Depuis plusieurs années, un portrait familier peuple à nouveau l’espace public. Le général de Gaulle est toujours là où on ne l’attend pas. Avec son fameux képi, il a en effet pris place parmi les tags et les graffiti. Le grand Charles est même devenu une icône du street art grâce au talent de Mister P, artiste de Lille. Mais attention : le général n’est pas le seul dans cet univers graphique…
Entretien-portrait d’un street artist plein de ressources.
Vous avez commencé à faire de l’art dès la 6ème en le liant avec l’univers du skateboard. Le street art est-il lié pour vous à un univers graphique particulier ?
J’ai tout de suite aimé l’univers du skateboard car il s’exerce dans la rue.
A l’époque, je faisais surtout du graffiti plutôt que du street art. Pendant tout ma jeunesse, je faisais exclusivement du lettrage. Je me suis ensuite peu à peu orienté vers le collage et le pochoir. Les deux expériences m’ont plu et j’ai continué alors dans cette démarche tout en faisant du lettrage.
Vous réalisez également du graphisme sur des planches de skateboard.
C’est en effet pour moi un bel objet. Les artistes qui ont décoré les planches ont toujours eu le souci de l’art appliqué. De nos jours, lorsque vous voyez les planches de skateboard, vous pouvez même remarquer une grande variété artistique. Vous en avez pour tous les goûts.
En partenariat avec un skateshop, je viens de réaliser ma troisième série de planches. Mais mes œuvres n’ont toujours pas été grippées (c’est-à-dire que les acheteurs n’ont pas prévu de les utiliser pour faire du skateboard). Elles sont avant tout pour eux des objets de décoration. J’aimerais que mes planches soient utilisées pour faire du skateboard dans la rue.
De plus, j’utilise beaucoup comme support des vieilles planches qui ont déjà servi. J’aime le recyclage.
Pour la deuxième série, nous avons réalisé 50 exemplaires. 5 ont été données à des skateurs qui les ont vraiment utilisées. Je me suis même amusé à montrer sur mon compte Instagram l’aspect d’une de mes planches avant la vente et puis après-utilisation. J’apprécie quand mes œuvres ont pu servir.
D’où vient le nom Mister P ?
J’ai un pseudonyme qui commence par la lettre P. J’ai juste repris la première lettre. Comme j’ai toujours aimé le graffiti, je trouvais que le nom Mister P était facile à écrire sur les murs.
Le Conseil Régional des Hauts-de-France vous a choisi pour créer l’identité visuelle de l’année 2020. Vous voyez-vous comme un artiste nordiste ?
Le fait même de choisir comme figure artistique le général de Gaulle, né à Lille, montre mon attachement au Nord de la France. J’ai été ravi d’être reconnu par le Conseil Régional. L’année 2020 devait être chargée pour moi avec un grand nombre de manifestations et de rencontres autour de mon travail artistique. La pandémie a empêché ou modifié ces rendez-vous.
Vous avez introduit le général de Gaulle dans le street art. Etes-vous un artiste gaulliste ?
Non pas du tout. Je le répète : j’ai choisi le général de Gaulle pour son identité lilloise.
Cela m’embête même lorsqu’on s’approprie mon travail pour des visées politiques. Le Conseil Régional des Hauts-de-France m’ayant choisi comme identité visuelle, il est arrivé que l’on puisse voir en fond mes œuvres lors de reportages. J’ai eu des difficultés à me défaire de cette image politisée.
Florian Philippot, homme politique d’extrême droite, est souvent interviewé avec derrière lui des cartes postales de mes œuvres. Je reçois souvent des messages d’alerte. Je n’ai rien à voir à la politique.
Vous avez commencé à diffuser votre street art à La Ciotat (Var). Pourquoi cette petite ville balnéaire ?
J’avais de la famille qui vivait là-bas donc j’y avais mes habitudes. Après Lille, La Ciotat est la ville que je connais le mieux. Etant originaire du Nord de la France, je me suis dit que mon identité artistique nordiste serait bien plus remarquée dans le Sud. J’y ai fait mon premier collage de de Gaulle. A Lille, je n’aurais pas forcément choisi cette figure.
La Ciotat est aussi une ville de street art puisqu’il y a le plus grand mur légal pour graffiti d’Europe. Chaque année, un événement artistique est organisé.
Partout le général de Gaulle vous suit. Lorsque vous voyagez, vous le collez partout. La représentation montre un de Gaulle âgé avec le képi sur la tête. Pourquoi cette représentation ?
Lors de mes recherches, j’ai vu beaucoup d’affiches de mai 68. Le général de Gaulle était alors représenté en uniforme et avec le képi sur la tête. Visuellement, c’est une icône plus facilement reconnaissable en tant que militaire.
Lorsqu’on aperçoit l’œuvre, le képi est la première chose que l’on voit. Ce couvre-chef souligne l’aspect strict du général de Gaulle. Par mon street art, je veux au contraire le montrer plus fun, plus accessible. La taille du képi permet un certain espace artistique libre. Je peux en effet y ajouter une multitude de couleurs ou un dessin supplémentaire.
Le général de Gaulle va-t-il vous suivre pendant encore très longtemps ?
C’est une figure qui est très présente. Elle est presque devenue une signature. Peu à peu, je m’en détache même si ce n’est pas évident.
Quelles sont les réactions des passants ?
Je colle assez rapidement donc je n’ai pas de réelles remarques. Les commentaires sur les réseaux sociaux ne sont en tout cas jamais négatifs.
Pour le Conseil Régional des Hauts-de-France, j’ai dû présenter mon travail face à des membres de la Fondation de Gaulle ainsi qu’à la famille du général. J’ai appréhendé ce moment mais au final l’accueil a été bon.
Contrairement à beaucoup de street artists, vous travaillez en plein jour dans la rue. Pour quelles raisons ?
Lorsque vous vous baladez avec un pot de colle et une échelle en pleine journée, vous êtes finalement moins suspect que lorsque vous le faites en pleine nuit. Les passants pensent alors tout simplement que vous allez au travail.
J’ai également toujours choisi de coller dans des lieux qui ne seront pas détériorés par mon art. Je respecte au maximum la loi.
J’ai été embarqué une fois par la police. L’agent était ravi de m’avoir attrapé et a appelé face à moi son supérieur afin d’annoncer mon interpellation. Il a mis le haut-parleur. Son chef a alors répondu que je pouvais être relâché car aucune plainte n’avait été déposée contre moi.
En plus de de Gaulle, vous dessinez les personnages des Simpsons, Futurama ou encore la tête de mort. Toutes ces figurations font-elles parties de votre identité ?
Oui. Je ne fais pas que le général de Gaulle. La tête de mort devient peu à peu un vrai logo. Je la peins toujours avec un aspect comique parfois même en rose fluo. Aucun de mes graffiti a un aspect macabre.
Avec deux autres artistes, je réalise le graffiti Death Club. Chacun y donne son interprétation. C’est très agréable de pouvoir faire des rencontres artistiques. Je continue dans cette voie avec un certain plaisir.
Quels sont vos projets ?
Je vais faire de nouvelles collaborations avec d’autres artistes. Je me suis promis que 2022 allait être une année d’ouverture. Je contacte davantage de galeries.
J’ai déjà fait une exposition à Cologne. A l’étranger, mon nom n’est pas directement lié à la figure du général de Gaulle. Je peux proposer tout à fait autre chose.
Je dois aussi coller ailleurs qu’à Lille car artistiquement, j’y ai vraiment fait le tour.