Oiseau noir vénéré pour son intelligence et ses prophéties par les peuples du nord de l’Europe, le corbeau va perdre totalement son aura avec l’essor du Christianisme passant de puissant dieu à abominable volatile. Les Pères de l’Eglise et les auteurs du Moyen Age ne l’imaginent qu’à une seule place : là-bas – niché dans le bestiaire du Diable.

Le corbeau a pourtant tant de choses à nous dire. Ecoutons bien son croassement, cri que l’on retrouve autant dans les campagnes que dans les villes. Figure aimée par les romantiques du XIXème siècle, le corbeau ne cesse de nous épater par ses capacités cognitives. Voilà un oiseau qui nous ressemble par beaucoup d’aspects.

Entretien avec Michel Pastoureau, grand enseignant-chercheur, historien médiéviste et auteur du magnifique « Le Corbeau – Une histoire culturelle« . 

 

 

 

Après l’ours, le cochon ou encore le loup, vous avez étudié le corbeau. Quel a été votre centre d’intérêt à propos du corvidé ?

 

 

En tant qu’historien des animaux, je m’intéresse au corbeau depuis très longtemps. Tout au long de mes recherches, j’ai constaté que les animaux dits négatifs laissaient plus dehitchcock traces, plus d’écrits que les animaux dits positifs.  Il y a toujours eu une fascination pour ce que l’on perçoit de mauvais. Le cochon est un animal clairement rejeté. Il est pourtant celui qui se rapproche de l’humain, même plus que les grands singes. Ce cousinage a provoqué un rejet mais aussi une attirance.

A force d’observer et d’être observé, l’homme et le corbeau ont également une relation ambiguë. C’est un animal qui pourtant n’a pas toujours été mal aimé. Les sociétés de l’Antiquité l’ont vénéré et l’ont considéré soit comme l’attribut des dieux soit comme une créature ambivalente avec ses bons et ses mauvais aspects.  C’est à partir du Christianisme que le corbeau a été dévalorisé, rejeté et même persécuté.

 

 

Le corbeau est un animal perçu dans l’Antiquité comme rusé voire omniscient. A-t-il pu même faire de l’ombre à l’aigle ?

 

 

Oui et non. Le corbeau a été vénéré dans certaines parties (Europe du nord et du nord-ouest) qui n’avaient alors aucun contact avec celles qui vénéraient l’aigle. La rivalité va apparaître plus tard lors des rencontres entre l’Europe celtique et l’Europe méditerranéenne.

 

 

Le Christianisme a persécuté le corbeau car il fut un dieu pour un grand nombre de religions païennes. Tous ces siècles chrétiens ont-ils été des siècles de malheur constant pour le corbeau ?

 

 

C’est indéniable. Le paganisme a trop vénéré des créatures comme le loup, l’ours et le corbeau. Le Christianisme les a désacralisés. Le corbeau est même sans doute l’animal le plus honni de tous les animaux honnis par l’Eglise. Le corbeau est de plus moins redoutable que le loup et l’ours et reste présent partout du début du Christianisme jusqu’à nos jours.

 

 

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Comment peut-on voir l’histoire du prophète Elie qui est nourrit par les corbeaux ? Cet animal nourricier est alors comparé au Christ ?

 

 

Lorsque vous créez un système symbolique qui met en scène le bien et le mal, vous devez faire des exceptions. Même si la grande majorité des corbeaux est mauvaise, vous devez faire apparaître de bons corbeaux. Le Christianisme a en effet développé l’idée du corbeau nourricier avec l’histoire d’Elie dans la Bible. Les hagiographies de Saint Antoine et de Saint Paul ermite traitent du même sujet.

 

 

Comment peut-on expliquer encore de nos jours une telle popularité pour la fable du corbeau et du renard ?

 

 

La fable fait partie du corps attribué à Esope (écrivain grec du VIème siècle avant Jésus-Christ). Elle a traversé les millénaires. Pendant la Rome Antique, la fable était mêmecorbeau apprise aux enfants. Il en a été de même lors du Moyen Age. La Fontaine n’a fait que reprendre une fable connue de tous.

