Au fil du temps et des saisons, la nature a toujours été une source infinie de savoirs. Courges, pommes, pois, fraises ou encore asperges- Le monde végétal n’en finit pas de nous surprendre.
En 1678, alors que le château de Versailles continuait sa construction, le roi Louis XIV ordonnait la mise en place de son potager à proximité du nouveau lieu de pouvoir. Jean-Baptiste de La Quintinie, directeur des jardins fruitiers et potagers de toutes les maisons royales, réalisera un lieu somptueux qui continue encore de nos jours d’être un véritable lieu de vie. Ouvert au public depuis 1991, le Potager du Roi est également le site historique de l’École nationale supérieure de paysage.
En plein cœur de cet admirable lieu de Versailles, parmi les arbres fruitiers et les chats, nous nous sommes entretenus avec Antoine Jacobsohn, Adjoint au Directeur en charge du Potager du Roi.

 

 

En quoi le Potager du Roi est un lieu à part à Versailles ?

 

 

Il l’est à plusieurs niveaux. D’un point de vue administratif, depuis 1874, ce site ne fait plus partie du domaine national de Versailles à l’instar des terrains militaires ou de La Lanterne. Même avant cette date, le Potager du Roi avait déjà connu des allers et venues sur le plan administratif.

Mais finalement le caractère à part du Potager du Roi existe depuis sa conception. Dès le début, le Potager fut un lieu à la fois utile et agréable. Pour le Roi, et donc pour la nation, le Potager était à la fois un espace assurant la sécurité alimentaire mais également un jardin qui devait être beau.
Surtout, le Potager du Roi n’est pas seulement un jardin : c’est, dès sa conception et comme encore aujourd’hui, un lieu d’apprentissage. C’est le site historique de l’École nationale supérieure de paysage.

Tout en étant unique dans ses fonctions, le site est une partie intégrante de Versailles. Par son positionnement géographique, le Potager est tout autant dans la ville que dans le parc. Il fait partie des dépendances du château au même titre que les écuries du roi, la ménagerie ou l’orangerie. Versailles a été remodelé pour n’être qu’une représentation de la France. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, toute chaumière et tout château avait un jardin nourricier.

 

 

 

En quoi l’avocat Jean-Baptiste de la Quintinie apporte du renouveau en termes d’agronomie, d’architecture et de paysage ?

 

 

 

En effet, il n’était pas exclusivement jardinier. La Quintinie avait le projet de réaliser plus qu’un jardin. Il voulait améliorer la production agricole en qualité et en quantité. Dans son ouvrage « Instruction pour les jardins fruitiers et potagers » (1690) publié deux ans après sa mort par un de ses fils, il est rappelé que La Quintinie a écrit mais aussi jardiné pour leLAQ roi tout en ayant la volonté de donner un meilleur avenir à son pays. Ce jardinier-savant était à la fois un courtisan et un progressiste. Son étude sur la plante et la circulation de la sève a en effet permis de mieux structurer l’arbre et de mieux gérer la quantité de production.
Même si les écrits de La Quintinie sont moins explicites sur les légumes que sur les fruits, ils révèlent que l’auteur a étudié avec ses jardiniers et a consulté d’autres professionnels qu’il appelle maraîchers.
Les apports de La Quintinie à l’agronomie et à l’architecture sont un mélange d’innovation et de tradition. Pour étudier les plantes, il a utilisé le microscope, nouvelle technologie à l’époque. L’architecture de jardin qu’il a réalisée à Versailles, à Sceaux ou encore à Saint Ouen-sur-Seine deviendra un modèle de réalisation des jardins potagers des XVIII
e-XIXe siècles. Il me semble que sa conception du jardin est finalement une synthèse entre le jardin italien (où on recherche l’ombre) et le jardin d’Europe du Nord (où pour lutter contre l’humidité, on réalise des promenades en hauteur). La Quintinie a su cristalliser un véritable archétype de jardin.

 

 

Versailles avec ses marais est au XVIIe siècle un lieu difficile à vivre et à exploiter. Comment le Potager est-il devenu un haut lieu de la gastronomie?

 

 

 

Il est surprenant que ce site ait pu en effet devenir un véritable terroir. Louis XIV et son architecte Jules Hardouin-Mansart ont imposé que le nouveau Potager de Versailles soit construit sur un marécage. Le paysagiste-concepteur André Le Nôtre a alors proposé de creuser un trou afin de drainer ce dernier. Le jardinier-savant Jean-Baptiste La Quintinie a suivi avec 900 tombereaux de fumier tous les ans afin de construire et maintenir des terres fertiles. Le Potager a connu ce processus chaque année pendant 100 ans. 340 ans plus tard, en 2021, le résultat est excellent. De grands dégustateurs viennent ici afin de découvrir nos plantes aromatiques. Ils sont même surpris de l’intensité de leurs arômes. Il y a également une réelle qualité dans les laitues ou encore les épinards. Nous avons un terroir pour les légumes-feuilles et pour les légumes-racines. C’est le résultat du savoir-faire des jardiniers vis-à-vis des sols et des plantes. Pour les fruits à pépins (poires et pommes), le goût est aussi au rendez-vous tous les ans. Pour les fruits à noyau (abricots, cerises, pêches, prunes), tout comme pour les légumes-fruits (aubergines, melons, tomates…) les résultats gustatifs dépendent à la fois des variétés et de l’année. Il faut choisir dans nos produits ce qui est bon au bon moment.

