« Les Ailes de plomb », « Baker Street », « Les Aventures de Philip & Francis », Nestor Burma,… L’univers bande dessinée de Nicolas Barral mêle avec ingéniosité humour et polar. Les ombres s’accommodent finalement bien avec les éclaircies… En effet, le dessinateur dresse toujours le bon contraste. 

Avec son dernier album « Sur un air de fado« , Nicolas Barral nous entraîne cette fois-ci dans le Portugal de 1968 où alors que le dictateur Salazar tombe littéralement de sa chaise, des Lisboètes se retrouvent à affronter la police politique, la PIDE. Coups de matraque, tortures, danses, histoires d’amour… « Sur un air de fado » nous fait ressentir de multiples émotions. Avec son trait unique, Nicolas Barral n’a pas fini de nous surprendre.

Entretien.

 

 

Comment êtes-vous devenu dessinateur ?

 

J’étais enfant unique jusqu’à l’âge de six ans. Le dessin était une de mes occupations favorites. Je prolongeais sur le papier les films ou les feuilletons que je voyais à la télé. Le goût de raconter des histoires vient de là. C’est devenu une vocation quand j’ai compris que l’on pouvait en faire un métier. Après le Bac, j’ai voulu intégrer l’Ecole d’Arts Appliqués Duperré qui avait eu d’anciens élèves prestigieux comme Mézières et Giraud, et où Georges Pichard enseignait encore la bande dessinée. J’ai été recalé. Après une année en fac d’Arts plastiques, j’ai présenté le concours pour entrer à l’atelier BD des Beaux-Arts d’Angoulême où j’ai été reçu en 1987. J’en suis parti au bout d’un an pour démarcher les agences de Presse et les éditions jeunesse.

 

 

Vous avez travaillé notamment pour Ok Podium. Vous y réalisez 200 planches en un an. 

 

 

Oui, le rythme était soutenu, à raison de deux pages par semaine. Les travaux de commande sont essentiels à l’apprentissage. C’est une excellente école d’exigence et d’abnégation.

 

 

Chez Fluide Glacial, vous dessinez les aventures d’Ernest Mafflu. Que retenez-vous de ces années Fluide ?
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J’y travaillais en parallèle à Ok Podium. Il y a eu aussi un court chevauchement avec ma première série « Les Ailes de plomb » dont le tome 1 paraît en 1996 chez Delcourt. Mes parutions dans Fluide glacial étaient trop épisodiques pour que j’aie mon rond de serviette aux repas de bouclage. Mais j’ai beaucoup appris des refus que j’ai essuyés.

 

 

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La série « Les Ailes de plomb » traite du polar et de l’espionnage. Vous avez réalisé 3 tomes. Vous apportez un grand soin aux couvertures d’album. C’est un support majeur ?

 

 

Oui car la couverture est le premier eye-contact avec le lecteur. Elle doit refléter le contenu du livre mais sa composition doit avant tout flatter l’œil de l’acheteur potentiel car la concurrence avec les autres titres est rude. Il faut qu’elle attire. Concevoir l’image que l’on va mettre en « vitrine » est un exercice un peu à part dans lequel l’éditeur est impliqué. Pour les Ailes de Plomb, les couvertures étaient conçues à quatre mains avec Christophe Gibelin.

 

 

Les albums de « Baker Street » ou des « Aventures de Philip & Francis » sont-ils avant tout des hommages à la bande dessinée franco-belge plutôt que des pastiches sur le Royaume-Uni ?

 

 

BKpiredda02Avec Pierre Veys, nous voulions reprendre l’esprit de Goscinny et Uderzo, avec une pincée d’Hergé, de Morris et de Louis de Funès. Même si nous les aimons beaucoup, il y a un plaisir potache à détourner les univers un peu guindés de Conan Doyle et Edgar P. Jacobs. Mais nos parodies sont plutôt gentilles. Nous y mettons juste ce qu’il faut d’irrévérence. Et il y a eu assez peu de plaintes du côté des gardiens du temple. La SSHF (Société Sherlock Holmes de France) nous a même décerné un prix pour Baker Street. Quant aux aficionados de Blake et Mortimer, certains vont jusqu’à préférer nos albums à ceux des repreneurs officiels.

 

 

Votre Sherlock Holmes a-t-il été délaissé au profit de Philip & Francis ?

 

 

Disons que les Aventures de Philip & Francis ont remplacé « avantageusement » Baker Street. Mais je garde une affection particulière pour Sherlock Holmes. J’avais adoré la série TV avec l’acteur Jeremy Brett. Les premiers épisodes étaient plein d’humour. Le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder a été aussi une grande source d’inspiration.

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Avec l’écrivain Tonino Benaquista, vous avez réalisé la série « Dieu n’a pas réponse à tout », « Les Cobayes » (2014) et « Le Guide mondial des records » (2017) . Avez-vous trouvé le narrateur idéal ?

 

 

Nous nous sommes en tout cas bien entendu dès le départ. A l’été 2006, les éditions Dargaud m’ont fait lire le scénario de la toute première histoire de « Dieu n’a pas réponse à tout », écrite sous forme de nouvelle. Je l’ai emportée en vacances et suis revenu avec l’histoire entièrement découpée. J’avais visiblement bien fait mes devoirs car nous avons signé. Depuis, nous aimons à nous retrouver régulièrement. En dehors des aventures divines, nous avons publié deux one shots : « Les cobayes » et « Le guide mondial des records ». Il y a une vraie alchimie lorsque nous travaillons ensemble.

