Sur les murs de nos rues, un visage s’expose. Yeux plissés, bouche tordue, nez fripon et bien souvent de toutes les couleurs : Gregos s’incruste. Depuis plusieurs années, cet artiste s’expose en effet dans l’espace public et se met bien souvent là où on ne l’attend pas. 
Entretien dans les rues de Montmartre.
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Votre art est né en fait pour protester contre le bruit des étudiants de l’école de musique installée près de chez vous, est-ce que votre expression est avant tout silencieuse?
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A l’exception des boîtes à musique installées par ci par là, tout l’art de rue est silencieux. Le mien est cependant expressif. Il est comme muet comme la pantomime. J’ai notamment voulu rendre hommage il y a 10 ans au mime Marceau en collant un visage maquillé Avenue Marceau à Paris. Il est d’ailleurs toujours en place.
J’ai également réalisé un visage avec les yeux ouverts. L’exercice fut moins difficile que je ne le pensais. Les personnes âgées me faisaient la réflexion comme quoi avec les yeux fermés on avait l’impression qu’il s’agissait de cadavres. Mais avec les yeux fermés, le visage est plus expressif. On peut le voir d’ailleurs avec les sculptures de Franz Xaver Messerschmidt où il y a beaucoup de rides qui sont dessinées.
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Ce visage, est-ce un autoportrait ou s’agit-il finalement d’une autre personne ?
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C’est le moule de mon visage. Lors des réalisations, le résultat avec le polyester est tout blanc. Donc c’est vrai que je ne me reconnais pas. De plus, le moule est ancien et depuis, mon propre visage a vieilli. Le premier (celui qui sourit) a été réalisé en 2010. J’espère en réaliser un nouveau un jour notamment pour comparer.
Mon visage est devenu comme un tag, une signature. Plus jeune, avec mes amis, je réalisais des graffiti dans la rue. On veillait à ce que notre signature soit unique.
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S’agit-il d’une œuvre très personnelle avec les joies ou les colères ? Des lieux d’installation sont-ils choisis spécifiquement ?
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Certains endroits sont en effet particuliers pour moi. Au Passage des Abbesses (Paris 18), j’ai installé un visage avec des mains. Ces dernières ont une fourchettegregos1 et un couteau. C’était ma façon de célébrer les réouvertures des cafés et restaurants après le confinement. En face, il y a le café Saint Jean qui est devenu mon QG. De là, j’aime regarder et observer ce qui se passe au Passage des Abbesses.
Mon art est très présent à Montmartre car c’est un quartier qui m’est cher. Dès ma jeunesse dans les années 80, je venais ici. Avec mes amis, nous allions en train, à vélo ou en mobylette. Mon fils est d’ailleurs dans une école de Montmartre.
Lors de mes passages dans des villes en Province ou à l’étranger, je ne choisis pas spécifiquement des endroits. Je me balade dans les grandes artères et je colle mes visages sur les murs là où il n’y a pas d’art de rue.
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Les visages sont maquillés, parfois accompagnés de mains, ils sont sur les murs, sur le sol, sur les troncs d’arbres… Est-ce une façon de sortir du cadre ?
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Je ne veux pas m’enfermer. Lorsque j’installe des mains c’est aussi une façon de s’exprimer davantage comme le mime Marceau avait l’habitude de le faire.
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Y’a-t-il des visages cachés ?
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Oui. Lorsque je vois un trou, j’en pose un. Certains sont sur des serrures de banque par exemple. Les plus grands que je colle à Paris font 20 cm par 12. Les plus petits font 9 cm par 3. Ils sont faciles à installer un peu partout.
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Que penser du vandalisme ou du vol ?
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Ce sont les lois de la rue. Lorsque je vois un billet de 500 euros par terre, je suis le premier à le ramasser. Je prends ma photo puis l’œuvre appartient alors à la rue.
Un artiste américain m’avait raconté un jour qu’il aimait se faire voler dans les galeries car elles ont des assurances. J’ai retrouvé parfois mes têtes sur le Bon coin. Un type de Miami avait acheté deux de mes œuvres via mon site internet. Je les envoie ensuite par courrier. Des mois plus tard, le même acheteur m’envoie des photos de 5 de mes visages en vente dans un yardsale. Ils étaient juste repeints vulgairement en blanc, posés dans une bassine et vendus 5 dollars pièce.
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Votre art vous surprend-t-il ?
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Certains visages restent collés sur les murs pendant des années .La première fois que j’ai collé à l’étranger c’était à Malte. C’était en 2010. J’ai reçu il y a quelques mois une photo d’un de ces visages. Il est toujours là intact.
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Présent à Paris, en Province, en Guyane, Los Angeles, Athènes, Berlin… Votre art vous fait voyager ou il vous accompagne simplement ?
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Je ne sors jamais sans une bombe de peinture et il m’arrive d’emporter quelques visages. Avant la pandémie, je pouvais passer une semaine dans une capitalegregos5 étrangère principalement et je posais mes œuvres. C’était comme trouver un nouveau terrain de jeu.
En résidence d’artistes à Cayenne, j’étais sorti avec d’autres graffeurs faire de l’art de rue en pleine nuit. Des habitants nous ont dit le lendemain que l’exercice aurait pu être très dangereux. Je suis courageux mais pas téméraire. Je n’irai pas coller mes œuvres à Bagdad par exemple…
J’ai même été il y a 10 ans au Cecil hotel, lieu de Los Angeles reconnu pour être hanté.
Ayant déjà vécu à l’étranger, c’est pour moi naturel de voyager. Les répercussions de mon art à Paris pouvaient les mêmes ailleurs.
Pour mon fils, j’ai notamment réalisé des visages et des mains de tortues ninjas dans une rue de New York. Les boîtes rouges d’incendie, au même titre que nos cabines téléphoniques, ne sont plus vraiment utilisées. Plusieurs années après, on m’a envoyé une photo pour montrer que la boîte venait d’être enlevée. Seul le pied était resté.
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Lors de vos collages ou de vos passages, écoutez-vous les réactions des passants ? 
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J’ai surtout des réactions sur les réseaux sociaux.
Certaines personnes m’écrivent pour me signaler qu’on a enlevé une de mes œuvres. Ce n’est pas un souci car cela va permettre d’en refaire une.
Il m’arrive de m’infiltrer dans des visites guidées sur le street art en particulier au Passage des Abbesses ou rue d’Orchampt. Le guide se met à parler de moi. J’écoute. Parfois il dit des choses vraies parfois non. Cela m’amuse.
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Vous êtes un adepte des cadeaux aux inconnus. 
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L’essence de l’art de rue est de partager.
J’avais donné une de mes toiles à un SDF qui s’appelait Vasil. Il l’a ensuite vendue environ 80 euros. Vasil est ensuite parti probablement car il pensait que j’allais revenir réclamer l’argent.
Un autre, que les riverains aidaient déjà, vendait certaines de mes œuvres mais avait décidé d’en garder une pour lui.
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Quels sont vos projets ?
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J’expose également à Paris au Lavomatic (13ème) et à l’Open Gallery. Un reportage de l’émission de Richard Orlinski sur TV5 monde sera diffusé en octobre. NHK, la chaîne nationale du Japon, va également passer quelque chose pour un programme éducatif.
Dès que je pourrai voyager, je repars à l’étranger.
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Gregos sera toujours dans la rue ?
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Ce sera en effet pour moi jusqu’à la fin (rires).
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