« Nous avons résolu d’ouvrir la voie à une ère de paix grandiose pour toutes les générations à venir en endurant ce qui ne saurait être enduré et en supportant l’insupportable. »
Ainsi s’exprime Hiro-Hito, empereur du Japon, le 15 août 1945 dans son célèbre discours dit du Gyokuon-hoso. Pour la première fois, le peuple japonais entendit la voix de leur souverain. Le ton est grave, l’expression est archaïque et donc difficilement compréhensible pour beaucoup mais l’événement est historique : Le Japon met fin aux combats contre les Alliés. Après la capitulation allemande le 8 mai, l’Empire du soleil levant met fin à la Seconde Guerre mondiale.
L’empereur renoncera ensuite à ses droits divins et autorisera son pays à entrer dans la voie de la démocratie. Cependant, l’empereur n’abdique pas et continue de régner sur le Japon jusqu’à sa mort en 1989.
Quel fut le rôle d’Hiro-Hito lors de la Seconde Guerre mondiale? Comment les Japonais perçoivent-ils cette ère Shôwa (1926-1989) si déterminante pour l’histoire de leur pays?
Entretien avec Franck Michelin, historien français et professeur à l’Université Teikyō.
En 1926, le jeune Hiro-Hito succède à son père Taisho sur le trône du chrysanthème. Quelle est alors la situation politique de l’empire du Japon? La militarisation et l’expansion de l’empire (« le parti de la guerre ») sont-elles approuvées par l’empereur et sa cour?
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Pour être plus exact, les empereurs peuvent être nommés de deux façons : leur nom réel, utilisé de leur vivant et leur nom posthume qui est également celui du nom de l’ère depuis l’ère Meiji. Hiro-Hito n’est presque jamais appelé ainsi au Japon, car cela équivaudrait à appeler la reine d’Angleterre Elizabeth… Il était appelé Tennô heika [Sa majesté l’empereur] de son vivant, et Shôwa Tennô après son décès. Ainsi, le nom de l’empereur Taishô était Yoshi-Hito.
Quand Hiro-Hito succède à l’empereur, le Japon est encore dans une période de démocratisation de la vie politique — la fameuse « démocratie de l’ère Taishô» —, mais qui s’essouffle. Un premier ministre a été assassiné en 1921, Hara Takashi, premier dirigeant chrétien de l’histoire japonaise, par un activiste d’extrême-droite. À la conférence de Washington, le Japon est sorti péniblement de son intervention en Sibérie, a dû accepter la limitation de ses forces navales et limiter ses ambitions en Chine.
L’existence d’un « parti de la guerre » est un peu un mythe, car l’expansionnisme fait l’objet d’un large consensus. La militarisation s’étend, certes, mais les forces armées constituent le pilier principal du régime depuis 1868. Hiro-Hito, son père, ses parents sont tous élevés comme des militaires, un peu à la manière britannique — où les hommes de la famille royale sont tous formés à la vie militaire encore à ce jour — , un peu à la manière de l’Allemagne wilhelmienne, bref, comme en Europe. Hiro-Hito a été élevé, formé, modelé comme un militaire et il sera chef des forces armées jusqu’à ce que celles-ci soient dissoutes, après la Deuxième Guerre mondiale.
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La question de savoir s’il s’agit de circonstances ou non est toujours délicate. Évidemment, les circonstances jouent. Le Japon a pour idée de s’allier à l’Allemagne pour
intimider les Anglo-Américains : l’idée est que Londres et Washington n’oseront pas affronter le Japon s’il est allié à la première puissance militaire du moment, l’Allemagne. Ce traité est d’ailleurs complété six mois plus tard par le traité de neutralité nippo- soviétique. Alors qu’il s’agit pour le ministre des Affaires étrangères, Matsuoka Yôsuke, d’entrer dans une alliance continentale formée par l’Allemagne et l’URSS, c’est ce traité nippa-soviétique qui jouera le plus grand rôle en permettant au Japon d’avoir ses arrières protégés lorsqu’il se lancera à l’assaut du sud. Ce traité sera respecté jusqu’au 8 août 1945, moment où il sera trahi par Staline.
L’ironie de l’histoire est que le pacte tripartite, censé dissuader les Américains d’exercer des pressions sur le Japon, a l’effet exactement inverse, il est vrai au moment où le Japon envahit l’Indochine. L’opinion américaine se retourne au cours ce l’automne 1940 et, au contraire de ce que l’on pense, le président Roosevelt a plutôt été en retard par rapport à cette évolution en freinant la montée en tension.
