergio est née ainsi et on a continué à se voir jusqu’à sa mort en 1989.
Était-il resté un homme proche du peuple ?
Tous ses films parlent de l’Italie indirectement. Sergio avait été très marqué par la pauvreté et est toujours resté proche du peuple. Il m’est arrivé de marcher longtemps avec lui dans les rues de Rome. Des passants venaient lui parler de son cinéma et Sergio n’avait aucun mal à leur parler d’égal à égal. D’ailleurs, la plupart de ses amis étaient de gauche.
Assistant réalisateur, Sergio Leone devient peu à peu indispensable même pour des réalisateurs américains comme Robert Wise, Anthony Mann ou encore William Wyler. Est-il vrai que Sergio Leone est celui qui a filmé la scène de course de chars de « Ben-Hur » (1959) ?
D’après ce que Sergio m’a dit, il aurait trouvé la meilleure position de la caméra pendant la course. Cependant, il avait peur des chevaux et donc n’osait pas s’en approcher. Sergio n’a pas filmé la course (ce fut le travail du premier assistant-réalisateur Andrew Marton) mais c’est lui qui a eu l’idée de la filmer au plus proche des chevaux.
Sergio Leone prend le nom de Bob Robertson pour le film « Pour une Poignée de dollars » (1964). Est-ce un hommage au pseudonyme de son père – Roberto Roberti ?
Absolument. Robertson veut dire le fils de Robert. Sergio admirait tellement son père. Lors du festival, il est allé voir un de ses films muets. Sergio était ému aux larmes.
Beaucoup d’artistes italiens, acteurs compris, prenaient des pseudonymes américains. Certains ont même dit que Clint Eastwood était italien et qu’il avait changé de nom. Sergio a repris son vrai nom car il en était fier.
Sergio Leone a-t-il choisi le western car c’était justement un genre qui était dénigré ?
Après « Le Colosse de Rhodes », on lui propose de réaliser un Maciste mais il refuse. Le western était un genre qui était assez délaissé aux Etats-Unis mais il marchait encore bien en Allemagne de l’Ouest. Sergio a eu l’idée de réaliser un projet qui s’intitulait « L’Etranger magnifique ». C’était une adaptation du film « Le Garde du corps » (1961) d’Akira Kurosawa. Le film devient « Pour une Poignée de dollars ».
Mais au départ, Sergio voulait réaliser des œuvres néo-réalistes et des films sur l’Amérique. De très grands long-métrages sur les Etats-Unis ont été faits par des cinéastes étrangers tels que Fritz Lang et John Ford (originaire d’Irlande).
Francophone, Sergio Leone semblait aimer les gros mots. Était-il un homme qui voulait s’imposer sans cesse ?
Sergio avait appris le français à l’école et le parlait bien. Il a même été l’assistant réalisateur de d’Emile Couzinet à Bordeaux pour le film « Quai des Illusions » (1959). Cependant, Sergio n’a jamais parlé anglais. Lorsqu’il travailla sur les tournages de « Quo Vadis » (1951) et d’«Hélène de Troie » (1956), un interprète avait été engagé pour l’aider à comprendre ce que les réalisateurs américains voulaient. Je pense que très peu d’assistants ont pu avoir une telle chance… Sergio était juste reconnu comme très bon.
Le réalisateur Bernardo Bertolucci est celui qui m’a mieux défini Sergio. Pour lui, son cinéma était un mélange incroyable de raffinement total et de vulgarité. Sergio Leone était un artiste complet : Un véritable auteur et un artiste au succès populaire. Orson Welles n’a pas réussi cet exploit.
Issu d’un monde sophistiqué, il est resté un homme de goût. Cependant, au cours de sa vie, Sergio a fréquenté le peuple et a respecté ses codes. D’autres artistes comme Pasolini ou Antonioni s’exprimaient de façon grossière. C’est finalement très italien.
Sergio Leone a-t-il utilisé Ennio Morricone à sa juste valeur ?
Les deux ont été utiles l’un par rapport à l’autre. Lorsqu’ils se sont rencontrés, Morricone a dit qu’ils avaient été camarades de classe durant leur enfance. Sergio ne le croyait pas et il a fallu qu’il voit une photo de classe pour y croire.
Leone demandait à Morricone d’enregistrer la musique avant même que le tournage ne commence. Il ne se voyait pas comme son musicien mais comme son scénariste. Un exemple me vient à l’esprit : Sergio et Morricone discutaient de la musique pour « Il était une fois dans l’Ouest ». Le compositeur n’arrivait pas trouver d’idée pour le thème du personnage de Jason Robards, le Cheyenne. Leone lui dit que c’était similaire au chien clochard du dessin animé « La Belle & le Clochard ». C’est un voyou mais il est tendre. Le Cheyenne marche ainsi « Pom pom pom pom ». En l’entendant imiter sa démarche, Morricone a alors l’idée de prendre ce son. Le thème a été trouvé à la fois par Sergio et à la fois par Morricone.
Sergio n’aimait pas que Morricone reprenne les mêmes morceaux pour d’autres films.
Pour quelles raisons les critiques ont -ils bien souvent été impitoyables avec le cinéma de Sergio Leone ?
Mon ami et critique de cinéma Serge Daney disait que Sergio Leone était à l’heure mais les autres étaient en retard.
