Le mot Ama (海女) veut dire en japonais « Femme de la mer ». C’est ainsi que l’on nomme ces pêcheuses sous-marines en apnée que l’on retrouve sur les côtes nippones. Depuis plus d’un millénaire, ces ama pêchaient l’ormeau dans l’océan avec pour seule tenue un simple pagne. De nos jours, même si elles continuent la pêche, ces plongeuses sont de plus en plus rares – reflet d’un certain monde qui s’éteint progressivement.

Dans « Ama : Le Souffle des femmes » (Trophée de bronze au Japan International Manga Award 2021), l’écrivain Franck Manguin et la dessinatrice Cécile Becq racontent l’histoire de Nagisa qui débarque à la fin des années 60 sur la petite île d’Hegura. La jeune tokyoïte va alors devenir une véritable ama.

Entretien avec Cécile Becq afin d’en savoir plus sur cette aventure entre terre et mer.

 

 

 

Devenue illustratrice/dessinatrice, ce fut une envie, une passion ou une évidence ?


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Je dessine depuis l’enfance. J’ai fait tout d’abord une faculté d’arts plastiques puis je me suis orientée vers l’école d’illustration Émile Cohl à Lyon. Je ne me suis jamais vraiment posée de questions : le dessin était ma passion et je voulais en faire mon métier. 

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Vous avez commencé en tant qu’illustratrice de couvertures de livre. C’est un plaisir d’interpréter la pensée d’un autre ?

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J’aime en effet synthétiser la pensée d’un auteur ou du livre en une seule image. Je dois faire en sorte d’attirer l’œil du lecteur tout en faisant ressortir l’esprit du livre, les idées de l’écrivain. J’aime cet l’exercice. 

Pour la série de romans jeunesse des « Missions vétos », je réalise les couvertures et les illustrations. A chaque fois, je m’adapte au style de livres et au public recherché.

Même lorsque j’ai écrit le livre « Maisons extraordinaires », il y avait encore et surtout l’envie de dessiner.

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Vous utilisez la peinture à la gouache et à l’acrylique mais également le numérique. Comment avez-vous à conjuguer les différents types de matériel ?

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Tout dépend du projet, de l’histoire, de budget et de temps. Je vais privilégier la gouache ou l’acrylique pour un conte. Pour le dessin de presse, ce sera surtout du numérique. Je ne dessine pas de la même manière selon le matériel. Je ne me vois pas dessiner mes bandes dessinées avec du matériel traditionnel.

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Franck Manguin est un auteur-scénariste qui connaît parfaitement la société japonaise. Comment avez-vous trouvé votre place en tant que dessinatrice d' »Ama » ?

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Même si j’étais déjà venue au Japon, c’était il y a très longtemps et je n’avais pas entendu parler des ama. Franck devait être scénariste et dessinateur. Suite à une impossibilité de temps, on m’a alors proposé d’être la dessinatrice du projet. Franck avait déjà conçu le 07-ama-storyboard. J’ai eu la liberté de le reprendre et de le remanier. Même si j’ai ajouté ma touche personnelle, je suis restée fidèle à l’esprit du dessin de Franck. 

Je me suis beaucoup renseignée sur les codes du Japon. Franck m’a d’ailleurs beaucoup orienté sur notamment les différents kimonos et les tenues de travail. Nous voulions être le plus près possible de la réalité.

L’histoire d' »Ama » permettait également de décrire des paysages magnifiques et des personnages marquants. Les ama sont fascinantes : C’est une communauté matriarcale et respectueuse de l’environnement. Elles refusent les bouteilles d’oxygène et les combinaisons de plongée afin de s’habituer à l’eau glaciale. Leur métier est très dur. Elles forcent le respect.

J’avais envie de dessiner l’environnement maritime. J’adore le mariage entre la mer et la figure féminine. Même sur mon compte Instagram, on retrouve cet aspect sur ma photo de profil. Cette femme est à la fois sous l’eau et à la surface. Le corps féminin sous la mer a une vraie grâce. 

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Vous illustrez la nudité. Elle est à la fois un symbole de liberté féminine mais aussi un sujet érotique dans l’art japonais. Le point de vue est-il différent si l’on est un homme ou une femme ?

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Les ama sont en effet un important sujet de l’érotisme au Japon. Leur culture physique est hors norme et force le respect dans un pays pourtant très patriarcal. Et en même temps, les ama peuvent être perçues comme des figures assez masculines et loin du cliché de la femme japonaise. Elles ont les mains abîmées par le travail, la peau brûlée par le sel et le soleil.  Beaucoup de ces femmes finissent leur vie aveugles et sourdes.  

Avec mon regard extérieur, ce fut très intéressant d’observer ces différents aspects et d’apporter aux corps nus de ces femmes quelque chose de tout à fait naturel, car la nudité fait partie de leur quotidien.

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personnages

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La couleur bleu envahit l’album. Les personnages sont-ils sans cesse sous l’eau même à la surface ?

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On peut le voir ainsi. Je voulais en effet apporter cette dimension marine avec cette nuance de bleu. Il est à la fois apaisant et nostalgique. Cela contrebalance avec ce qu’endure Nagisa. J’ai fait plusieurs essais avant de choisir ce bleu passé mais l’idée de la bichromie s’est imposée tout de suite.

J’ai également étudié la lumière et les ombres sur les corps et sous l’eau. 

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Le choix de Nagisa de partir l’île afin d’éviter le mariage irrite-il les autres femmes ou finalement ces dernières l’envient d’avoir décidé de vivre libre totalement ?

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Les ama voient le départ de Nagisa comme une trahison. La liberté totale se paie de toute façon. Nagisa a fait des choix en demi-teintes et a payé un lourd tribut de par ses choix de liberté. C’est une fin à la fois douce et amère.

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Souhaiteriez-vous rencontrer un jour une ama ?

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Oui mais je serais sûrement très intimidée. Le métier est en train de disparaître après des siècles de tradition. La fin de l’histoire se déroule d’ailleurs durant le déclin des ama. La pêche traditionnelle aux ormeaux disparaît à cause du réchauffement climatique, du braconnage avec bouteilles d’oxygène et des chalutiers qui raclent le sol marin.

Franck et moi-même avons également le souhait que notre album sorte au Japon.

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Quels sont vos projets ?

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Je vais réaliser ma seconde bande dessinée à nouveau chez les éditions Sarbacane, cette fois ci en tant qu’autrice complète. L’histoire se déroulera en Écosse dans les années 30 et parlera notamment des rapports entre sœurs. Je voulais dessiner une histoire intimiste sur d’autres rivages, ici ceux de l’île de Skye.

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becq 2020

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