 

 

Que ce soit avec les séries « Dieu n’a pas réponse à tout » ou avec « Mon Pépé est un fantôme » (vous êtes uniquement le scénariste). Pourquoi abordez-vous la mort avec humour ?

 

 

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Dans les deux cas, il s’agit de célébrer la vie. Pour « Mon Pépé est un fantôme », je me suis demandé comment réconforter un enfant confronté au deuil. Mon héros vit un drame mais la vie doit continuer, avec son lot de facéties, dans un mélange d’émotion et d’humour. J’ai reçu des témoignages touchants de la part de lecteurs, petits et grands, ayant eux-mêmes eu à traverser ce genre d’épreuve, qui m’ont dit que la série leur avait été d’un grand réconfort. Dans « Dieu n’a pas réponse à tout », nous ressuscitons les morts célèbres pour rendre un hommage sensible au génie humain.

 

 

A partir de 2013, vous êtes devenu un des dessinateurs de « Nestor Burma » tout en reprenant le style graphique de Tardi. Alors, quel est votre Nestor Burma ?
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Depuis la parution de « Brouillard au Pont de Tolbiac » (1982), tous les Nestor Burma de Malet étaient dans ma bibliothèque. Quand on m’a proposé de m’essayer à l’exercice de l’adaptation, je n’ai eu qu’à aller puiser dans la réserve. Comparé à celui de Tardi, mon Nestor est plus jeune et plus sportif. Peut-être un peu moins cynique. Comme avec n’importe lequel de mes personnages, il y a un phénomène d’identification qui s’opère. Pour paraphraser Flaubert, quand je le dessine, Nestor Burma, c’est un peu moi.

Lorsque vous dessinez les histoires de Nestor Burma, même si la consigne n’est pas clairement énoncée, vous devez vous oublier vous-même et vous couler dans le moule. Comme j’avais réalisé pas mal de bandes dessinées parodiques, il fallait à tout prix que j’évite de tourner Nestor Burma en dérision. Mettre en images les années 50 s’est fait sans effort. Avec « Les Ailes de plomb », j’avais de l’entrainement.

 

 

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Avec ces Mystères de Paris « Boulevard…Ossements » (2013), « Micmac moche au Boul’ Mich' » (2015) puis « Corrida aux Champs Elysées » (2019), comment avez-vous dessiné les 9ème, le 5ème et le 8ème arrondissements de Paris ?
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Comme Tardi le fait quand il prépare une nouvelle histoire, j’ai arpenté les arrondissements en question, l’appareil photo en bandoulière. Et pour la reconstitution historique, j’ai puisé dans les films et les livres de photographies de l’époque. J’ai une affection particulière pour « Micmac moche au boul’mich ». Ayant été lycéen dans le 5ème, cette adaptation m’a permis un retour aux sources.

 

 

« Sur Un air de Fado » (2021), vous traitez des heures sombres de la dictature au Portugal. Vous êtes à la fois dessinateur et scénariste. Est-ce une œuvre qui vous tient à cœur ?

 

 

C’est un bébé que j’ai fait seul, en effet. J’y ai mis toutes les envies que j’avais réprimées au fil de mes collaborations. Avec « Sur Un air de Fado », je pense qu’on accède enfin au « vrai » Nicolas Barral, sans filtre scénaristique extérieur ni paravent parodique. Il s’agit aussi d’une affaire de famille. Mon épouse est portugaise, ma fille m’a aidé sur les couleurs… Et apparemment cette sincérité paie.

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Vous abordez dans l’album les problématiques « Comment devient-on un héros? » et « Comment on sort de l’anonymat? ».

 

 

Etre un héros ne se décrète pas. Au travers de mon personnage, Fernando Pais, je raconte la lente conquête du courage, la somme des empêchements qu’un individu doit vaincre pour s’opposer à la dictature. Je pose aussi la question de savoir si l’on doit juger sévèrement les personnes qui décident de ne pas prendre position. Dans la mesure où on ne sait pas d’avance à quelle catégorie on va appartenir, mieux vaut ne pas se retrouver en situation d’avoir à trancher la question. Par exemple en œuvrant à repousser les tentations populistes. Même si les livres d’histoire sont là pour nous rappeler les fondamentaux qui peuvent mener aux dérives autoritaires, le romanesque est un angle d’attaque complémentaire. « Sur Un air de fado » raconte la tragédie de la dictature au quotidien, à hauteur d’homme.

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Votre personnage Fernando a les traits de l’acteur américain Benicio del Toro. Le cinéma est-il un véritable modèle d’inspiration ?

 

 

FadoOui, je fais mon casting, à la manière d’un réalisateur. J’ai mis en place ce système dès « Les Ailes de plomb », où j’ai embauché Spencer Tracy dans le rôle du truand Courpatas. L’acteur vient avec un « background » qui contribue à donner le charisme nécessaire au personnage. C’est également un bon moyen de se renouveler afin d’éviter de recourir éternellement aux mêmes stéréotypes. Mais je n’ai pas l’obsession photographique. Les acteurs sont des points de départ que je coule ensuite dans mon style.

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Quels sont vos projets ?

 

 

Je pense sérieusement à réaliser une suite à « Sur Un air de fado ». Mais avant, j’ai un autre one-shot en tête. L’intrigue se passera dans le Portugal des années 30 et mettra en scène un héros national portugais.

Après une année passée en promotion, j’ai hâte de retrouver mes crayons.

 

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