 

 

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Pourquoi y a-t-il encore ce besoin de vendre les produits du Potager de nos jours ?

 

 

Nous avons le souhait de partager. Vous pouvez régulièrement repartir du Potager du Roi avec des produits frais commeDSC04139 du romarin ou des produits transformés comme du sirop de lavande, du confit de sarriette ou du jus de pomme. Même en goûtant à votre domicile, vous pouvez être transporté autre part grâce au goût.
Versailles est un haut lieu de toute l’histoire de France. Au Potager du Roi, nous rappelons qu’il y a eu des pénuries alimentaires au XVII
e siècle et que Louis XIV a tenu à s’en protéger en construisant son propre potager. La santé passe par le bien manger et le bien manger nécessite une dégustation attentive. L’école de paysage est attentive à la santé du paysage et à la santé des humains.

 

 

Quelle est la plus belle saison au Potager du Roi?

 

 

Je suggère toujours de venir trois fois: pendant la floraison des arbres (fin mars-début avril), en septembre lorsque le jardin est une vraie corne d’abondance, puis en février lors du gel car c’est alors qu’on voit le squelette du jardin, à la fois ses défauts mais aussi ses forces.

 

 

Un potager a-t-il sa place en ville?

 

 

Absolument. Il est évident que la production en ville ne trouvera jamais assez de place pour rendre la ville autonome. La ville aura toujours besoin de la campagne. Cependant, produire en milieu urbain permet de renforcer un tant soit peu les réserves alimentaires. Pendant un confinement, cela peut devenir utile…

D’autre part, produire en ville est un relai avec la campagne à deux niveaux. D’abord les urbains peuvent ainsi mieux comprendre les activités rurales ou, pour le dire autrement, produire en ville possède une fonction pédagogique. Ensuite, le site de production en ville est un lieu relai pour la production à la campagne. Au même titre que le Potager du Roi, les fermes urbaines ne vendent pas seulement leurs propres produits mais également ceux de leur réseau de producteurs avoisinants.

 

 

Le Potager du Roi est également le lieu de l’École nationale supérieure de paysage – ce bien commun. Le paysage a-t-il été trop longtemps négligé selon vous?

 

 

Sur le fond, je ne le pense pas. Par contre, pendant longtemps, nous n’avons pas été conscients de la présence ou de l’importance explicite du paysage sans pour autant avoir arrêté d’en jouir. Le paysage est en effet un bien commun ; un point de départ et un point d’arrivée de nos activités.

La prise de conscience de ce qu’est le paysage est une histoire complexe. Le Potager du Roi est issu de la collaborationtitre entre un paysagiste, un jardinier et un architecte. Dès le début, ce site a été un lieu d’expérimentation. Si on ne continue pas à faire évoluer le Potager du Roi, on ne respecte pas l’idée initiale. Le paysage n’arrête jamais de changer. Se former au paysage, c’est ouvrir son esprit aux différentes formes de paysage (jardin, quartier, ville, pays) et aux changements que nous souhaitons. Tous nos étudiants et tous nos visiteurs doivent faire cet exercice. Le paysage est un métier qui mêle l’artiste, l’ingénieur et le jardinier. C’est également de la médiation.

A l’école de paysage, il faut réussir à transmettre des savoirs et savoir-faire mais il faut aussi préparer les esprits à ce que nous n’avons pas encore enseigné, à ce que nous ne savons pas encore. Comment changer et rester fidèle ? Le Potager du Roi a connu des changements imposés par les différents contextes mais l’utilité et la beauté du lieu ont toujours été préservées.

Chacun a un attachement particulier au Potager du Roi. Aujourd’hui, comment respecter la vision des différentes communautés qui veulent participer à sa conservation tout en faisant évoluer le site? C’est un défi que nous souhaitons relever car c’est un véritable enjeu de société : préserver un lieu tout en réussissant la transition écologique.

 

 

 

Vous dites « Planter pour ne pas se planter ». Le jardinage c’est transmettre du bien au futur ?

 

 

 

La valeur universelle du Potager du Roi, c’est qu’il est un jardin-école. Pour s’améliorer il faut faire, refaire et faire encore. Ce que l’établissement voudrait réussir c’est former des paysages, ce qui est aussi un travail de sensibilisation de toute la population à l’environnement, car le paysage est, encore une fois, comme l’écrit Ana Teodorescu, à la fois un point de départ et un point d’arrivée.

 

 

 

 

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