L’horreur voici un monde bien difficile à retranscrire. Comment peut-on raconter la violence, l’effroi ou la reconstruction de soi ? Alors d’autres utilisent des mots pour décrire ce qu’ils ont vécu dans leur chair, certains vont utiliser le dessin. Etre témoin, être victime, être survivant – Comment peut-on sortir du gouffre et continuer à vivre tout simplement ?

La dessinatrice Coco se souviendra toute sa vie de ce 7 janvier 2015 où le feu et l’horreur se sont abattus au sein de la rédaction de Charlie Hebdo. En quelques instants, tout a basculé : Charb, Wolinski, Tignous, Cabu,… tous sont tombés sous les balles des assaillants. Avec son album «Dessiner encore», Coco témoigne et se souvient : De ses premières aventures chez Charlie Hebdo, de ses doutes en tant que dessinatrice, des rigolades avec les autres de la rédaction, de l’attaque, de la reconstruction (par le dessin). Dessiner encore et toujours.

Entretien.

 

 

Le moteur de votre album est la Grande Vague de Kanagawa réalisée au XVIIIème siècle par le grand artiste japonais Hokusaï. C’est une force toute puissante face à nos vies éphémères. Sommes-nous finalement plus forts que cette vague ?
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La symbolique de la vague telle qu’Hokusaï l’a présentée c’est la force, la menace, la griffe et la violence qui va s’abattre sur une petite embarcation. Tout au long de nos vies, il y a des vagues qui nous menacent. La vie connaît des moments de calme mais aussi des moments de houle. Nous ne sommes pas plus forts mais nous devons faire face à ces vagues tout au long de notre vie.
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Lors du festival de Quai des bulles de cette année à Saint-Malo, vous vous êtes  baignée. Est-ce également une façon d’affronter les vagues ou tout simplement continuer à avancer, à vivre ?
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Je ne rapporte pas toute ma vie au livre (rires). Mais je n’ai plus envie de manquer des occasions. J’adore la mer et même si l’eau est froide, j’y vais. Je veux profiter d’un moment unique. De plus, lors de ma baignade en Bretagne, le temps était agréable et il y avait un arc-en-ciel. Lorsque vous faites la planche sur l’eau, vous pouvez à un moment donné entendre votre cœur. J’aime me sentir vivante.
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Dans « Dessiner encore », vous consultez deux spécialistes afin de vous aider à surmonter les épreuves. La première expérience n’a pas été satisfaisante et vous le montrer dans l’album. Était-ce une façon de dire que même témoigner à travers le dessin, ce fut un exercice difficile ?
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C’était un moyen de thérapie. Même si la première n’a pas fonctionné pour moi, elle a réussi avec d’autres membres de l’équipe. Je ne sais pas vraiment pourquoi cela n’a pas marché pour moi. Je suis peut-être trop rationnelle. Cependant j’ai voulu montrer cet épisode dans « Dessiner encore » car c’était un cheminement. Lors de la rencontre avec monsieur Jean, le rapport a été plus simple- basé sur l’échange et la parole. C’est un thérapeute spécialiste du trauma et il est également « en-dehors de tout ». Ce fut donc plus facile de se livrer sur le long terme. J’avais réellement besoin de poser des « espaces » entre moi et le 7 [janvier 2015].
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Les pages de « Dessiner encore » se tournent parfois de façon plus rapide, changeant ainsi le rythme de lecture. Avez-vous ainsi mieux accompagné le lecteur ?
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Je voulais l’accompagner avec le rythme qui lui permette aussi de trouver cet espace.etsi L’attentat de Charlie Hebdo m’a directement touchée mais aussi l’équipe et certainement toute la France.  Le 11 janvier 2015, 4 millions et demi de personnes ont manifesté dans les rues. Des soutiens ont été envoyés de partout.
Certaines parties de « Dessiner encore » ont un aspect plus BD, plus séquencé. D’autres sont de l’ordre de l’introspection. Je devais alors trouver de l’ampleur. Il fallait dégager des sensations par le dessin et par le rythme pour la compréhension du lecteur.
La séquence des « Et si » est notamment très morcelée avec une accélération. Avec la construction des pages, le dessin a ainsi pu exprimer des choses de façon plus efficace.
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Le bleu et le rouge avec toutes leurs nuances peuvent s’avérer oppressants et parfois rassurants. Est-ce que ce sont des couleurs que vous voyez autrement, aujourd’hui ?
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Dans « Dessiner encore », le bleu et le rouge sont dans une forme de dualité. Je ne pouvais raconter l’horreur et le trauma trop littéralement. Apres l’éclatement, les vagues reviennent. Le bleu et le rouge se mélangent alors et forment du brun. Dans mes dessins de presse, j’utilise rarement le symbolisme. Dans « Dessiner encore », j’ai surtout utilisé des métaphores. Il est difficile de partager des sentiments et des expressions. J’ai donc utilisé des astuces.
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Dans « Dessiner encore », votre corps est uniforme comme nu. Est-ce une façon de montrer votre honnêteté face au lecteur ou un réflexe de dessin de presse de ne pas apporter trop de détails ?