Il s’agit d’une histoire avec une formulation facile à mémoriser. Ce qui est frappant c’est que la fable fait du corbeau un animal stupide ce qui est contraire à la tradition. Le corbeau a toujours été perçu comme intelligent.

 

 

 Est-il vrai que le corbeau pratique l’humour ?

 

 

Toutes nos interprétations ont des références à l’aspect humain. C’est toujours l’homme qui tire les conclusions… Le corbeau est en effet proche de nous dans son habitat, sa fréquentation, sa proximité. Au Moyen Age, nous avions une notion des animaux domestiques qui est différente de la nôtre aujourd’hui. Il s’agissait des bêtes qui vivaient dans le foyer ou près du foyer. Par conséquent, le corbeau, le renard, le rat, le merle, la pie étaient considérés comme domestiques car vivant à proximité de l’homme. Même de nos jours, le corbeau vit en grand nombre dans les villes. Il se nourrit de nos déchets, observe les comportements des hommes, des femmes et des enfants et s’adapte. C’est sûrement l’animal qui nous connaît le mieux car il nous observe depuis si longtemps.

En outre, le corbeau est l’un des oiseaux qui vit le plus longtemps.

 

 

Dès le XIVème siècle, on utilise le terme de corbeau pour qualifier un dénonciateur. En plus de son plumage noir, son cri est-il justement considéré comme négatif ?

 

 

Le cri du corbeau n’a jamais été considéré comme détestable par les païens de l’Antiquité.king Ils l’ont étudié contentieusement et considèrent que l’animal peut parler. Le Christianisme va, quant à lui, percevoir le cri du corbeau abominable pour l’oreille. Cela s’ajoute aux multiples défauts de la créature : Ses mœurs alimentaires ou son comportement.

Le cri du corbeau n’est finalement pas plus abominable que d’autres cris d’oiseaux ou d’humains…

 

 

Contrairement à l’ours et au loup, le corbeau n’est pas populaire comme peluche pour les enfants. Est-ce tout de même un animal plus apprécié dans les villes que dans les campagnes ?

 

 

Au sujet de la peluche, le fait d’être un oiseau est un handicap pour le corbeau. Même le poisson a plus de succès.

Le corbeau est tout d’abord détesté dans les campagnes car il est lié aux superstitions. Il porterait malheur. De plus, le corbeau mange les graines qui viennent d’être semées. En ce sens, c’est un animal nuisible pour la vie paysanne. Le corbeau reste encore de nos jours une créature perçue négativement dans les campagnes.

Il est en effet plus apprécié en ville, même si on lui reproche tout de même de faire peur aux autres oiseaux et de fouiller les poubelles.

 

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Le corbeau a été populaire auprès des romantiques du XIXème siècle. Pourquoi les surréalistes n’ont pas exploité une telle figure ?

 

 

Les surréalistes ont une préférence pour les créatures fantastiques et composites. C’est un mouvement de transgression. Je connais les surréalistes grâce à mon père qui était un ami proche d’André Breton. J’ai toujours été frappé par leur sérieux. Il y a certes de l’humour chez les surréalistes mais c’est un humour sérieux. Ils ont toujours été dans la provocation, la rébellion ou la destruction. Rien n’est gratuit chez les surréalistes.

 

 

Lors de vos recherches, qu’est-ce qui vous a le plus surpris chez le corbeau ?

 

 

J’ai lu de récentes études scientifiques sur l’intelligence de l’animal. Depuis des dizaines années, les ethnologues et les ornithologues ont démontré que le corbeau détient une intelligence remarquable. Elle serait même supérieure aux grands singes. Nous n’avons pas encore tout. L’intelligence ne serait pas en rapport avec le volume du crane de l’animal mais finalement une addition de neurones connectés entre eux. Chez le corbeau, c’est particulièrement dense.

Ce qui m’a frappé c’est que toutes ces récentes constations rejoignent les écrits antiques de Pline l’Ancien. Pour lui, le corbeau était bien plus intelligent que tous les autres oiseaux.

 

 

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