Yan Morvan est un combattant. Depuis presque 50 ans, ce photographe au blouson de cuir sillonne toute la France, toutes les zones de guerre, toutes les folies avec son appareil photo. Pigalle, l’Irlande du Nord, le Larzac, le Palais de l’Elysée, le Liban,… Yan Morvan se confie: « il faut être présent partout.»  La photo c’est devenu une passion pour cet homme qui a côtoyé les plus dangereux et les plus paumés. Yan Morvan aime avant tout les territoires, l’histoire, les prolétaires et a toujours eu l’envie de raconter et de voyager. Le photographe n’est jamais à court d’idées.

Entretien en terrasse. [Crédit images : Yan Morvan]

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Après avoir voulu faire du cinéma, vous êtes devenu photographe par hasard. Pourquoi cette histoire avec la photographie dure -t-elle encore depuis plus de 50 ans ?

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C’est une addiction. Dès mes études à la fac j’y pouvais déjà voir un côté magique avec le processus chimique. C’était excitant de voir la photo se révéler tel le Suaire de Turin. Très rapidement, seul et sans réels moyens, vous pouviez obtenir de beaux résultats. Ce ne pouvait pas être le cas avec le cinéma.

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Alors que d’autres qui sont devenus paparazzi, vous vous êtes intéressé aux rockers, aux blousons noirs, aux punks, aux skinheads… Vous aviez une affection pour ces écorchés ?

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Être paparazzi demande d’être patient. Je l’ai fait 2 ou 3 fois. Attendre pendant des heures dans une voiture avec des collègues qui puent des pieds – ce n’était pas pour moi.

J’ai commencé à réaliser des photos en 1975 à l’âge de 21 ans. Sans soutien de ma famille,ski je devais me débrouiller tout en faisant de petits boulots et des petites rapines. Même si je n’étais pas un intellectuel, j’avais eu une formation politique alors que les autres jeunes que je fréquentais étaient des garçons bouchers et des apprentis menuisiers. Ils étaient des prolétaires anarchistes et situationnistes post-68. La radicalité passait aussi par la mode et l’acceptation des codes de vie à l’américaine. Dans les années 70, les Etats-Unis étaient considérés comme l’Eldorado- le pays de la liberté et du bonheur. J’avais accès aux paumés avec des origines espagnoles, portugaises ou polonaises et ayant des difficultés à parler français. Ils étaient blancs et chrétiens. Ils formaient tous une communauté avec ,à la fois, des valeurs chrétiennes enseignées par leurs parents et à la fois des valeurs du rêve américain. Les héros c’était Eddie Cochran et James Dean.

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Vous avez notamment pris en photo Serge Ayoub, chef des skins, avec la star du X Tabatha Cash. Ces jeunes se voyaient-ils comme des vedettes ?
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La presse qui marchait à l’époque c’était la presse people. Le domaine politique était restreint. Je n’avais toujours pas accès aux conflits armés et par conséquent j’ai eu l’idée de m’inspirer des photographes de la cour des rois et reines d’Angleterre mais en transposant cela chez les prolétaires, ces oubliés de l’histoire. On peut y voir une idée philosophique et marxiste de mettre en valeur ceux que personne ne regardait. J’ai décidé de retourner la situation. C’était nouveau et moderne. Devant mon objectif, les jeunes se sentaient importants. Même leur violence était une violence d’importance : ils voulaient se montrer et se démarquer. Le pouvoir assume des satisfactions que le sexe, la drogue ou l’alcool ne peuvent pas donner. Le pouvoir c’est une transcendance pour la masculinité. Je photographiais des gens de pouvoir. Comme je développais mes photos dans une chambre, cela valorisait ces jeunes. Ils avaient l’impression d’être comme les membres de la Cour d’Angleterre.

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Ce n’était pas un problème pour vous, anarchiste, d’idéaliser des skinheads ?

