“Il faut une immense amitié pour être capable de travailler une soixantaine d’années avec quelqu’un sans jamais se disputer… Avec Tibet, nous n’avons jamais vu le temps passer et nous nous sommes amusés.” Déclarait le scénariste André-Paul Duchâteau à propos du dessinateur Tibet. De 1963 à 2010 (jusqu’au décès de ce dernier), les deux compères ont fait vivre l’un des plus célèbres personnages de la bande dessinée franco-belge : Ric Hochet. Ce journaliste au style impeccable a su passionner les lecteurs de tous les âges et de toutes les époques.
Malgré le décès de Duchâteau il y a moins d’un an, les aventures ont repris avec la collaboration du scénariste Zidrou et du dessinateur Simon Van Liemt.
Ric Hochet n’a toujours pas dit son dernier mot – loin de là.
Alors qu’il était en train de dessiner les nouvelles aventures du héros chic, Simon Van Liemt a répondu à nos questions. Entretien.
.
.
.
.
En plus d’être dessinateur, on sent chez vous un goût prononcé pour l’illustration notamment pour le magazine Lanfeust, le soin apporté à vos couvertures d’albums (que ce soit avec « Incantations » ou « Poker »). L’illustration c’est un bel espace de liberté ?
 
 
 
 
 
C’est en effet quelque chose de très différent du dessin de bande dessinée qui, lui, nécessite de rester fidèle à une intrigue. L’illustration, quant à elle, fait souvent appel à l’instant et à la fantaisie. Vous devez privilégier la simplicité et une certaine clarté lorsque vous illustrez une couverture ou une affiche.
 
 
 
 
 
Comment avez-vous été impliqué dans le projet de « R.I.P. Ric » (2015) ?
 
 
 
 
 
Suite à la publication du dernier album « Poker » avec Jean-Christophe Derrien, je me suis rendu au Festival d’Angoulême où j’ai pu rencontre le scénariste Zidrou. Il connaissait déjà Jean-Christophe et nous a félicité pour notre travail sur la série « Poker ». Ce fut agréable dethumbnail l’entendre. A la recherche de projets avec un nouveau scénariste, j’ai alors proposé à Zidrou de travailler ensemble. Très occupé, il ne pouvait pas me proposer de réaliser une histoire originale mais m’a suggéré de collaborer avec lui sur une nouvelle aventure de Ric Hochet. Les éditions Le Lombard venait en effet de lui proposer de réaliser un album-hommage au personnage de Tibet et de Duchâteau.
 
Jean-Christophe Derrien m’avait également proposé d’illustrer son scénario – une autre aventure de Ric Hochet. Les éditions Le Lombard souhaitait en effet développer deux aventures différentes. Celle de Jean-Christophe devait, quant à elle, être la première d’une nouvelle série de Ric Hochet. Le choix était Cornélien, mais les deux séries que nous avions faite ensemble (Incantations et POKER) n’ayant pas eu le succès espéré, je souhaitais tenter une nouvelle expérience avec un nouveau scénariste. Après tout, c’était assez amusant de faire chacun de notre côté un Ric Hochet original .
 
Malheureusement le Ric Hochet de Jean-Christophe a été annulé et le one-shot de Zidrou est finalement devenu le premier album d’une nouvelle série d’aventures de Ric Hochet. Au moment où je vous parle, je dessine le tome 6…
 
 
 
 
Bien que « RIP R.I.C » a été conçu comme un one-shot, on sent une envie de dépoussiérer le héros. Gentiment moqué pour son côté trop parfait voire trop lisse, Ric Hochet devait être secoué ?
 
 
 
 
 
Contrairement à Zidrou, je connaissais peu le Ric Hochet original. Le tome 1 est réellement un bel hommage aux albums de Tibet et Duchâteau. La suite des aventures nous a permis de taquiner la mythologie de la série. Contrairement à beaucoup d’autres personnages de bande dessinée, Ric Hochet a été traité par les mêmes auteurs pendant plus de 50 ans. Il méritait d’avoir un second souffle. Zidrou et moi-même voulions justement apporter quelque chose de personnel dans la série. Il était selon nous inutile de réaliser un nouvel album sans originalité. Ric Hochet méritait d’avoir du neuf.
 
