A chaque coin de rue, la magie peut surgir de nulle part. La belle lumière, le bon modèle peuvent en effet apparaître comme par surprise. Pour capturer cet instant, il faut avoir le bon œil, le goût de la réalisation, l’appareil photo. Depuis des années, Jean-Baptiste Pellerin arpente les rues du monde entier. Une petite présentation se fait, le modèle accepte d’être pris en photo et un clic plus tard, le cliché est réalisé. Cet incroyable photographe a tout bonnement choisi l’extérieur comme atelier. Back to the street : Ses photos décorent en effet les murs de nos rues. Pas d’erreur : L’exposition est ouverte à toutes et tous. Les modèles c’est aussi vous, moi, eux. Entretien avec Jean-Baptiste Pellerin, découvreur d’instants.
Vous êtes photographe professionnel. Aller dans la rue, c’est avant tout une thérapie ?
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Photographier les gens dans la rue peut en effet être vu comme une thérapie dans le sens où j’apprends beaucoup sur moi-même. Ça fait maintenant 7 ans que j’aborde les gens pour les prendre en photo. Et pour qu’ils acceptent, il faut qu’ils se sentent en confiance, qu’ils ne se sentent pas jugés. Je dois pour cela mettre de côté tous mes aprioris et me dépasser en jouant un rôle d’un personnage encore plus bienveillant que je ne le suis, un homme meilleur.
Petit à petit, j’ai réalisé que mon travail prenait une dimension politique du fait de photographier les gens de la même manière, qu’ils soient riches, pauvres, noirs, blancs…
Le message est : Regardons-nous sans apriori pour mieux vivre ensemble.
Se présenter, discuter,… Est-ce également un bon moment ?
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Oui. Je repère la personne, je me présente rapidement et je lui demande si je peux prendre une photo. Les conversations sont souvent assez courtes car à Paris les gens sont souvent très pressés. … Cependant, ça reste un moment d’échanges chaleureux. Nous échangeons ensuite les coordonnées et j’envoie les photos.
Pendant plus de 20 ans, vous avez fait de la « photo volée ». L’exercice a-t-il ses limites ?
Je n’avais plus envie de le faire. J’ai voulu faire totalement autre chose. Pendant longtemps, j’ai pensé que la photo « volée » était plus authentique et plus naturelle que la photo posée. Avec le recul, je pense que j’avais surtout peur d’aborder les gens.
Quand je suis devenu photographe professionnel au début des années 2000, j’ai mis de côté la photo de rue. C’était un moment où le droit à l’image se renforçait et où nous ne pouvions plus prendre aussi facilement les gens en photo. Tout le monde devenait méfiant et on était suspecté d’être des policiers ou des voyeurs.
A l’époque, j’ai commencé à réaliser des films documentaires. Je ne me cachais plus, j’étais au contraire dans l’échange et la relation avec les personnages dont je réalisais le portrait.
Plus tard, un camp de migrants s’est installé sous le métro la Chapelle, près de chez moi. Je suis allé à leur rencontre en leur proposant du café. Au fil des jours, nos relations se sont renforcées et j’ai pu progressivement les prendre en photo. Ils se sont pris au jeu et me demandant des photos posées et en pieds pour qu’on puisse bien voir leurs vêtements et leurs chaussures. Cette contrainte a donné un nouvel axe à mon travail. En juin 2015, quand le camp a été démantelé, j’ai décidé de continuer les portraits en pied, avec les gens que je croisais dans la rue.
Paris, New-York, Londres, Tokyo, Arles, Bombay, Calcutta… Les photos sont-elles différentes selon les villes ?
L’Inde est clairement une autre planète dont je pourrais parler pendant des heures. Je compare plus facilement des villes comme Paris, New-York et Londres. La relation avec les gens est assez similaire. La différence se situe plus dans les décors qui constituent les fonds de mes photos. Pour moi, le fond de l’image est aussi important que le sujet.
Vous accrochez vos photos sur les murs des villes. Le support est-il également important ?
Je voulais montrer mes photos à toutes et tous. J’utilise la rue comme lieu d’exposition. C’est aussi pour moi un moyen de voir mes photos, comme un peintre s’entoure de ses tableaux dans son atelier. Je colle d’ailleurs beaucoup de mes photos dans les rues que j’emprunte régulièrement. Par conséquent, je les vois avec plaisir sur mon chemin.
Le duo est-il un cadeau pour le photographe ?
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Au début, je photographiais surtout des gens seuls et, petit à petit, je me suis mis à photographier des duos. Parfois par ce qu’ils se ressemblaient (comme des jumeaux), parfois pour leurs différences. J’aime aussi photographier des couples. C’est intéressant de voir la façon dont ils vont naturellement se positionner devant mon objectif.
J’aime également faire jouer le hasard. Quand je prends en photo une personne et qu’une autre se présente, je l’encourage à se joindre au shooting. Ainsi, un duo se créé. La photo du CRS et la vieille dame a notamment été un cadeau magnifique.
L’élégance est-elle une signature ?
Je dirais plutôt l’apparence. J’aime tous les uniformes, les jumeaux qui s’habillent de la même façon, les sapeurs, les ouvriers en bleu de travail, les chapeaux hauts de forme… J’aime les petits détails vestimentaires, les extravagances et évidement l’harmonie des couleurs. Au fil du temps, j’ai réussi à développer un œil qui détecte tout de suite ce qui va m’attirer. Je peux remarquer un sujet à plus de 100 mètres de moi.
Vous photographiez également les animaux.
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Oui, et je les photographie de la même manière que les humains, je me mets à leur hauteur. Il m’arrive régulièrement de m’allonger par terre.
Vous accompagnez vos photos avec un texte comme pour rendre hommage à la fois à Robert Doisneau et Jacques Prévert. Est-ce une autre exigence ?
Adolescent, je suis tombé un article du magazine Zoom sur Doisneau préfacé par un poème que Prévert lui dédiait. Cette lecture m’a d’une part donné envie d’être photographe et sûrement influencer pour accompagner mes photos d’un petit texte.
Au temps du coronavirus, la rue se montre différente. L’exercice est-t-il plus difficile ?
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L’exercice n’est pas plus difficile mais différent. C’est une période exceptionnelle, donc intéressante et enrichissante. Pendant le premier confinement, j’ai profité du fait que les gens, et particulièrement les sans-abris, étaient réellement demandeurs de contact.
Aujourd’hui, je me suis habitué à cette situation et j’ai l’impression de faire mes photos normalement, mais quand la crise sera derrière, je réaliserai probablement le coté extra-ordinaire de cette période.