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Il y a un film que j’adorais c’était « The Party » (1968) avec Peter Sellers. Tout se mélangeait et tout cohabitait. Le vrai et le faux se confondent. C’est de plus en plus le cas aujourd’hui. Les seuls qui restent ce sont les gagnants et le pouvoir. Je fréquentais des bandes qui n’avaient qu’une idée en tête : prendre le pouvoir. Je passais des red skins aux white skins. À part l’idéologie, il y avait très peu de différences.

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En 1981, il y a 40 ans, vous capturez l’épisode des élections présidentielles. Vous photographiez à la fois les hommes et les femmes politiques, les policiers et les ouvriers. Que retenez-vous de ce « floréal 81 » (livre « 1981 ») ?

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Je me sentais bien. Au-delà de la politique, François Mitterrand a agit comme un catalyseur. Il a institutionnalisé les mœurs comme la fête, les drogues, les radios libres. Nous venions de terminer les années 70 avec Valéry Giscard-d’Estaing où seules les couches aisées avaient connu le libéralisme. Mitterrand a alors promis aux prolétaires qu’ils allaient vivre comme les bourgeois. Le peuple avait le droit de vivre comme les autres.

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Votre photo de Lady Di lors de son mariage avec le Prince Charles. Les contes de fées cela fait rêver ?

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C’est la manipulation des masses. Ceux qui ont le pouvoir donnent parfois un morceau de gâteau aux pauvres pour les faire rêver.

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Vous devenez reporter de guerre en couvrant d’abord en 1982 la guerre entre l’Iran et l’Irak. Vous avez été témoin de nombreux conflits jusqu’à nos jours. Peut-on encore avoir foi en l’humanité lorsqu’on a côtoyé l’horreur et l’injustice ?

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En 1986, j’ai été au fin fond de l’Ouganda. J’arrive au petit village de Gulu et je trouve une église perdue au milieu de nulle part. J’y rencontre un prêtre italien soignant les lépreux depuis des dizaines d’années. Il nous a demandé de partir car il ne voulait pas de la presse. Au milieu de l’horreur, vous pouvez trouver de l’humanité. Depuis presque 50 ans, je me balade dans les extrêmes que ce soit chez les riches, chez les pauvres, dans les pays en guerre (dans les deux camps) et dans les pays en paix.

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De votre expérience en Irlande du nord, vous avez publié le livre « Bobby Sands« . Est-ce une façon d’humaniser un conflit sans fin en donnant le nom d’un martyr ?

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J’avais étudié la martyrologie. Bobby Sands est le dernier martyr chrétien. Dans 1000 ans, il sera toujours un martyr. À l’époque peu de livres ou de films ont finalement traité la question. Il y a eu 10 grévistes de la faim. 9 sont morts et le dernier a décidé d’arrêter sa grève. Il est devenu écrivain et m’a remercié d’avoir fait le livre.
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Vous restez 4 ans au Liban. Vous vous trouvez à proximité de l’immeuble Drakkar lorsqu’un attentat suicide tue 58 soldats français. Être photographe c’est être mobilisable à tout moment ?

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À l’époque oui. Certains photographes aujourd’hui font des choses formidables mais ce qu’ils n’ont pas c’est mon expérience. J’ai une vraie vision d’ensemble. J’essaye de voir les choses dans leur globalité. J’articule mes histoires en fonction de cela. Sans le sou, je suis devenu photographe de presse par nécessité. En 1982, alors que je revenais du Sommet de Versailles, je reviens à l’agence. Mon rédacteur en chef m’interpelle : « Morvan, notre photographe est revenu du Liban. Il ne veut plus y retourner car c’est dangereux. Tu veux y aller? On te donnera de l’argent mais tu n’es pas obligé d’y aller… ». J’ai juste dit : « j’y vais » et j’y suis resté 4 ans.

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Vous avez pris en photo 256 champs de bataille de l’Antiquité à nos jours. Être photographe c’est aussi être historien ?