Au fil de nos albums, tout en préservant un aspect classique, nous voulons intégrer une narration moderne. Les intrigues se passent certes toujours dans les années 60 mais traitent de sujets qui concernent notre propre époque. La prose de Zidrou est également riche et apporte beaucoup.
 
Certains lecteurs n’apprécient pas, d’autres nous ont suivi et montrent un intérêt certain.
 
Notre approche était aussi une façon d’attirer des nouveaux lecteurs qui iront ensuite vers les aventures plus anciennes de Ric Hochet.
.
 
Dédicace trio
 
 
 
 
Avez-vous pu échanger avec André-Paul Duchâteau avant son décès en 2020 ?
 
 
 
 
J’ai pu en effet le rencontrer pendant la publication du Tome 1 mais je n’ai pas pu le croiser malheureusement ensuite. Duchâteau était ravi de voir que nous apportions du sang neuf à Ric Hochet. Lui et Tibet n’auraient pas pu se permettre d’outrepasser certains codes de la BD franco-belge. Moi et Zidrou avions cette liberté de moderniser Ric.
 
 
 
 
 
Dans « R.I.P. Ric », le fameux chat noir Nanar est tué par Caméléon. Était-ce une façon de sortir le lecteur de sa zone de confort ?
 
 
 
 
 
Il était intéressant que le chat soit tué car cela nous a permit d’aborder la symbolique de la réincarnation. Un animal de compagnie est voué à disparaître avant ses maîtrires. Il était assez mignon de voir apparaître à un nouveau petit Nanar à la fin de l’album. La mort du chat de Ric n’est pas l’aspect qui a le plus choqué les lecteurs. Montrer Nadine seins nus à la plage ou suggérer qu’elle avait couché avec le faux Ric Hochet fut plus scandaleux pour certains…
 
Faut-il rester fidèle aux aventures d’origine ? Selon moi, il n’y a pas de réelle direction à avoir lorsque vous reprenez des personnages mythiques de la bande dessinée. Ceux qui réalisent les nouveaux albums de Blake & Mortimer ont par exemple choisi d’être très respectueux de l’œuvre d’E.P. Jacobs. C’est presque du fétichisme. Spirou a, quant à lui, évolué considérablement.
 
 
 
 
 
Face à Ric, il y a Nadine. Personnage plus proche des idées de mai 68, plus progressiste, plus libre. Avec Zidrou, vous vous sentez plus proche d’elle que de Ric ?
 
 
 
 
 
Ric Hochet représente une France plus classique, plus gaulliste alors que Nadine est une jeune femme émancipée. Nous avons choisi de l’intégrer davantage dans les enquêtes de Ric car elle apporte du neuf. Mais, d’une certaine façon, Zidrou et moi, nous nous mettons plus dans la peau de Ric Hochet que de Nadine.
 
 
 
 
Les années 60-70 c’est pour vous la meilleure époque ?
 
 
 
 
Cela permettait à Zidrou de se « débarrasser » des albums de Ric Hochet post-70 et de toute la technologie moderne.
 
Pour ma part, même s’il est moins élégant, j’apprécierais de dessiner un Ric Hochet à la mode des années 70 (pattes d’éléphant).
 
La reconstitution de la France des années 60-70 me donne beaucoup de travail. Endrap l’espace de 50 ans, tout a changé- par conséquent, il faut faire un vrai travail de recherche sur Internet afin de dessiner le bon téléphone, la bonne sonnette, la bonne voiture,… Pour le Tome 2, j’ai également beaucoup étudié les essais nucléaires français dans le désert algérien. Pour le Tome 6 que nous réalisons actuellement, je me suis plongé dans le milieu de l’équitation et du tiercé. J’ai l’impression de passer plus de temps à préparer la planche qu’à dessiner la planche elle-même.
 
J’ai toujours voulu travailler sur des sujets stimulants. Avec Ric Hochet, vous devez à la fois dessiner les années 60 et dessiner à la façon de la bande dessinée des années 60.
 
