De toutes formes et de toute nature, les arbres peuplent notre planète depuis la nuit des temps et nous accompagnent, nous humains, depuis toujours. Des racines jusqu’aux feuilles, les arbres nous fascinent. 
Jardinier en chef du Domaine national de Trianon et du Grand parc du Château de Versailles, Alain Baraton en grand observateur de la nature leur a consacré une immense partie de sa vie. Véritable déclaration d’amour, son «Dictionnaire amoureux des arbres » (Plon 2021) nous rappelle ce lien immuable entre nous et notre merveilleux environnement.
Entretien au sein de Trianon.

 

 

Le président américain George Washington ne souhaitait pas que l’on érige de monument à sa gloire. Il préférait qu’on plante un arbre. En quoi un arbre peut-il nous impressionner, nous émouvoir ?

 

 

Il n’y a pas plus beau monument qu’un arbre car, en premier lieu, il est monumental et il est également anonyme. J’aime l’anonymat car au même titre que la tombe du soldat inconnu, un arbre peut être le symbole de tous les arbres qui ont vécu. 

Un arbre peut nous émouvoir car il est pratiquement immortel. L’arbre le plus vieux du monde est âgé de 9 500 ans. Quand va-t-il s’arrêter de vivre ? Y’a-t-il un monument construit par la main de l’homme qui a unetree1 durée de vie aussi importante ? 

L’olivier de Roquebrune-Cap-Martin est l’arbre le plus vieux de France, il est âgé de 2 000 ans. Avec de tels exemples, nous flirtons avec l’immortalité. Vous pouvez prendre un arbre massif, vous le coupez et on trouve une trace.  Est- ce un nouvel arbre ou la continuation de l’arbre antérieur? Le houx de Tasmanie n’est certes pas un arbre mais c’est un arbuste qui pousserait depuis plus de 40 000 ans. Voilà pourquoi je crois en l’immortalité. 

Il n’y a pas deux arbres identiques. Aucun n’a la même histoire, la même dimension ou la même hauteur. De plus, nous continuons encore et toujours de découvrir de nouvelles espèces. 

 

 

« Les Jardiniers » de Gustave Caillebotte (1877), « Le Champ d’oliviers » (1889) de Vincent Van Gogh, Paul Signac avec « Le Pin de Saint Tropez » (1909),… Les peintres ont-ils représenté les arbres d’une manière scientifique ou c’est avant tout l’admiration de l’artiste qui a primé ? 

 

 

« Les Jardiniers » est un tableau que j’aime beaucoup. Longtemps considéré comme un laquais, le jardinier n’a jamais été aussi bien représenté que par Gustave Caillebotte. 

C’est toujours fascinant d’observer un tableau. Vous pouvez ainsi identifier les espèces végétales. La magie de l’arbre est qu’il est très facile à dessiner. Tous les artistes ont représenté les arbres. Certains les ont utilisés en tant que symboles. L’olivier est notamment reconnu pour être un arbre religieux. Van Gogh a certes peint les arbres de manière assez brusque mais nous reconnaissons tout de même chez lui les floraisons. Les peintres n’ ont  souvent pas voulu représenter le végétal mais l’arbre en général. 

 

 

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Le cèdre du Liban ou encore l’érable,… l’arbre a su devenir l’emblème d’une nation voire un symbole politique comme l’arbre de la liberté ou le sakura au Japon. Est-ce une façon de s’unir autour du naturel?

 

 

L’être humain n’a pas conscience qu’il doit tout à l’arbre. En plus d’avoir été son premier habitat puisque l’homme descend du singe et le singe descend de l’arbre, n’oublions pas que le feu peut se déclencher grâce au bois de l’arbre. L’homme a en outre pu se défendre avec des lances ou des flèches grâce à nouveau au bois.

L’homme semble avoir toujours voulu couper le cordon ombilical qui le liait à l’arbre. Grave erreur. Même encore aujourd’hui, c’est bien l’arbre qui nous permet de vivre. En effet, si vous coupez tous les arbres du monde, l’air ne sera plus respirable, les insectes, les petits mammifères et les oiseaux ne pourront plus vivre.

 

 

La sylvothérapie (pratique qui consiste essentiellement à faire des câlins aux arbres) connaît un certain succès. Est-ce selon vous réellement bénéfique ?

 

 

 

Je dois avouer que sylvothérapie est un vilain mot. Le mot « thérapie  » rend la pratique trop sérieuse. Les Asiatiques parlent de « bain de forêt » ce qui est bien plus beau. Lorsque vous prenez un être cher dans vos bras, vous n’avez pas besoin de donner un mot à votre action. Je n’aime pas non plus le mot permaculture. Il n’était pas nécessaire de définir ce mode d’agriculture sain. Ce qui est une pratique normale comme le bio qui est étiqueté alors que le non-bio n’est pas étiqueté….  

J’ignore si l’arbre peut émettre des ondes positives mais je sais qu’il a des vertus réconfortantes pour des personnes en souffrance. C’est même prouvé médicalement . A titre personnel, lorsque je suis dans une situation délicate ou une décision importante à prendre, le seul fait de m’asseoir au pied d’un arbre me réconforte. Sa présence apaise. 

 

 

Les arbres millénaires sont les témoins du temps passé, des changements climatiques voire d’événements historiques (la forêt de Sherwood, les oliviers de Judée, le chêne d’Auschwitz,…). Sont-ils des êtres qui défient leur propre nature ?