Il existe certaines convergences entre l’Allemagne et le Japon. Comme partout avant la Seconde Guerre mondiale, le fascisme et le nazisme exercent une forte attraction sur les intellectuels, les militaires, l’opinion en général. Premier ministre à trois reprises, et notamment lors de la conclusion du pacte tripartite, Konoe Fumimaro rêve de construire un parti unique et a un côté fascisant, mais d’assez loin. Le fascisme qui se développe au Japon, et que beaucoup d’historiens se refusent à appeler ainsi, est très particulier car, au lieu de s’appuyer sur un leader charismatique, s’appuie sur un culte mystique de la figure de l’empereur, figure par excellence lointaine et silencieuse.
Pour résumer, les convergences politiques, idéologiques sont mineures et ce sont les intérêts, ainsi que les appétits territoriaux qui rassemblent ces pays de l’Axe.
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La nouvelle constitution, adoptée à partir d’un projet écrit par les autorités d’occupation, établit la séparation de la religion et de l’état. À l’ère Meiji, le nouveau régime avait établi les croyances locales ancestrales, plus ou moins structurées par un certain nombre de sanctuaires comme ceux d’Ise, comme une religion nationale connue sous le nom de « shintô d’État », où la figure de l’empereur était divine en tant que descendant de la déesse du soleil, Amaterasu. Cette relation entre shintô et famille impériale n’a pas pour autant disparu après 1945. Non seulement le shintô d’État a subsisté sous des formes juridiques diverses, comme celles de fondations subventionnées en sous- main, mais l’empereur a continué de jouer un rôle central, mais cette fois à titre « privé » : alors qu’il occupe une grande partie de son temps à participer à des cérémonies shintô, une pure fiction rejette l’accusation de non-respect de la constitution en raison de ce caractère prétendument privé des cérémonies.
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MacArthur a tous les pouvoirs et, d’une certaine façon, les Japonais lui savent gré de les avoir débarrassé des militaires et des conflits internes. Interrogé sur ce qu’il pensait de MacArthur, un paysan dit même qu’il est reconnaissant envers l’empereur d’avoir choisi un si bon Premier ministre…
Le problème n’est pas seulement chez les Chinois et les Coréens : tous les soldats morts dans les guerre de l’empire y ont leur âme, leurs mânes intégrés dans le sanctuaire, sans qu’on ait demandé leur avis aux familles. Bien que n’appartenant pas à l’État, il joue le rôle de mausolée des morts de l’armée impériale, de dépositaire de la tradition militaire, bien que l’État possède, à deux pas, un lieu dédié aux morts de la guerre.
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Si vous excluez l’extrême-droite et les communistes, la population japonaise est devenue très américanophile après la guerre. Cela a pu faire grincer des dents, la violence des bombardements aériens ayant laissé des traces, mais en 1975, les États-Unis sont l’allié et le protecteur du Japon, c’est aussi le pays où il réalise la plus grande partie de ses excédents commerciaux. D’ailleurs, Tokyo accueille un parc Disneyland les années suivantes, avec un succès qui ne se dément pas.
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On oublie le plus souvent que la première moitié de cette ère a été emplie de guerre, de conflits internes violents, et a fini sous le feu nucléaire. Dans ce cas, on préfère penser que l’empereur n’y pouvait rien, qu’il était soumis aux militaires. Ceci est à la fois vrai et faux : possédant un pouvoir limité du fait de la nécessité de rester en dehors des luttes de factions, il possédait en principe un pouvoir absolu du fait de sa non-définition dans la constitution de 1889.
En résumé, l’opinion des Japonais consiste à oublier la première période de l’ère Shôwa et, par conséquent, l’éventuelle responsabilité de l’empereur dans ces années terribles, et à glorifier la seconde partie. Ainsi, « Shôwa » est synonyme aujourd’hui d’âge d’or d’un Japon à l’économie conquérante par contraste avec la morosité actuelle marquée par la stagnation économique et le vieillissement de la population. Les Jeux Olympiques de Tokyo sont largement un avatar de cette volonté de renouer avec la seconde partie du règne de l’empereur Hiro-Hito.
Pour en savoir plus :
« La guerre du Pacifique a commencé en Indochine, 1940-1941 » de Franck Michelin, Passés Composés, 2019 : https://www.laprocure.com/guerre-pacifique-commence-indochine-1940-1941-franck-michelin/9782379330605.html