 
 
 
 
« Meurtres dans un jardin français » est un album particulier puisqu’à ce moment-là « Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet » sont lancées. L’ambiance a-t-elle été différente ?
 
 
 
 
Nous l’avions pas du tout imaginé comme le début de nouvelles aventures de Ric Hochet. Certains fans s’étaient offusqués par rapport à notre approche. J’ai senti plus de pression durant la conception du Tome 2. A cette époque, le personnage de Ric Hochet était passé de mode. Il fallait lui redonner une nouvelle jeunesse. Puis, la magie est arrivée rapidement et je suis à présent à l’aise avec la mythologie de Ric Hochet. Ce qui est paradoxale c’est que même si je ne suis pas un des créateurs de la série, je la comprends parfaitement. Je garde de très bons contacts avec la famille du dessinateur Tibet et nous échangeons sur la conception des aventures de Ric Hochet.
 
 
 
 
Vous êtes-vous inspiré de personnages réels pour dessiner ?
 
 
 
 
Cela s’impose lorsque vous dessinez des personnages réels comme le responsable des éditions Marabout dans le Tome 3. Pour « Commissaire Griot », je me suis inspiré de l’acteur Jean-Pierre Castaldi pour le visage d’un serveur.
 
Les années 60 est une période sage et uniforme. Les nouvelles aventures de Ric Hochet vont nous conduire dans les années 70 où la mode était un peu plus excentrique et exotique et les visages plus divers.
.
dior
 
 
 
Avec « Incantations », vous aviez déjà abordé le dessin fantastique. L’univers étrange de Ric Hochet est également un bel exercice ?
 
 
 
 
Le fantastique me tient en effet à cœur. J’aime introduire le surnaturel dans un univers classique et uniforme. C’est justement ce que j’ai voulu faire avec « Incantations ».
 
Les albums fantastique de Ric Hochet ont marqué les esprits des lecteurs lorsqu’ils étaient jeunes. Cela a surpris et fasciné. J’imagine que Tibet s’est beaucoup amusé à dessiner le fantastique dans l’univers de Ric Hochet.
 
 
 
 
 
Le commissaire Bourdon est-il un personnage à part ?
 
 
 
 
C’est un être à la fois attachant et à la fois plus classique que les autres personnages. Il est proche du commissaire Maigret mais ses liens avec Nadine sont touchants. J’apprécie de dessiner Bourdon car il est complètement dans la farce. C’est un personnage au fort potentiel comique, et par ailleurs il sait se montrer émouvant, notamment car il incarne un personnage à l’automne de sa vie.
.
.
.
 lilib
 
 
.
.
Les nouvelles aventures de Ric Hochet auront pour nom « Le Tiercé de la mort ». Que va-t-il se passer pour le héros chic ?
 
 
 
 
C’est un épisode plus classique ancré dans la mythologie parisienne. Nous pourrons retrouver des personnages secondaires d’albums précédents.
 
J’ai un nouvel exercice avec « Le Tiercé de la mort » : Je dois dessiner des chevaux. Je fais tout mon possible pour leur donner vie. Ric Hochet est passionnant car à chaque album, nous devons créer une nouvelle ambiance.
 
 
 
 
 
Vous avez réalisé l’affiche du 17ème festival de bande dessinée de Puteaux qui finalement a été annulé à cause des conditions sanitaires. Vous avez pris du plaisir à mêler Ric Hochet avec d’autres univers ?
 
 
 
 
Absolument. La commande était de dessiner le lieu où se déroulait le festival et y intégrer des personnages célèbres de la bande dessinée. J’ai eu l’idée de montrer Ric Hochet en train de jouer avec des figurines. J’ai trouvé cela cohérent. J’ai réalisé cette affiche avec mon ami François Cerminaro qui a réalisé la mise en couleurs.
 
J’espère que le festival de Puteaux reprendra en 2022.
.
.
Puteaux définitive
.
.
.
.

Pour en savoir plus :

« Les nouvelles enquêtes de Ric Hochet/ Commissaire Griot » de Zidrou & de Simon Van Liemt – Éditions Le Lombard 2021

https://www.lelombard.com/bd/les-nouvelles-enquetes-de-ric-hochet/commissaire-griot

PARTAGER