Sur scène, dans la rue ou sous le chapiteau, il y a un personnage qui nous est familier. Parfois drôle, parfois émouvant, (parfois même effrayant pour certains !), le clown reste une figure populaire. Haut en couleurs, il y a chez lui surtout beaucoup de choses en nous.

Entretien avec Aurélien Liermann, comédien, clown et professeur.

Figure incontournable des arts du spectacle, le clown a sa place mais quelle est sa fonction principale ?

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Il a avant tout une particularité : Il est le personnage le plus sincère sur un plateau, c’est pour ça qu’il ne porte pas de déguisement mais un costume.. Le clown s’adresse à tout leov monde, vous pouvez trouver votre clown que vous soyez jeune, âgé, handicapé,… .

Son image est pourtant malheureusement mal perçue par beaucoup. Les clowns tristes du peintre Bernard Buffet ou le clown de cirque en sont devenus les grands clichés alors qu’il y a tant d’aspects à explorer chez le clown.

En ce qui me concerne, ma référence reste le clown de Charlie Chaplin. Un clown abouti n’a plus nécessairement besoin d’un nez pour faire rêver et divertir les spectateurs. Il montre également que le ridicule ne tue pas et qu’il peut même générer des liens et des énergies. On ne devient pas clown dans l’immédiat ; d’ailleurs on ne devient pas clown, on le laisse « sortir ». Cela demande du temps mais si vous acceptez votre part d’imagination et de folie, le processus va s’accélérer.

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Maquillé ou non, acrobate, musicien, triste ou joyeux, le clown porte souvent le nez rouge. Est-ce un élément clé ?

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Pour travailler, le nez rouge est très important. Il permet de se « voiler la face », de se faire croire qu’on est caché – nous sommes ainsi abrités et cela permet d’aller plus loin que si on avait conscience d’être autant exposé au public. Le nez rouge va un peu être comme une feuille de vigne : sur un plateau, vous pouvez vous sentir nu – le nez va alors permettre de se sentir plus à l’aise, d’être confortable.

L’avantage du nez, en tant que clown, est qu’on peut le voir en permanence dans son champ de vision. Avec un grain de beauté sur le visage ou un chapeau, on finirait par oublier l’accessoire. Le nez rouge ainsi visible nous rappelle que notre pudeur est préservée.

C’est également un code non verbal universel qui permet « d’expliquer » aux gens qu’il ne s’agit pas d’un fou… Enfin, le plus grand avantage du nez est que cela casse les traits du visage et met en valeur le regard. C’est par le regard que passe la sincérité: l’âme du clown s’en trouve ainsi révélée.

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Le clown est populaire et il permet de rire de nos propres défauts. Est-ce un personnage qui nous rassure ?

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Le clown fait parfois peur et il provoque alors de la méfiance. C’est surprenant car, qui a peur de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton ? Pourtant, ce sont des clowns.

Le clown partage sa sensibilité, autant sa poésie que sa folie, et ce qui est rassurant c’estBuster-Keaton qu’il n’essaye pas de les cacher. Peu de clowns sont salaces ou « sales ». L’artiste Jango Edwards aborde ces aspects mais n’en est pas moins un vrai clown. J’ai eu le plaisir de le voir sur scène. Il nous disait avoir choisi de jouer sur une petite scène car dans une plus grande il n’aurait pas eu la possibilité de voir les yeux des spectateurs.

Avec son rapport spécifique au public, le clown est dans le partage et donc il rassure. Sa maladresse rappelle que nous ne sommes pas parfaits et que nous devons accepter et même apprécier nos défauts.
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Que peut-on dire du clown au cirque ?

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Le clown tel que celui d’Achille Zavatta par exemple se rapproche plus de la figure du « bouffon » dont l’emploi n’est que de faire rire, probablement dans le but d’attirer les enfants au cirque. Les clowns du Cirque du Soleil se rapprochent beaucoup de celui du théâtre. Ainsi, le clown a réussi à obtenir une plus grande place sous le chapiteau.

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Vous enseignez la pédagogie du clown. Y’a-t-il des codes à suivre ou au contraire y-a-t-il une certaine liberté d’interprétation ?
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La bienveillance fait partie des codes indispensables. Nous demandons à l’apprenti clown de se « jeter dans le vide », de s’exposer entièrement au public. Malgré l’envie, la peur estdd présente. Par conséquent, il ne faut pas bousculer négligemment l’élève. Il faut l’amener à se lancer avec plaisir, et toujours garder en tête que c’est ce qui doit l’emporter. La seule méthode est qu’il n’y a pas ‘une’ méthode à mon sens, il faut s’adapter aux élèves.

Ceux qui viennent assister à mon cours amateur sont issus de tous les milieux. Il y a des cadres banquiers, des ouvriers, des retraités, des pharmaciens ou encore des étudiants. Avant même de s’inscrire aux cours, ce sont des gens qui ont déjà une grande ouverture d’esprit si ce n’est de la curiosité sans a priori.