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Un peu les deux. Je ne voulais pas m’embarrasser de vêtements car je voulais aller à l’essentiel du personnage. Il n’est même pas dessiné de la même façon que les autres. J’apporte plus de soin à illustrer Charb, Cabu ou Tignous. Ce sont des figures qu’il faut monter. Je ne voulais pas non plus subir d’effet miroir. Il est difficile de se livrer totalement. Mon personnage est un simple bonhomme.
Le manque de vêtements montre en effet une mise à nu. Je ne dis certes pas tout mais je me livre beaucoup en effet.
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Par cet album, adressez-vous une lettre d’amour à Cabu ?
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Même si c’est un hommage à toute l’équipe de Charlie Hebdo, Cabu a particulièrement compté. Il aimait beaucoup l’arrivée de nouveaux dessinateurs et de dessinatrices au sein de la rédaction. Cabu avait un réel esprit de transmissions. Nous apprenions sur le tas en regardant, en écoutant les plus anciens. Cabu ne refusait jamais de regarder votre dessin et de vous conseiller. Même si ce que vous veniez de faire était nul, il avait l’élégance de ne pas vous le dire directement. Je n’ai jamais connu personne plus gentil que Cabu. Il était passionné par le dessin et aimait transmettre cette passion.
Tignous était par contre cash mais d’une certaine manière cela me motivait également.
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Malgré leur disparition, est-ce que vous sentez que vos amis assassinés sont toujours avec vous ?
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Depuis l’attentat, sans le dire, nous sommes tous conscients qu’il y a trop d’absents autour de la table de rédaction de Charlie Hebdo. Constamment je me pose la question: « Comment Cabu ou Charb aurait pu faire ce dessin? ». J’y pense encore. Certains de leurs dessins sont toujours incroyablement d’actualité. Ceux qui ont disparu étaient des visionnaires animés par des valeurs fondamentales nées avec l’esprit des Lumières. Ils ont toujours lutté pour la cause animale, pour le droit de rire de tout, contre le sexisme et l’obscurantisme. L’ambiance chez Charlie Hebdo était à la fois enfantine, déconnante et très prolifique. L’écrivain Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021, a dit que nous faisons sans cesse appel à nos souvenirs – qu’importe qu’ils soient tristes ou heureux. Nous sommes des êtres toujours mélancoliques.
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Vous vous attachez beaucoup aux détails. Il y a des scènes dans « Dessiner encore » de la vie quotidienne à Charlie Hebdo. Vous vouliez montrer que l’équipe dans son authenticité ?
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Absolument. Des détails me sont revenus et ils sont devenus de grandes choses pour moi. Le 7 janvier 2015, lorsque je quitte la salle de rédaction, je pose ma main sur l’épaule de Tignous juste pour lui dire au revoir. Je mentionne ce détail car ce geste est vertigineux en pensant à ce qui s’est passé quelques instants plus tard.
Un autre épisode me revient en mémoire : j’ai demandé conseil à Cabu à propos d’un dessin sur la ministre Christine Lagarde. Il me dessine alors un petit dessin sur un petit bout de papier qui venait d’une feuille de palette de Luz. Ce fut un grand détail qui m’a construit en tant que dessinatrice.
Charlie c’était la simplicité et la gentillesse.
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Certaines figures comme celles de vos proches sont plus discrètes. Est-ce une façon de témoigner tout en gardant une certaine intimité ?
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A l’heure où tout le monde affiche tout sur les réseaux sociaux, je n’ai pas eu envie de tout montrer. C’était une façon de me protéger. Suite à l’attentat, le trauma a affecté ma famille pendant 3 ans. Tout comme la protection policière, je voulais la mentionner sans clairement la montrer. Mon conjoint a été d’une grande aide pendant toutes ces années et il a été touché de se voir dans l’album même sous la forme d’une silhouette.
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En tant que dessinatrice que Charlie Hebdo et de Libération, vous devez trouver quotidiennement le bon dessin avec une actualité qui va de plus en plus vite. Est-ce toujours un exercice difficile malgré les années d’expérience et de travail ?
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Bien entendu. C’est une façon aussi de se dépasser. De plus, je doute tout le temps. Même encore à Libération, il est difficile de succéder à un dessinateur aussi talentueux que Willem. Il a passé 40 ans à dessiner pour Libération. Il y a 5 dessinateurs que j’adore : Cabu, Reiser, Vuillemin, Charb et Willem.
L’activité quotidienne demande un vrai travail de revue de presse. Parfois, j’angoisse face à la feuille blanche, parfois je suis plus inspirée, parfois je me laisse aller. Si j’ai envie d’être légère, je le suis- si je veux être plus engagée, je le suis également.
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Que pouvons-nous espérer pour 2022 ?
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On souhaite que les 6 millions de français non-vaccinés se vaccinent enfin… J’espère également que nous pourrons profiter de la vie le mieux possible.
Professionnellement, je vais suivre l’élection présidentielle. Ce sera tout aussi passionnant que désagréable (rires). J’aime le dessin de presse car l’actualité rebondit constamment. Après les élections, j’espère pouvoir me lancer dans un autre livre. Nous verrons.
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