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Je propose toujours des projets casse gueule. C’est très difficile de trouver de l’argent pour les réaliser. Aujourd’hui, sans le sou, les photographes ne peuvent plus voyager alors ilsYan Morvan vont à l’essentiel : l’actualité. Ils descendent juste de chez eux pour aller couvrir une manifestation de gilets jaunes puis un attentat terroriste. Les photographes se perdent là dedans car ce n’est pas un projet. Ils ne racontent pas une histoire.
Avec Bobby Sands, les champs de bataille ou les élections présidentielles de 1981, je raconte une histoire. Qui le fait aujourd’hui ? Les livres de photo sont juste un ensemble de photos tirés à 400 exemplaires. Les photographes font une petite exposition et vendent quelques tirages à moins de 1000 euros. Mais que racontent-ils?
Je continue à faire du documentaire. Je veux réaliser une histoire qui parle au plus grand nombre. J’ai 10 sujets à monter. Il faut trouver des mécènes, faire des interviews,…

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Vous avez été notamment photographe pour Newsweek. C’était plus simple de travailler avec les Américains ?

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Ce sont des tueurs. Ils ne s’arrêtent pas de faire des entourloupes. Si vous voulez travailler avec les meilleurs, travaillez avec les Chinois.

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Vous avez également photographié Pigalle. Est-ce un personnage à part entière ?

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C’est un quartier formidable. J’y vivais donc c’était normal que je descende pour prendre des photos. Je me suis passionné pour l’histoire de Pigalle. Autrefois, ouvriers et paysans se côtoyaient. Mais Pigalle a considérablement changé. Tout a été transformé en Bio c’est bon ou en restaurant bobo.

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Vous avez fréquenté les milieux de la prostitution à Pigalle et en Thaïlande. Vous avez développé le porno chic en France. Le sexe c’est toujours vendeur ?
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Les bordels de Thaïlande étaient affreux.
Le porno chic avait quelque chose de bénéfique car il apprenait aux gens à faire l’amour. C’étaient de vrais tutos pour adultes. Lorsque je réalisais mes chroniques avec Thierry Ardisson dans Entrevue, je n’ai jamais rencontré d’acteurs ou d’actrices qui se plaignaient de leur métier. Ils étaient pros. Malheureusement, le porno chic a dérapé.
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Vous avez été pris en otage et tabassé pendant trois semaines par un certain Jo qui finalement était l’assassin Guy Georges. Peut-on se relever de telles violences ?

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C’était lui ou moi. Il a finalement été arrêté. Suite à cet épisode, j’ai en effet arrêté la photo pendant un an. J’avais crée Photographie.com.

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Avec Éric Bouvet, vous voyagez dans toute la France avec une chambre photographique. Quelle est votre vision du pays ?

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C’est un pays que j’adore. Je travaille actuellement sur mes archives avec des jeunes formidables. Ils sont marxistes-staliniens. Penser ainsi de nos jours c’est incroyable. La France me surprend toujours. Il faut que ça bouge. La vie ne doit pas être métro, boulot, dodo. Je suis persuadé de 3/4 des maladies sont provoquées par l’ennui. C’est l’ennui qui tue. Je me souviens d’un de mes premiers modèles Johnny de Montreuil. Proxénète, il a été abattu il y a une dizaine d’années dans un bistrot. Johnny disait : « Il faut vivre jeune, mourir vite et faire un beau cadavre. »

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Le photographe doit-il avoir constamment des projets ?

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C’est sans cesse la guerre. Je travaillais sans arrêt. Il y a les projets d’exposition, de livres, les interviews, les coups de téléphone incessants,… Je suis photographe depuis 48 ans et cela a toujours été intense. Il faut toujours être présent et mobilisable. La durée de vie est très courte.

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Pour en savoir plus :

Crédit images : Yan Morvan

Le site : https://hanslucas.com/

Les livres de Yan Morvan à La Manufacture de livres : https://www.lamanufacturedelivres.com/nos-auteurs/auteur/76/yan-morvan

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