Contrairement aux professionnels qui se sentent obligés de se mettre plus rapidement à nu, les clowns amateurs ont envie de se découvrir. Ils ne viennent pas par hasard aux cours. Souvent quelque chose se passe dans leur vie (familiale, professionnelle, personnelle). Même ceux qui ne vivent pas quelque chose de charnière vont, en général avant la fin de l’année, prendre une décision ou se mettre en phase avec eux-mêmes. Le clown vous permet de prendre des décisions pour vous-même. Lorsque vous êtes bien avec vous-même, vous êtes bien avec les autres. Le clown amène nécessairement à s’accepter. Et en paix avec vous-même, vous ne pouvez pas être intolérant: comme raciste ou homophobe.
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Etre clown c’est aussi retrouver des émotions d’enfance ?

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Ce n’est pas tant retrouver ses émotions d’enfance, que de se réhabituer à les laisser s’exprimer comme à cet âge. Prendre conscience qu’on ne les avait pas perdues, mais qu’on les avait laissées s’étouffer.

J’enseigne la pédagogie du clown à des adultes essentiellement et par le passé à des enfants. Ces derniers y prennent beaucoup de plaisir car ils peuvent vraiment laisser s’exprimer leur imaginaire, mais moins sincères par manque de maturité et donc dans la fabrication.

Les adultes, notamment au départ, se reconnectent en effet avec le monde de l’enfance. La société nous déconstruit sur le fait de partager ses émotions et son imaginaire. Il faut parfois apprendre aux élèves à regarder son interlocuteur dans les yeux. Nous vivons dans une société où les regards ne se croisent plus, où la sincérité est mise de côté. Retrouver des émotions d’enfance nous permet de redevenir naturels.
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Vous avez co-fondé en 2011 la troupe de clowns Los Impostores. Plus on est de fous, plus on rit ?

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Clairement. Cela permet d’entrecroiser autant d’idées, de folies et d’imaginaires qu’il y a de membres. Et même si la vie de troupe n’est pas en permanence facile, sur le plateau, nous avons pu nous nourrir de l’énergie de chacun en plus de celle des spectateurs. Le clown est en interaction en permanence pour mieux partager et rester à l’écoute. Par conséquent, être à plusieurs permet de s’enrichir mutuellement.

Nous avons notamment mis en scène des clowns qui veulent adapter le classique de William Shakespeare « Roméo & Juliette ». La pièce étant libre de droits, cela nous permettait une liberté totale. Comme l’histoire de « Roméo & Juliette » est connue par un grand nombre, le décalage que nous y avions mis fonctionnait mieux avec les spectateurs. Nous avons pu lier le ridicule et la poésie.
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Avec la coulrophobie (la peur des clowns), avec le succès des films (« Ça – il est revenu », « Joker » avec Joaquin Phoenix), le clown a eu son image dégradée. Cela a-t-il obligé les artistes à revisiter la figure du clown ?

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A aucun moment, le clown n’est un personnage effrayant. C’est une méconnaissance de ce qu’est vraiment le clown qui fait que ces types de film ont un impact négatif.

La figure du clown a déjà été revisitée à travers le Cirque du Soleil comme je vous le disais.oo

Et au cinéma, Chaplin l’a définitivement installé comme combattant de l’horreur avec « Le Dictateur ».

C’est une figure artistique qui est connectée visuellement. Dès l’école, notre société nous habitue à ne plus se regarder dans les yeux. Le clown est dans le partage constamment – Certains peuvent alors ne pas comprendre cet aspect. Et ceux qui viennent essayer le clown vont rapidement faire savoir s’ils ont un a priori, en général ils changent d’avis.

Il arrive parfois quand les élèves informent leur famille ou leurs amis qu’ils suivent des cours de clown, qu’ils aient face à eux des réactions d’incrédulité. Mais qui a peur de Charlie Chaplin ? Qui a un a priori négatif de son personnage ?
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Nous vivons à présent la fin de la crise sanitaire. Avec les gestes barrières, les salles de spectacle fermées, les liens humains se sont détériorés. Malgré tout, avez-vous toujours des idées de clownerie ?

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Je passe mes journées à parler du clown, à l’enseigner, à le partager. Grâce à cela j’ai la chance de nourrir mon imaginaire autant que celui de mes élèves. Dans le cadre d’actions culturelles, je mets en scène un spectacle que je co-écris pour un de mes anciens élèves. J’aide beaucoup certains d’entre eux pour notamment préparer leur parcours libre pour les concours de conservatoires, ou aussi pour celui du Samovar – l’école de clowns à Paris.

Avant la crise sanitaire, je faisais également des formations sur l’écoute et la bienveillance via le clown. J’ai pu ainsi enseigner au sein d’entreprises. J’aime ce côté « déminer de l’intérieur »: certaines personnes ,avec de grandes responsabilités, ont pris beaucoup de plaisir à apprendre quelque chose de très différent de leur quotidien professionnel: le partage et la bienveillance.

Je me laisse également du temps pour préparer mon projet solo. Je trépigne de remonter partager mon clown sur une scène.
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©Cheick Touré
©Cheick Touré
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