Au milieu des ténèbres, toute étincelle de lumière est visible de partout. Seule et mystérieuse, elle trouve peu à peu sa place et sublime même l’univers qui l’entoure.
Tout au long de sa vie, Hans Ruedi Giger (1940-2014) a été l’artisan de ce sublime. Chair mêlée à la machine, figures féminines magnifiquement monstrueuses, cet art biomechanoïd (selon les termes de l’artiste suisse) hante toujours nos esprits et enrichissent nos fantasmes. Le xénomorphe du film « Alien » (1979) reste encore l’étendard de cette œuvre unique.
Entretien au splendide musée H.R. Giger à Gruyères (Suisse) avec Sandra Beretta, senior designer, co-directrice du musée, ancienne collaboratrice et compagne d’Hans Ruedi Giger.
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Comment peut-on décrire l’art de H.R. Giger ?
 
 
 
C’est d’un mélange d’art nouveausymbolique et fantastique que nait son art visionnaire. Lorsque l’on observe une de ses œuvres, nous savons tout de suite que c’est de lui. Giger est un artiste uniquevous aimerez son art ou pas.
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© Mathieu Gleizes/ Musée H.R. Giger
© Mathieu Gleizes/ Musée H.R. Giger
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Il y a chez lui quelque chose de très humain.
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Oui, il y a chez Giger un esthétisme fort : Les femmes sont belles alors que les hommes ont un aspect monstrueux. Giger admirait beaucoup le film de Jean Cocteau « La Belle et la Bête » (1946) et a repris cet aspect. 
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1968-B-087 Unter der Erde
1968-B-087 Unter der Erde

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Les femmes étaient-elles sa plus grande fascination ?
 

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Giger disait souvent qu’il préférait les sorcières aux princesses. Les premières étaient bien plus passionnantes que les secondes. Les femmes le fascinaient, mais il en avait également peur. Cependant, il avait toujours besoin d’être assisté par une « Strong woman »Li Tobler avait su être une véritable muse pour lui. Marié en 1979 avec Mia Bonzanigo, il a su concevoir avec son aide le xénomorphe du film « Alien ». Ayant fait des études artistiques aux Beaux-arts, j’ai su moi-même le soutenir pendant des années et l’accompagner dans ses créations artistiques. Il s’est ensuite marié en 2006 avec Carmen Scheifele, qui dirige toujours le musée H.R. Giger à Gruyères, en Suisse.

me si parfois Hans Ruedi pouvait être une énigme pour moi, au fil du temps, j’ai compris ce qu’il voulait exprimer.

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30 1969 Li mit Skulptur Biomechanoid
30 1969 Li mit Skulptur Biomechanoid

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Était-ce une nécessité pour lui de dessiner, de peintre, de sculpter ?

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Dès sa naissance, Hans Ruedi était destiné à reprendre la pharmacie de son père.

1966-B-067 Phantom der Oper
1966-B-067 Phantom der Oper

Ses parents avaient en effet pris le soin de le nommer avec les mêmes initiales que son père, Hans Richard Giger afin que l’enseigne ne soit pas changée. Mais cela ne s’est pas passé ainsi : Hans Ruedi était passionné par la musique et le dessin. Contrairement à sa sœur qui avait les pieds sur terre, Iris, c’était un rêveur, un artiste en herbe.

J’ai toujours connu Giger en train de créer. Travaillant pour des commandes de productions cinématographiques, il pouvait passer toute une nuit à façonner son art. Giger ne prenait quasiment jamais de vacances.
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Giger & Sandra Beretta- Festival de Bruxelles 1994
Giger & Sandra Beretta- Festival de Bruxelles 1994

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Les bébés rangés dans le canon d’une arme de feu comme des balles ont parfois le visage de vieillards. La vie et la mort sont intimement liées chez Giger ?
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Sous son lit, 11 armes à feu étaient entreposées. C’était une de ses passions. Les représentations de bébés sont une part importante de l’art de Giger, car ayant lui-même un visage proche de celui d’un enfant, ces figures disaient beaucoup sur lui. L’œuvre « Birth Machine » symbolise aussi le cycle de la vie et de la mort.

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Giger a su mélanger la chair et la machine, les hommes, les femmes, les animaux,… Se voyait-il d’une certaine manière comme un visionnaire ou bien, avait-il une grande imagination ?
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C’était un grand visionnaire à l’imagination débordantequi s’inspirait

1973-B-207 Landschaft XIV
1973-B-207 Landschaft XIV

de tout. Giger avait pris pour habitude de tout conserver et prenait chaque jour des modèles dans des magazines d’art mais aussi de mode et de charme comme Play-Boy. Comme Salvador Dali, il ne jetait rien car tout pouvait l’inspirer. Dans chaque œuvre, Giger  savait intégrer de nombreux aspects. Il y a d’ailleurs beaucoup d’humour chez lui. Il avait l’habitude de nommer « biomechanoïd » son style, la fusion entre la machine et l’être humain.

