De Moscou à Vladivostok, du Pakistan à la Mongolie, de l’Ukraine à la Chine, Cédric Gras parcourt et étudie avec passion tous ces horizons lointains. Ecrivain, réalisateur, explorateur ou encore directeur d’Alliances françaises à Odessa et à Donetsk, il a su nous faire partager ses aventures à travers ses livres tels que « Saisons du voyage » ou encore « Les Alpinistes de Staline » (Prix Albert-Londres du livre 2020).

Entretien avec un écrivain-voyageur en quête de reliefs.

 

 

Comment est née votre passion pour l’alpinisme ?

 

 

Mes parents étant dans l’éducation nationale disposaient de beaucoup de congés et en profitaient pour faire de la randonnée. J’ai toujours eu envie d’aller plus haut. Je me suis donc intéressé à l’alpinisme. Même si la montagne est un endroit accessible à tous, il est difficile de bien la connaître lorsque vous n’êtes pas initié. Je n’étais pas originaire d’une région montagneuse donc j’ai dû apprendre. J’allais faire de la randonnée dans les Alpes et les Pyrénées. Je fais de l’alpinisme mais je ne fais jamais de très hauts sommets. Cela demande beaucoup d’organisation et je m’acclimate lentement en expédition. La montagne est un univers que l’on retrouve dans le monde entier. Lors de mes études en Inde, j’avais eu une vraie volonté de quitter les plaines. En allant dans les montagnes indiennes, je retrouvais des sensations que j’avais connues dans les Alpes. La montagne est un vrai refuge.

 

 

Vous avez réalisé une thèse sur l’Extrême Orient (qui n’a jamais été achevée). Pourquoi cet intérêt pour la Russie ?

 

 

Beaucoup de personnes ont le rêve américain. En ce qui me concerne, cette influence a glissé sur moi comme l’eau sur la peau d’un dauphin. Les Etats-Unis ne m’intéressaient pas du tout. J’ai eu d’abord un coup de foudre pour la langue russe. La Russie est également un pays avec peu de tourisme et pourtant tant de paysages et de cultures sont à découvrir. Contrairement aux Américains, les Russes sont très mauvais en communication. J’essaye de les aider à valoriser leur pays. (rires)

 

 

chevaux

 

 

L’Extrême Orient russe est-il un territoire difficile à cerner ?

 

 

C’est en effet une région très mal connue. Pour beaucoup, après la Sibérie, il n’y a rien. En plus d’avoir un accès à l’Océan Pacifique, l’Extrême Orient a beaucoup de reliefs. Contrairement à la Sibérie, j’ai toujours aimé cette région.

 

 

Que ce soit en Russie ou en Antarctique, vous avez pu rencontrer la faune locale comme les baleines ou les ours. Est-ce que ce fut des moments uniques car rares ?

 

 

oursPendant des siècles, nous chassions les loups. De nos jours, nous faisons tout pour en préserver quelques-uns. La rareté crée de la valeur. J’imagine qu’au XIXème siècle, lorsque des expéditions allaient en Sibérie ou en Extrême Orient, elles devaient rencontrer en permanence des animaux sauvages. Aujourd’hui, ces moments sont devenus rares. Voir un animal sauvage dans son environnement c’est extraordinaire.

 

  

Mettre en place l’Alliance française à Vladivostok a-t-il été un véritable parcours du combattant ?

 

 

J’étais professeur à l’Université de Vladivostok. Il a fallu réunir les francophiles, les francophones des alentours avec le soutien de l’ambassade de France. Une alliance française est comme une petite entreprise. Cela ne se réalise pas en une journée. Il faut des taux d’auto-financements importants. De plus, l’Alliance française est une association mais le statut d’association (comme nous le concevons en France avec la loi de 1901) n’existe pas partout dans le monde. Il faut s’adapter aux lois du pays d’accueil. Je n’étais pas considéré comme un diplomate par les autorités russes. Je travaillais comme le patron d’une petite entreprise. J’ai d’ailleurs beaucoup appris de cette expérience.

 

  

Vous avez d’ailleurs écrit sur Vladivostok (« Vladivostok, neiges et moussons »). Pourquoi avoir eu ce besoin d’écrire ?

 

 

J’étais un lecteur compulsif. Peu de personnes avaient écrit sur l’Extrême Orient russe par conséquent j’ai voulu décrire et raconter ce qui m’entourait. Même de nos jours, beaucoup de passagers du Transsibérien ne vont pas jusqu’à Vladivostok.

