Né en 1962 de l’imagination du scénariste René Goscinny et du dessinateur Jean Tabary, le Grand Vizir Iznogoud qui veut « devenir calife à la place du calife » n’a pas fini de nous faire rire. Au fil des 30 albums, ce véritable anti-héros met toutes les volontés du monde pour arriver à ses fins. Depuis presque 60 ans, Iznogoud échoue pourtant lamentablement. Depuis plus de dix ans, Nicolas Tabary a succédé à son père au dessin. Il partage cette année l’album « Moi, calife… » avec Elric. Rencontre avec ce dernier, nouveau dessinateur de cet impossible Iznogoud.

 

 

 

« Marche ou rêve », « Harpignies », « Trivial pour cuites » – les univers sont différents et pourtant c’est le même dessinateur. Y’a-t-il un style Elric ?

 

 

« Marche ou rêve » n’est pas un bon repère parce que je ne faisais que le crayonné. L’album ne transcris pas vraiment mon style à cette époque, pour ça il vaut mieux se référer à mes histoires courtes parues dans les collectifs Onapratut.

« Trivial pour cuites », c’est avec le personnage de la Petite souris. Je l’avais crée en 2006 pour un blog. Je me suis pas mal inspiré des physionomies de Floyd Gottfredson et d’une ligne épurée à la Sempé.

Harpignies est le style ligne claire qui me vient naturellement.

En fait, j’ai le sentiment que chaque histoire appelle un style. Que ce soit logique ou pour créer un décalage. Quand j’ai créé « Romance » j’ai immédiatement envisagé le rapport comique du texte en confrontation au style graphique des comics de l’époque.

En tout cas, pour chaque projet et quel que soit le style, j’ai quand même l’impression d’arriver avec ma manière de faire.

J’ai le sentiment que ça déroute parfois parce qu’on suit plus logiquement quelqu’un pour son style, mais il y a eu bon nombre de gens qui en ont eu plusieurs. Attanasio et Uderzo ont alterné le dessin humoristique et réaliste. Riad Sattouf a commencé avec le réalisme, Zep alterne les projets différents de Titeuf, etc.

 

 

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Comment est né le personnage de Witchazel, mulote sorcière et enquêtrice ?

 

 

 

C’est parti de l’envie de l’éditeur Pierre Paquet de publier une série animalière. Il connaissait ma Petite souris et il m’a encouragé à explorer une voie plus franco-belge que mon inspiration disneyenne. Alors avec François Darnaudet on a commencé à réfléchir, le premier souhait de François était qu’on ait des animaux dans une Venise urbaine, mais Pierre Paquet nous a repris en insistant sur un univers bucolique. Il y a évidemment un peu de Macherot en référence.

 

 

 

Comment avez-vous été associé au projet d' »Iznogoud – moi, Calife », véritable trésor de la famille Tabary ?

 

 


Nicolas Tabary ayant annoncé qu’il arrêterait pour se consacrer à ses projets, lesiz1 éditions Imav avaient engagé Stéphane Beaujean pour recruter quelqu’un pour le remplacer. Donc Stéphane qui voyait sur les réseaux sociaux mes hommages aux bandes dessinées que j’aime à détecté chez moi une capacité à aller vers le style de Jean Tabary et il m’a demandé si ça m’intéressait. J’ai répondu oui tout de suite et j’ai commencé à être testé. Il m’a envoyé un scénario de quelques pages. C’était pendant le premier confinement, donc j’avais du temps ! J’ai fait 3 pages et demie, mais je les ai beaucoup retravaillées, plusieurs fois, et après 3 mois ils ont été convaincus.

 

 

 

Avez-vous trouvé votre propre style dans les aventures du vizir ?

 

 

 

L’idée c’était quand même d’aller vers un style proche de Jean Tabary, donc je m’y applique avec les albums toujours ouverts à côté de moi. J’ai même imprimé des pages en noir et blanc au même format que mes planches pour respecter l’épaisseur de son encrage. J’ai même appelé Yannick Hodbert avec qui je m’entends très bien et qui travaillait dans Pif et était un ami de Jean Tabary. Je lui ai demandé sur quel papier et avec quelles plume et quelle encre ce dernier travaillait. Il se souvenait parfaitement des références. Les plumes Gillot et du papier Schoeller Parole, mais il se trouve que le papier n’est plus produit. Je travaillais d’ailleurs dessus sur Witchazel, mais j’ai changé pour un Bristol de Clairefontaine. Et les plumes Gillot sont devenues de mauvaises qualité. Je les ai tordu en deux traits… Donc je suis resté sur les plumes G.

Je me suis fixé sur le style des dernières histoires créées avec René Goscinny, comme pour recréer un lien avec lui. Je m’applique, mais malgré tout j’ai l’impression que quelque chose de moi transparait. C’est difficile à expliquer, mais par exemple je trouve que Conrad dessine Astérix avec énormément de talent, mais j’arrive à discerner son trait de celui d’Uderzo. Quoiqu’il arrive on a une sensibilité qui ressort.

 

 

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Ces deux aventures d’Iznogoud « L’examen du Calife » et « La toile du Djinn » sont-elles les premières d’une (longue) série pour vous (Passage de relais avec Nicolas Tabary) ?

 

 

Je suis en train de dessiner le prochain album. L’idée est effectivement d’être inscrit dans la durée. 

 

 

Vous dessinez le paysage de Bagdad avec beaucoup de fantaisie (comme un conte des 1001 nuits) pour progressivement avoir des personnages et des situations proches de notre temps. Avec Iznogoud, le Xème siècle doit-il être avant tout XXIème siècle ? 

 

 

 

En ce qui concerne le scénario, oui. Bagdad n’est pas réaliste et est seulement un lieu et une époque prétextes pour avoir de la magie et permettre toutes les fantaisies.IZ4 Cela permet de faire un tas de références à notre époque et de créer un amusant décalage. 

Pour le dessin, c’est plus compliqué. Par exemple, dans « L’examen du Calife » j’ai dû dessiner une salle de classe. Quand Jean Tabary faisait ça, il reprenait le style de son époque (bureau, tableau noir, tables en bois typiques…) en y ajoutant une touche orientale fantasmée par lui. Seulement, en 2021, une salle de classe est constituée de matériaux qui s’inscrivent difficilement dans l’esprit du Xe siècle. Je me vois mal mettre un bureau avec une structure en métal, un tableau Velleda, etc.

Je suis un peu obligé de composer avec un mobilier en bois, donc pour l’instant je suis pas mal à cheval entre le Xe siècle et les années 50/60 en France.

 

 

Quels sont vos projets ?

 

 

J’avais plusieurs choses qui étaient en cours de route avant de commencer Iznogoud. Rien n’était signé, c’étaient juste des projets, mais je continue à un peu les développer dans mon temps libre. On a aussi une association avec des amis : Le Portillon, et son site Marsam.graphics. On publie des articles et des bandes dessinées courtes. Dernièrement on a aussi co-édité avec Onapratut un album collectif d’histoires courtes brésiliennes avec des autrices et auteurs contemporains. On a récemment acheté des droits pour traduire et publier une BD japonaise ancienne qui devrait sortir en 2023.

 

 

Selon vous, Iznogoud deviendra-t-il enfin Calife a la place du Calife ? 

 

 

Alors, c’est déjà arrivé qu’il touche du doigt son objectif, ou qu’il soit Calife quelques instants, mais durablement non. Et puis, vu son caractère, j’espère que ça n’arrivera jamais !

 

 

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