L’art est toujours là où on ne l’attend pas. Au coin d’une rue ou bien dans les parcs et jardins, il n’hésite pas à venir s’incruster pour aller à notre rencontre. Oui le street art s’impose partout et n’a décidément pas fini de nous surprendre… La preuve : L’artiste Nadège Dauvergne détourne, sensibilise, amuse avec le classique. Muses, nymphes, gibier et autres monarques ont quitté les musées et salons pour s’exposer dans l’espace public. Quel audace! Dans un Paris déconfiné, nous nous sommes entretenus avec Nadège Dauvergne, artiste de tous les espaces.
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Vous avez réalisé des détournements de publicité d’abord sur les catalogues puis sur les panneaux 4 par 3 avec des figures artistiques du XIXème siècle. Était-ce une façon d’associer vos études en arts plastiques et en même temps , votre intérêt pour le monde de la publicité ?
J’ai fait des études d’art graphique à Corvisart à Paris et étais donc destinée à travailler dans la publicité. J’ai donc appris à composer des images mais lorsque j’ai obtenu mon diplôme j’ai préféré continuer vers les beaux-arts. J’ai toujours vu la publicité comme quelque chose d’intrusif et l’ayant abordée de l’intérieur il m’est apparut impossible de continuer dans cette voie. Plus tard elle est revenue dans ma pratique mais pour être détournée, ce fut alors le moment de se l’approprier de façon pop art : Quand l’art s’approprie la pub – l’art prend sa place.
Pour ce faire, je m’amusais à brouiller les messages des publicités, mes préférées étant celles de déco d’intérieur en y intégrant des figures classiques que je dessinais par-dessus, elles étaient alors comme parasitées. Je ne voulais pas détourner la pub de façon frontale avec des messages genre « c’est pas bien la pub ». Comme résultat, il faut imaginer une jeune fille, habillée hors époque, endormie par exemple sur une chaise d’une marque connue. Pas très motivant pour susciter un achat émotionnel finalement.
L’art classique est-il figé ou au contraire, il évolue dans le temps ?
Au cours de mes études, j’ai appris que l’image, peu importe son époque, est un moyen de communication. La publicité utilise les mêmes codes :composition, circulation du regard, que lorsqu’on nous « vendait » de la religion ou de l’histoire. Il y a une filiation par rapport à l’art classique. Je trouve cela amusant de tout niveler.
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Quels sont les artistes qui vous inspirent le plus ?
Il y a par exemple Magritte, je ne peux pas dire qu’il m’inspire mais je me sens proche de lui dans ma façon de faire des images. Loin d’une pratique dite « sensible » je trouve qu’il a un côté « peintre d’idées ». De mon côté les outils dont je me sers sont souvent au service d’une idée. L’abstraction géométrique est également une source d’étude car elle parle au fond de composition et cela m’intéresse. Dans mes reprises de tableaux classiques où je ne garde que certains éléments le choix de la composition est parfois juste ce qui fait l’intérêt de la nouvelle image.
Le posca se manipule-t-il aussi bien que le pinceau ?
C’est un outil très différent car il impose une couleur et une pointe. Au début, lors de mes détournements sur les catalogues publicitaires, je mélangeais les hachures et des aplats et je manquais de couleurs. Puis, je me suis rendue compte que je pouvais créer des mi-teintes grâce aux hachures. Une couleurs superposée à une autre créait optiquement une nouvelle couleur. Cette contrainte a été à l’origine de cette manière de dessiner qui est maintenant ma signature.
Vous avez abordé la question du sauvage dans le milieu urbain (renard, chevreuil, buse,…). Est-ce une façon de mettre en valeur ce qui peut paraître dangereux ?
Lorsque j’ai commencé cette série/fiction sur la présence des animaux sauvages en ville, je souhaitais faire une pause sur mes détournements d’œuvres classiques, j’avais comme épuisé mon sujet et puis le thème du « sauvage » est apparu. Avec un père professeur de sciences naturelles, j’ai toujours été sensible aux questions environnementales. Lors d’une lecture j’ai appris que le phénomène de la présence dans les villes d’animaux sauvages s’accentuait partout dans le monde et cela pour de nombreuses raisons. Actuellement de nombreuses décisions sont prises dans les villes comme la suppression des pesticides ou la création de corridors écologiques pour permettre aux animaux de traverser les villes. La campagne prend du retard en ce domaine et y vivant je constate que les milieux naturels se raréfient : les forêts se transforment en champs d’arbres, il y a beaucoup de nouvelles constructions, les territoires sont fragmentés et les animaux se retrouvent acculés dans des bosquets entre deux champs, quant il en reste encore. À côté de cela on leur demande de se tenir à carreaux et s’ils causent des dégâts c’est direct les chasses administratives, c’est raide je trouve.
En collant mes peintures de chevreuils, de blaireaux et de sangliers dans les rues de Paris, j’ai en quelque sorte grossi le trait de ce constat. Une manière de sonder la réception de cette situation auprès des citadins. Si demain, au détour d’une rue, on pouvait se retrouver face à un animal sauvage, comment réagirait-on ?