Les critiques dites intelligentes n’aimaient pas son cinéma mais les autres réalisateurs le respectaient beaucoup. « Pour une Poignée de dollars » est un film qui a été détruit par la presse. C’est scandaleux.
Sergio m’a un jour dit que j’avais été l’un des premiers critiques qui l’avaient pris au sérieux. Je ne sais pas mais en tout cas je ne le voyais pas un cinéaste de western – je le voyais comme un cinéaste tout court.
Quand un critique français a rencontré Sergio, il ne cessait de le flatter. Leone semblait agacé. Moi, je ne comprenais pas. Ce n’est qu’à Rome qu’il m’a montré les terribles critiques que ce journaliste avait écrites contre Sergio.
Vous dites que Leone avait les films dans la tête avant même le tournage. Était-il un bon conteur ?
Sergio racontait oralement ses histoires et sa secrétaire retranscrivait par écrit. Il avait un imaginaire débordant, mimant même les coups de feu.
Lorsque Sergio passait à Paris ou lorsque je venais à Rome, nous avions l’habitude de nous voir. Pendant 10 ans, il m’a souvent raconté des passages de son projet « Il était une fois l‘Amérique ». Lorsque j’ai vu le film, je retrouvais tout ce que Sergio m’avait expliqué.
Il y a deux types de grands réalisateurs : Ceux qui construisent leur film au fur et à mesure du projet comme Jean-Luc Godard ou John Cassavetes, et ceux qui ont l’idée de leur film et la défendent jusqu’au bout comme Claude Chabrol, Marco Ferreri ou Sergio Leone. Ce sont des artistes qui ont pensé le film depuis le début. Sergio n’aimait pas l’improvisation.
Sergio Leone s’identifiait-il à ses personnages solitaires ?
Dans « Le Bon, la Brute et le Truand » (1966), il ressemblait humainement au personnage d’Eli Wallach, le truand. Dans « Il était une fois la Révolution », Sergio aurait aimé être Juan Miranda (Rod Steiger) mais il ressemblait beaucoup à l’Irlandais dépité politiquement (James Coburn).
Sergio était à la fois tous les personnages d’«Il était une fois en Amérique ». Un jour, Alejandro Jodorowsky avait demandé en plaisantant si Sergio avait un rôle pour lui dans le film. J’ai alors ensuite demandé à Leone quel personnage me ressemblait le plus. Il me regarde et me dit : « Tu ne le joueras pas mais toi tu es Noodles ».
« Il était une fois la Révolution » (1971) est-il le film le plus personnel de Sergio Leone ?
Il disait que c’était l’enfant qu’il préférait car c’était le plus malade. Sergio m’a raconté qu’initialement ce n’était pas lui qui devait tourner le film. Il n’était que le producteur puis devient le réalisateur. Leone débarque sur le tournage et comprend tout de suite que les relations seront bonnes avec James Coburn. Ce dernier était aussi sérieux qu’un acteur de théâtre. Il était très obéissant. Rod Steiger était, quant à lui, bien plus actor’s studio. Il fallait une multitude de prises pour que Steiger devienne enfin bon. Leone devait l’épuiser. Steiger avait vu que Coburn ne faisait que quelques prises alors que lui devait faire et refaire les scènes. Il s’est alors plaint à Fulvio Morsella, scénariste et beau-frère de Leone. Ce dernier a alors raconté que Sergio était comme un enfant. Il aime tellement ce que fait Steiger qu’il veut sans cesse le voir jouer. Steiger l’a cru pendant une semaine puis finalement ils se sont bien entendus.
« Il était une fois en Amérique (1984) est-il un western moderne ?
Je ne crois pas. Le western est une mythologie et non un fait. Le terme n’est apparu que durant les années 20. Auparavant, on parlait d’Indian Picture. Même les films de cape et d’épée français étaient appelés par les Américains les French westerns.
Vous parlait-il de ses projets cinématographiques avant sa mort ?
Sergio m’a en effet raconté « Les 900 jours de Leningrad ». Il en avait également parlé avec les autorités soviétiques pour le tourner en URSS. Robert de Niro était d’accord pour jouer le rôle principal. Sergio admirait les films épiques de David Lean. La musique d’Ennio Morricone donne du grandiose dans les œuvres de Leone.
Que retenez-vous de l’ami Sergio ?
C’était un enfant de putain formidable (rires). Sergio avait un humour extraordinaire. J’étais un jour au Blue Bar à Cannes. On me raconte alors une blague : « Qu’est-ce qu’un Belge qui court autour de l’Université de Louvain – c’est un Belge qui poursuit ses études. » Je n’arrive pas à m’arrêter de rire. Or, j’avais un rendez-vous avec Sergio au Carlton. Il était accompagné d’une autre personne. Sergio ne comprenait pas pourquoi je riais autant. Je commence à raconter la blague et l’autre rétorque : « Attention je suis Belge. » Sergio répond alors : « Ce n’est pas grave, Noël va vous la raconter 2 fois. »
Pour en savoir plus :
« Conversations avec Sergio Leone » de Noël Simsolo – Cahiers du Cinéma 1990 https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782866422097-conversations-avec-sergio-leone-noel-simsolo/
« Sergio Leone » de Noël Simsolo et Philan – Glénat 2019 https://www.babelio.com/livres/Simsolo-Sergio-Leone/1142093