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Hans Ruedi Giger fut associé au projet faramineux « Dune » d’Alejandro Jodorowsky. Le peintre Salvador Dali était lui-même associé en tant qu’acteur (il aurait pu jouer l’empereur Padishah Shaddam IV). Est-ce que ce fut une déception pour lui que le projet ne se réalise finalement pas ?
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La vision de Jodorowsky était en effet trop grande pour que l’on puisse le produire. Giger devait imaginer l’univers des Harkonnen, les antagonistes de l’histoire. Tout son

© Mathieu Gleizes/ Musée H.R. Giger
© Mathieu Gleizes/ Musée H.R. Giger

travail n’a donc pas pu être porté à l’écran. Même lorsque David Lynch a réalisé son adaptation de « Dune » en 1984, il a refusé de reprendre le travail de Giger. Le musée garde tout de même les tables et les chaises qui ont été conçues pour le projet de Jodorowsky. Elles restent de formidables œuvres d’art que nous pouvons encore admirer.

Au sujet de Dali, Giger l’admirait beaucoup. Il était allé le visiter chez lui en Espagne et avait été impressionné par l’artiste. Lorsque j’ai eu

1975-B-290 Dune II
1975-B-290 Dune II

l’occasion de visiter la maison de Dali à Cadaqués, j’ai constaté que Dali avait pour habitude dans son atelier de faire descendre ou monter ses grands tableaux à l’aide de poulies. Je me suis rendu compte que Giger s’était inspiré de Dali en utilisant les mêmes mécanismes dans son propre atelier.

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Dalí, HRG
Dalí, HRG

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Le design du xénomorphe du film « Alien » (1979) est inspiré d’un projet antérieur de Giger, le Necronom IV du portfolio du Necronomicon (1977). Quelles sont les origines de cette créature ?
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En 1969alors qu’il était en couple avec Li Tobler, Giger a réalisé « Biomechanoïd » une sculpture noire avec une tête en forme de phallus à l’envers. Les organes génitaux ont toujours été présents dans son art. La sexualité le fascinait.
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© Mathieu Gleizes/ Musée H.R. Giger
© Mathieu Gleizes/ Musée H.R. Giger
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En 1981, Debbie Harry devient son modèle pour le disque « KooKoo ». La mythologie et la religion avaient-elles une grande place dans l’art de Giger ?
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Dès son enfance, il a été choqué par la représentation des douleurs du Christ. Le

© Mathieu Gleizes/ Musée H.R. Giger
© Mathieu Gleizes/ Musée H.R. Giger

symbolisme a également eu une grande part dans ses œuvres. S’il s’est intéressé de près à l’esthétique dans loccultisme, il ne l’a en revanche jamais pratiqué. Le suicide de Li Tobler en 1976 a profondément marqué Giger. Ses cheveux sont alors devenus tout blancs. Il a organisé un rituel dans leur maison pour lui faire ses adieux. Il avait été très choqué par cette mort brutale.

Giger pouvait se montrer même très sensible. Je me souviens avoir regardé avec lui le film « Danse avec les loups » (1990) de Kevin Costner. Lorsque le loup qui est l’alter égo du héros est abattu, Giger a préféré se lever et arrêter de regarder le film. C’était intolérable pour lui. 

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De nombreux projets cinématographiques (« Dune », « The Tourist ») n’ont pas pu voir le jour ou ont parfois déçu Hans Ruedi Giger comme « Poltergeist II » (1985), « Batman Forever » (1995) ou « La Mutante » (1995). Les relations avec le cinéma ont-elles été trop compliquées pour lui ?
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« La Mutante » (1995) été en effet était une grande déception pour lui, car le résultat

1995-T-001 Sil Display [Photo by Mindas]
1995-T-001 Sil Display [Photo by Mindas]

fut trèloin de sa vision. Giger considérait sa créature comme la plus sensuelle de sa carrière. Mais les effets spéciaux l’ont complètement dénaturée.

La batmobile de « Batman Forever » (1995) a été un très beau travail. Cette machine avait la forme d’une paire de ciseaux, car Hans Ruedi avait toujours des outils autour de lui. Son travail était trop original et ne correspondait pas aux désirs des producteurs. Ils voulaient plutôt voir Batman à bord d’une formule 1 que dans un véhicule totalement hybride.

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1994-Z-016-Zeichnung-für-Batman-Forever-Batmobile-Nr.-9.
1994-Z-016-Zeichnung-für-Batman-Forever-Batmobile-Nr.-9.

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Comment a-t-il vécu « Prometheus » (2012) de Ridley Scott originellement conçu comme une préquelle d' »Alien » ?

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Giger a été très enthousiaste avec ce projet. Avec les nouvelles technologies, il avait enfin sa vision artistique parfaitement retranscrite sur un grand écran. Hans Ruedi pouvait voyager dans ses rêves. Mais il me confiât après l’avoir vu, quil ne comprenait pas tout à l’histoire du film (rires). Ridley Scott a toujours été énigmatique !
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L’art de Giger est-il complexe, plein de secrets ou tout de même accessible ?
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Giger qualifiait souvent son univers d’après une de ses œuvres « un festin pour le psychiatre ».

Même si son œuvre est très détaillée et symbolique, elle reste accessible à tous. Ses thèmes s’adressent directement à la psyché humaine.

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1974-B-251 Li II
1974-B-251 Li II
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