Cette série, que j’ai baptisé « Exodus » a également connu son déploiement et mes projets actuels se sont diversifiés mais j’aurai l’occasion d’y revenir dans les prochains mois. Elle fait son cheminement et commence à intéresser des organismes de protection de la nature, ce qui représente un aboutissement qui a du sens pour ce travail.
Vous avez également réalisé un passe-tête du portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud dans les jardins des Tuileries. Plus qu’une copie, on retrouve vos fameux traits. Le classique est-il davantage magnifié hors les murs ?
Pour cette installation cela le démystifie, surtout lorsque l’on peut passer sa tête dedans et se prendre pour le roi. Pour le magnifier il faut déjà être aussi virtuose que ces peintres d’un autre temps et certains artistes d’aujourd’hui y arrivent très bien. De mon côté il s’agit plutôt de rencontres, avec l’impératif que les personnages soient remis à taille humaine. L’aspect comique est toujours présent car ils sont décalés dans ces nouveaux environnements et par les postures théâtrales. Les personnages descendent de leur piédestal et en s’ancrant dans le sol de la rue le cadre autoritaire et spectaculaire du musée est transformé.
Dans cette démarche de proposer le classique hors les murs, il y a, de la part des musées la possibilité de faire se rencontrer leurs œuvres et le public. Ils y voient une possibilité de créer des ponts grâce aux artistes d’aujourd’hui, et par le choix de mes sujets et cette approche je m’inscris dans ce registre.
Vous réinterprétez des œuvres qui vous sont chères.
Il faut que le modèle m’accroche et je me suis rendue compte que mes choix portaient essentiellement sur des femmes du 19e siècle. Apparemment, elles me ressemblent. Lors de mes collages, des passants ont cru qu’il s’agissait d’autoportraits, c’est plutôt flatteur je trouve ! Il y a sans doute de ma part un effet de projection.
Le détail vous fascine ?
Ne prendre qu’un élément d’un visage ou d’une main, n’en montrer qu’une partie laisse la libre interprétation de ce qui manque. Un peu comme la Victoire de Samothrace qui fascine par son incomplétude. Parfois le mouvement d’un doigt communique une impression, de délicatesse ou de douceur, un moment suspendu que je recherche particulièrement.
Vous avez notamment collaboré sur une œuvre avec les street artistes Levalet et Kraken en intégrant « The Lady of Shalott » (1888) et vous enseignez l’art. Vous aimez partager ?
Il s’agissait d’une collaboration involontaire pour Levalet mais c’est le jeu de la rue et cet épisode avec la venue du Kraken ensuite a été mémorable pour moi. La démonstration que l’art urbain est un art vivant et stimulant.
Il est vrai qu’une partie de mes activités est dans l’enseignement des techniques de dessin et de peinture et lorsque l’on maîtrise un domaine c’est toujours agréable de le partager. La pédagogie n’a pas été chose facile au début mais j’ai appris et je prends du plaisir dans ce métier. Le contexte est associatif ou scolaire et je rencontre tous les âges. Les projets sont également très diversifiés et je m’y investis du mieux que je peux à chaque fois. Finalement, j’aborde très peu mon travail personnel, je suis plutôt au service des besoins de mes élèves.
La boulette de papier est quelque chose que l’on retrouve souvent dans votre art. La frustration et l’apprentissage font-ils partie intégrantes de la création ?
D’abord c’est une véritable épreuve à dessiner, cela devient vite confus et il faut une observation soutenue pour y arriver. Il m’est en effet arrivé d’en faire le sujet d’une fresque portant le titre de « Projets avortés ». Je trouvais amusant que la recherche et ses errances deviennent le sujet de celle-ci.
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Votre street art trouve-t-il sa place dans les espaces ruraux ?
J’ai collé et réalisé quelques fresques dans l’Oise, le département où je vis mais ce qui est fou c’est que la présence de créations vandales est quasi inexistante, c’est comme marcher dans une neige immaculée. Pour Exodus par exemple, intégrer dans le contexte rural mes animaux sauvages n’a pas grand intérêt. Ils sont pertinents dans le milieu urbain. Les créations ont également plus de chance d’être vues et relayées.
L’art classique est-il bien accueilli dans le monde du street art ?
Oui, il a sa place et nous sommes quelques-uns à être dans ce registre. Et dans mon domaine en particulier je joue de contraste en apportant une touche parfois un peu mièvre. Vu que je maîtrise plutôt bien le dessin je joue de ça pour faire ce que je veux.
Quels sont vos projets ?
J’ai par chance la possibilité d’expérimenter le grand format à travers des propositions de murs, certaines déjà réalisées et d’autres qui se feront au cours de l’été et plus tard. C’est un domaine que je voulais explorer, le changement d’échelle, passer du format tableau au format mur. Cela nécessite de se réinventer et de continuer cette belle aventure entamée il y a quelques années. Et puis le travail en galerie continu et de nouveaux partenariats vont se faire notamment avec des musées et des associations de protection de la nature, tout cela m’enchante !
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Pour en savoir plus :
L’Instagram de Nadège Dauvergne : https://www.instagram.com/nadegedauvergne/?hl=fr