 

 


Les séquoias ont su survivre aux nombreux  incidents de forêt. Les cyprès mettent même en place des stratagèmes pour lutter contre le feu, voire pour prévenir des autres du danger et dégager de la vapeur d’eautree2 afin de ne pas périr par les flammes. 
Les plantes sont capables de « miracles  » et de lutter contre les événements.

Un arbre est là pour affronter le temps et témoigner. En l’étudiant, vous pouvez constater les différents changements climatiques au cours des siècles ou de dater la construction des cathédrales. L’arbre est avant tout un indicateur du temps. Nous parlons en heure, en minute et en seconde alors que l’arbre parle en saisons et en siècles.

 

 

En 1999, la tempête Lothar ravage le parc du Château de Versailles. Vous êtes témoin du désastre. Plus de 20 ans plus tard, le domaine a-t-il su renaître ?

 

 

 

Oui malgré les dégâts considérables : 18 000 arbres étaient à terre, 33 000 végétaux devront être coupés dans les semaines qui suivent. Pendant plus de 20 ans, nous avons pu faire d’énormes travaux pour soigner le parc. Il a même pu retrouver ses tracés d’origine. Cependant, Versailles n’est pas encore aussi flamboyant que lorsque je suis arrivé en 1976. Le parc était alors bordé de véritables « cathédrales végétales ». C’était possible de se cacher dans les troncs et en automne, les allées étaient recouvertes de feuilles. Le parc de nos jours est certes beau mais il n’y a pas cette émotion. Suis-je trop nostalgique ? Suis-je devenu un « vieux con »? Peut être ! mais il faut tout de même avouer que les arbres d’aujourd’hui n’ont pas encor vu grand chose de la vie à Versailles. Ils sont des êtres vivants témoins. Il faut attendre encore une cinquantaine d’années pour que les arbres retrouvent leur superbe. 

 

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Peut-on se prévenir de nouvelles tempêtes ?

 

 


L’agronome René Dumont avait été candidat à l’élection présidentielle de 1974. Je me souviens que tout le monde se moquait de lui dès qu’il s’exprimait. Dumont était en réalité un visionnaire au sujet du changement climatique. Tout ce qu’il a prédit s’est passé ou se passe de nos jours. Vous pouvez facilement retrouver ses déclarations grâce aux archives publiées sur Internet. Nous l’aurions écouté dans les années 70, je suis persuadé que nous ne serions pas dans une telle situation aujourd’hui.

J’observe que depuis la tempête de 1999 nous savons comment limiter les dégâts provoqués par le vent mais rien n’a été mis en œuvre. Nous continuons à faire les mêmes erreurs. Nous devons être capables de prendre les décisions justes. 

 

 

L’arbre a-t-il sa place en ville ?

 

 

C’est une question que je me pose depuis très longtemps. J’ai eu la chance d’avoir été élu à l’Académie d’Agriculture de France et ma première mission a été de répondre à cette question. 

Il est incontestable que les arbres doivent être en périphérie des villes tout comme dans les parcs et jardins. J’aime, par exemple, l’idée de forêts en ville. 

Cependant, je suis dubitatif quant à la place d’un arbre isolé le long des trottoirs. C’est un espace réduit où l’arbre reçoit une quantité de chocs. Son espérance de vie ne dépassera jamais plus de 50 ans. La plante ne vit pas mais survit. Un oiseau a-t-il sa place dans une cage ?

 

 

Le mancenillier est un arbre toxique typique de la Martinique et de la Guadeloupe. Est-ce une façon pour lui d’éloigner le danger ?

 

 

 

Lorsqu’une plante organise autant de stratagèmes pour éviter que l’on s’approche d’elle, c’est selon moi unmort moyen de se défendre face aux herbivores. De plus, le bois du mancenillier est toxique. Le mancenillier est un arbre qui n’a aucun intérêt pourtant les populations qui vivent autour ne l’abattent pas. Seul un panneau avec une tête de mort est installé afin de prévenir du danger. En métropole, un tel arbre serait tout de suite détruit. 

Heureusement, il y a des personnes qui ont encore de l’humanité. Ce n’est pas parce qu’une plante ne sert à rien qu’il faut la détruire.

 

 

La protection des arbres comme patrimoines naturels doit-elle être mise en place ?

 

 

Il est inconcevable que nos élus n’aient pas encore lancé d’actions pour protéger nos arbres. Les seuls qui peuvent permettre une protection (bien légère) sont les maires et les architectes de France Et les seuls qui peuvent permettre l’abattage d’un arbre sont les maires et les architectes de France. Cherchez l’erreur…

Il est insupportable qu’un arbre, même millénaire, peut tout à fait être coupé afin par exemple d’élargir une route. Au même titre que les monuments historiques, les arbres remarquables doivent être protégés et valorisés. 

 

 

Quel est l’arbre de votre jardin qui vous tient le plus à cœur ?

 

 

Il n’existe plus. C’était un prunier à quetsch qui vivait dans le jardin de mon grand-père. Tous les mois d’août, lors des vacances de mes grands-parents, j’avais la mission de l’arroser. Je croyais naïvement qu’il me suffisait d’inviter une jeune fille à s’asseoir sous ce prunier pour obtenir un baiser. L’amie profitait certes des fruits mais ne m’embrassait pas. Ce prunier a accompagné mon adolescence.

Mes grands-parents ne sont plus et le jardin a été transformé mais j’ai une grande nostalgie de ce prunier à quetsch. Il y a un arbre que j’apprécie beaucoup de nos jours. Il continue même d’évoluer. Il n’est jamais le même en fonction de mon humeur. Lorsque je suis inquiet, je viens voir le chêne de Trianon. Bien que massif, il est discret.

 

 

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Photo de couverture prise par ©Brieuc Cudennec

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