Symbole de la jeunesse de l’après-guerre, les Blousons noirs continuent d’hanter nos mémoires. Nés sous les gravats du dernier conflit mondial, ces jeunes à « la fureur de vivre » avaient trouvé leur hymne avec le Rock’n’roll, leurs idoles avec le cinéma d’Hollywood et leurs moyens de transport avec la moto et le bolide. Bagarres, mode vestimentaire unique, enfants des Trente glorieuses, mais qui étaient ces fameux Blousons noirs en France ?

Entretien avec Sophie Victorien (Clamor, CNRS-Ministère de la justice), docteure en histoire contemporaine, spécialiste de la jeunesse, et auteure de « Jeunesses malheureuses, jeunesses dangereuses – L’éducation spécialisée en Seine-Maritime depuis 1945 ».

 

 

Quelle est la situation des jeunes quelques années après la Seconde Guerre mondiale ?

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Nous pouvons observer une lente évolution entre les « J3 » au sortir de le Seconde Guerre mondiale et les Blousons noirs de la fin des années 1950. Les délits des délinquants de l’immédiat après-guerre, sont surtout liés à un retour difficile à la normale après des années de guerre et d’occupation où la débrouillardise via le marché noir et le vol avaient cours pour survivre. C’est dans ce contexte d’une France vieillissante où les séquelles de la guerre sur les jeunes sont observées et dans un climat de reconstruction que l’Ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante – en gestation depuis plusieurs années –décombres est promulguée. Elle consacre une justice spécialisée des mineurs et la primauté de l’éducatif sur le répressif (ce qui n’interdit pas bien entendu des peines de détention). Les Blousons noirs, issus de milieux populaires, ouvriers ou en recherche d’emploi quant à eux commettent également des vols pour arrondir les fins de mois mais aussi pour satisfaire leur passion de la vitesse en « empruntant » des voitures en particulier. Les médias mettent en avant également les bagarres entre bandes, leur violence qualifiée parfois de gratuite témoignant d’un rejet de la société présentée comme économiquement florissante sauf que cette jeunesse n’a pas forcément bénéficié de cette dynamique. Face à ce sentiment d’insécurité des voix s’élèvent déjà pour durcir les mesures à l’égard des jeunes. Nous sommes bien loin du tableau dressé d’une jeunesse insouciante d’autant que la perspective d’être envoyés en Algérie pour aller au front est une réalité tangible.

 

 

La proximité de troupes américaines toujours stationnées dans quelques bases en France a-t-elle influencé une certaine mode (vestimentaire, cinématographique, musicale,..) chez les jeunes ?

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La proximité des troupes américaines a pu influencer localement les jeunes habitants où elles ont été implantées mais le cinéma puis les concerts de rock’n’roll ont davantage joué dans la diffusion de cette culture en effet américaine.

 

 

Peut-on dire que les Blousons noirs est un mouvement uniquement masculin ? urbain ? 
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Les bandes de Blousons noirs sont majoritairement composées de garçons mais les jeunes filles ne sont pas absentes, certaines peuvent même être cheffes de bandes. Quelques-unes se font remarquer par des violences relayées par la presse. Les études de l’Éducation surveillée de l’époque dénombrent en moyenne 1 fille pour 20 garçons dans les bandes en 1959. Ces bandes sont un phénomène essentiellement urbain, visible à Paris mais aussi sur tout le territoire national.

 

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Bandes des quartiers, bandes de copains organisées avec un code d’honneur et des rituels. Les Blousons noirs fonctionnent-ils de façon tribale ?

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Les bandes de Blousons noirs ont souvent un chef, des règles plutôt qu’un code d’honneur et sont attachées à un territoire, un quartier populaire. Plutôt que des rituels, des rites d’intégration ont parfois pu être observés mais cela n’est pas la norme. De même, nous ne sommes pas dans une organisation tribale qui se réfère à un autre mode de regroupement basé selon les ethnologues notamment sur les liens de parenté.

 

 

Les surnoms étaient-ils courants ? 

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Oui les surnoms sont fréquents et sont relatifs à une particularité physique ou de caractère, une origine. Ex. L’Ablette, Moustique, etc. Les bandes portent souvent un nom lié au quartier où elles évoluent. À Paris et en région parisienne, il y a la bande de la Nation, la bande de la Bastille, la bande des 4 routes à Gennevilliers, etc.

 

 

Les Blousons noirs aimaient-ils tous le même rock’n’roll ?

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On associe le rock’n’roll à ces jeunes mais les premiers Blousons noirs ne sont pas forcément familiers de cette musique même si certains ont vu Graine de violencehounddog (Blackboard Jungle sorti en France en 1955) dont le générique est rythmé par « Rock around the clock » de Bill Haley. Ils écoutent aussi Bill Haley, Eddie Cochran ou Elvis Presley. Toutefois cette musique prend véritablement son essor à partir de 1961, année des trois premiers festivals internationaux du rock’n’roll en France qui se sont déroulés au Palais des Sports à Paris en février, juin et novembre. Plusieurs idoles vont permettre de diffuser cette musique auprès jeunes : notamment Vince Taylor, Les Chaussettes noires et Johnny Hallyday qui sera associé aussi aux yéyés à partir de 1962. Car la musique yéyé, qualifiée de guimauve, est parfois écoutée aussi par Les Blousons noirs, même s’ils s’en défendent.