Je n’ai pas eu l’envie dès le début d’écrire un livre. Comme pour un journal intime, il m’arrivait de prendre quelques notes. De plus, je ne m’attendais pas à rester aussi longtemps à Vladivostok. Au fil du temps, j’ai eu le projet d’écrire un livre. Vladivostok était un sujet original qui a pu attirer l’attention de lecteurs. C’était pour eux un voyage par procuration.

 

 

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En plus des récits de voyages, vous avez également écrit un roman. Pourquoi avoir eu cette envie ?

 

 

Je ne me sens pas véritablement écrivain. J’avais réalisé auparavant un recueil de nouvelles et j’avais envie d’approfondir l’exercice en racontant sous forme de fiction ce que j’avais pu voir de près ou de loin lors du conflit au Donbass. Je n’ai été que témoin. Le roman me permettait d’aller plus loin.

 

 

En 2011, vous partez en side car avec Sylvain Tesson à partir de Moscou afin de retracer le repli des troupes napoléoniennes durant la campagne de 1812. Tesson raconte ce voyage dans son livre « Bérézina ». Qu’avez-vous appris de ce périple original ?

  

 

Tesson m’a invité à participer à ce voyage avec un autre Français et deux Russes (un était mécanicien et heureusement qu’il était avec nous!). Malgré le froid (même si l’hiver de 1812 avait été bien été plus glacial), nous nous sommes lancés sur de bonnes routes. De plus, nous dormions le soir dans des auberges et des hôtels. Un tel périple en Sibérie aurait par exemple été plus aventureux… La retraite des troupes françaises a connu plusieurs chemins. Nous avons choisi celui qui était le plus direct et celui qui permettait de passer devant les plus hauts lieux du repli des troupes. J’ai été notamment marqué par le champ de bataille de Borodino. Le lieu est resté intact et vous pouvez imaginer des combats à perte de vue. Il a été également émouvant de voir la rive de la Bérézina.

Contrairement à Sylvain Tesson, je n’ai pas été jusqu’à Paris.

 

 

En 2020, vous avez écrit sur les frères Abalakov avec votre livre « Les Alpinistes de Staline », les grands alpinistes soviétiques qui ont gravi, entre autre, le pic Staline. La politique a-t-elle mis de l’ombre sur le parcours incroyable de ces deux frères ?

 

 

Le frère aîné Vitali Abalakov a été arrêté pendant les purges staliniennes. Certes, il fut relâché mais ne sera réhabilité que dans les années 1970. Vitali n’était pas autorisé à quitter l’Union soviétique. Même après la mort de Staline, les frères ont été marqués par le sceau de cette époque.

J’ai écrit sur eux car je voulais qu’on se souvienne de ce qu’ils avaient pu faire et gravir. Lesabalakov alpinistes russes de nos jours envient presque ceux de l’URSS. A un certain niveau d’alpinisme, l’employeur devait les libérer et continuer à les rémunérer pour partir en expédition. Cependant, les alpinistes devaient à chaque fois demander l’autorisation. Il fallait un permis d’ascension afin de prouver que vous aviez le niveau pour gravir les sommets. Les frères Abalakov avaient notamment une grande exigence concernant leur sécurité.

De plus, les alpinistes avaient souvent l’obligation de porter les bustes de Staline au sommet.

 

  

« Le Cœur et les confins » (2014), « L’hiver aux trousses » (2015) ou encore « La Mer des Cosmonautes » (2017). Choisir un bon titre est-il une évidence ?

 

 

Le titre me vient à l’esprit au moment de la rédaction. Une phrase la donne. Un titre doit être à la fois fort et clair pour le lecteur. En même temps il ne doit pas trahir votre texte.

 

 

aventure

 

 

En poste à l’Alliance française de Donetsk, vous avez été témoin du conflit en Ukraine en 2014. Est-ce troublant de voir en face les événements ?

 

 

L’Ukraine a toujours connu les tensions entre l’Ouest et l’Est mais nous ne pouvions imaginer qu’un tel conflit puisse arriver. Avant les hostilités, les Russophones et les Ukrainophones vivaient ensemble sans le moindre souci. La grande majorité de la population n’était pas prête à se battre mais des minorités ont poussé beaucoup à choisir un camp. Le conflit en Ukraine dépasse finalement les enjeux locaux. Il s’agit d’un affrontement entre des grandes forces extérieures.

 

 

Quels sont vos projets ?

 

 

La pandémie a retardé beaucoup de mes projets. J’espère réaliser des documentaires dans l’année. Je travaille actuellement sur mon prochain livre. Une histoire originale qui mérite d’être connue…

 

 

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Photo de couverture : © Cédric Gras

Photos 1,2,3,5 & 6 : © Cédric Gras

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