 

 

Les Blousons noirs ont souvent été liés à l’insécurité et au règlement de compte. La situation a-t-elle inquiété les autorités ? Les Blousons noirs ont-ils été perçus de la même façon que des bandes de jeunes comme les Apaches au début du XXème siècle ? 

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Le phénomène des Blousons noirs est associé à un sentiment d’« une marée montante de la délinquance » à tel point que des études menées notamment sous la direction de l’Éducation surveillée vont s’attacher à mieux comprendre le phénomène des bandes et leurs caractéristiques. Même si les journalistes contribuent, comme pour les Apaches aujohnny début siècle, à entretenir ce sentiment de peur dans la société, le contexte est différent et l’ampleur de cette construction médiatique voire politico-médiatique doit beaucoup aussi au développement d’autres supports d’information (la radio et la télévision, toutefois cette dernière est encore peu présente dans les foyers). Désormais, les observateurs doivent prendre en compte l’affirmation d’une nouvelle classe d’âge, les jeunes, avec leurs goûts propres et des envies qui ne concordent pas avec leurs parents, les « croulants », auxquels certains s’opposent. La « décadence des mœurs » de la jeunesse inquiète et cette « panique morale » trouvera son point d’orgue dans la Nuit de la Nation le 22 juin 1963 où des incidents attribués aux Blousons noirs agitèrent ce spectacle rassemblant les idoles yéyés.

 

 

L’envoi de jeunes en Algérie a-t-il été une des mesures des autorités ?

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La guerre d’Algérie pèse lourdement sur les épaules de ces jeunes : leurs grands frères sont partis au front, eux peuvent être les futurs appelés. Des voix s’élèvent pour envoyer ces jeunes remplir leurs obligations militaires en Algérie, dès 1960. Or, l’âge moyen des blousons noirs est de 17 ans et la réponse du Préfet de police précisera qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne permet d’appeler sous les drapeaux des jeunes gens âgés de moins de vingt ans, et ceux-ci ne peuvent être incorporés que s’ils souscrivent, avec le consentement de leurs parents ou de leur représentant légal, un contrat d’engagement volontaire. Le ministère des armées ne souhaitera pas d’ailleurs que la législation soit modifiée sur ce point.

 

 

Les Blousons dorés et roses montrent-ils que le mouvement est devenu un effet de mode plus qu’une question de classes ?

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L’expression « Blousons noirs » et ses déclinaisons sont en effet régulièrement utilisées par les journalistes. De plus, il y a en quelque sorte un effet de mode chez les jeunes notamment à travers les codes vestimentaires (blouson de cuir, jeans, bottes), les cheveux gominés, la musique et le cinéma. Mais les Blousons dorés représentent plutôt les jeunes délinquants des classes aisées, « Les Tricheurs », de Marcel Carné (1958). Là nous sommes quand même dans une opposition de classes entre ces jeunes issus de la bourgeoisie aisée aux comportements jugés déviants, s’étourdissant dans les fêtes et les Blousons noirs issus des classes populaires. Quant aux « Blousons roses » cette expression désigne de très jeunes délinquants, « les blousons noirs en herbe ».

 

 

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Comment les Blousons noirs ont peu à peu disparu ? Les yéyés les ont-ils avalés ?

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Non les Blousons noirs n’ont pas été véritablement « avalés », ils sont plutôt devenus peut-être moins visibles avec les yéyés qui ont profité de cette mode en proposant une musique s’approchant du rock’n’roll mais moins subversive : le twist, le madison, etc. Et surtout cette « culture aseptisée » a bénéficié d’une médiatisation très forte par exemple à la radio avec l’émission sur Europe n°1 et le journal Salut les Copains. Enfin, les Blousons noirs ont été progressivement remplacés par les cheveux longs ou les « cheveux hirsutes » : la peur des hippies contestant la société de consommation va désormais focaliser l’attention des journalistes, puis les fameux loubards des années 1970, etc. La fin des Blousons noirs ne signifie pas en effet que les bandes de jeunes disparaissent. Celles-ci reviennent régulièrement dans les médias.

 

 

Plus de 70 ans, que retiennent ces Blousons noirs devenus finalement des ‘croulants’ ?

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La majorité des Blousons noirs qui a tant effrayé la société est rentrée dans le rang, en trouvant un emploi et en fondant une famille. Certains ont frayé avec la justice jusqu’à entrer dans une spirale délinquantielle parfois fatale. Les témoignages des anciens Blousons noirs et les ouvrages relatant leurs souvenirs sont des sources très précieuses mais à manier avec prudence car comme dans tout travail de mémoire une opération de tri peut être opérée voire une réécriture de l’histoire peut être observée. Il en ressort une certaine nostalgie de cette période, parfois une vision un peu romancée où les bagarres sont davantage vues comme un divertissement. Les références communes tournent beaucoup autour des virées entre copains, du cinéma et des concerts de rock’n’roll. D’autres ont préféré tourner la page et ne souhaitent pas trop s’appesantir sur cette période parfois loin des normes de la société voire en opposition avec celle-ci et peu en adéquation avec leur évolution socio-professionnelle.

 

 

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