Valéry Giscard d’Estaing-Jacques Chirac, François Hollande-Emmanuel Macron,… Bon nombre de couples politiques rien que durant la Vème République ont fonctionné pour le meilleur mais aussi pour le pire. Hommes de conviction et fortes personnalités, François Mitterrand et Michel Rocard ne font pas exception. Parfois efficace, parfois sous tension, le duo socialiste a clairement marqué l’histoire politique française.

Entretien avec Pierre-Emmanuel Guigo, maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil et auteur de livres consacrés à Michel Rocard et François Mitterrand. 

 

 

« Homme sournois » pour Michel Rocard, « jeune homme un peu arrogant » pour François Mitterrand. Peut-on dire que les premières rencontres entre les deux hommes de gauche commencent mal ?

 

 

Elles commencent mal en effet. Les deux hommes sont de générations différentes et ils vivent les grands événements politiques des années 1950 et 1960 avec des positions distinctes.
Michel Rocard s’engage très tôt pour les décolonisations, alors que François Mitterrand est plutôt favorable à un maintien de l’empire avec plus d’autonomie des colonies et une intégration progressive des colonisés à la vie politique.
Ministre à 11 reprises sous la IVeme Republique, François Mitterrand aura des décisions lourdes à prendre notamment concernant la Guerre d’Algérie alors qu’il est ministre de la Justice en 1956. Il refusera de présenter le dossier deroc militants du FLN à la grâce présidentielle. De tels actes lui seront reprochés longtemps par Michel Rocard, mais plus généralement par une bonne partie de la gauche.
Leurs premières rencontres datent toutefois de 1967. Michel Rocard est chargé de négocier des accords de désistement avec la force d’union de la gauche fédérée par François Mitterrand après sa campagne de 1965 : La FGDS. S’affrontent déjà là, au-delà des simples caractères, deux visions distinctes de ce que doit être l’alliance à gauche : une tactique pour François Mitterrand, un accord précis sur un programme et une ligne idéologique claire pour Michel Rocard.
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La renégociation du programme d’Union de la gauche en 1977 réactive l’opposition entre les 2 socialistes. Est-ce plus un conflit d’idées (marxisme) que d’hommes ? Michel Rocard parle d’un monarque absolu, très infâme truand entouré d’une « maffia »…
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Le conflit est idéologique comme évoqué précédemment, mais aussi personnel et tactique. Les personnalités de Michel Rocard et François Mitterrand sont clairement opposées. Le maire de Château-Chinon est un homme de réseau, de culture et de stratégie. Michel Rocard s’intéresse plus aux sciences sociales et à la gestion d’un pays qu’au gouvernement des hommes.
Sur le plan idéologique, François Mitterrand n’étant pas un idéologue, on ne peut pas dire que ce soit l’élément central. Même s’il a joué de la fidélité à la ligne historique du PS : le marxisme, la laïcité, le jacobinisme.
Michel Rocard théorisera au contraire la Deuxième Gauche qui se veut décentralisatrice, moins étatiste, laissant sa place à la société civile.
Enfin, c’est un conflit aussi tactique sur l’union de la gauche comme déjà évoqué et pour la conquête du pouvoir en 1981. C’est aussi pour cela qu’il s’avère si violent.
La phrase que vous citez est d’une grande violence car elle est tirée d’une correspondance privée de Michel Rocard avec une femme qui lui était chère. Il n’aurait sans doute pas tenu de tels propos en public.
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En 1981, c’est finalement François Mitterrand qui est élu le premier président socialiste de la Vème République. Comment Michel Rocard vit les événements ?
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L’élection de François Mitterrand met Michel Rocard et les rocardiens en Porte à faux. Le maire de Conflans a été loyal pendant la campagne. Mais l’échec de François Mitterrand aurait sans doute fait de lui le recours pour la prochaine élection. mitt
En outre, au sein du nouveau gouvernement il n’hérite que d’un ministère secondaire : le Plan qu’il décrit comme un « placard doré ».
Il subit plusieurs humiliations : ses plans sont retoqués et son courant est amputé pour être absorbé dans une motion unique au sein du PS.
En 1983 il obtiendra un ministère un peu plus prestigieux avec l’Agriculture qui le marquera profondément et où il s’épanouira.
Mais l’adoption de la proportionnelle pour les élections législatives le rebute. Très tôt Michel Rocard s’est engagé pour faire barrage à l’extrême -droite, il désapprouve donc la décision de François Mitterrand et Laurent Fabius. Il choisit de démissionner en avril 1985.
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Populaire chez les Français, Michel Rocard est nommé par François Mitterrand nouveau Premier ministre en 1988. Les relations durant cette période sont-elles à leur paroxysme ?
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Après sa réélection triomphale en 1988, c’est effectivement Michel Rocard que François Mitterrand choisit de nommer à Matignon.
Toutefois c’est sans illusion du côté du Président. C’est un choix de raison et non de cœur. Il espère que Michel Rocard saura souder derrière le gouvernement les centristes qui ont pris du poids depuis 1981. Certains lui prêtent même la volonté de percer la bulle spéculative Rocard, qui ne cesse de monter depuis 1981.
Il y a toutefois des vrais moments d’entente dans ces premiers mois avec l’adoption du RMI, les négociations en Nouvelle-Calédonie.
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La photo au Pic Saint-Loup a-t-elle été orchestrée ?
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Oui du côté de François Mitterrand qui cherchait en pleine campagne le soutien de Michel Rocard. Celui-ci a sans doute été plus surpris ce qui explique sa tenue pas forcément appropriée.
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En 1991, Michel Rocard quitte Matignon pour Solférino et prend ainsi l’ancien fauteuil de François Mitterrand. La liste radicale de Bernard Tapie aux élections européennes a-t-elle été la pire attaque pour Michel Rocard?
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Michel Rocard quitte Matignon en 1991 évincé par François Mitterrand. Mais il ne prend la tête du PS qu’en 1993 après une cuisante défaite. Il apparaît ainsi comme le seul à pouvoir redresser un PS à la dérive.
Il parvient à renforcer le Parti et à le rapprocher des autres forces de Gauche mais est rattrapé par la campagne des européennes en 1994. Il choisit d’en prendre la tête de liste et connaît une sévère défaite qui l’amène à se retirer définitivement de la course à la présidentielle.
Bernard Tapie qui talonne Michel Rocard le soir du scrutin lui a fait effectivement perdre beaucoup de voix, d’autant qu’il a plus ou moins reçu le soutien du Chef de l’Etat.
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Malgré les différences et les hostilités, Michel Rocard et François Mitterrand avaient-ils des points communs ? 
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Ils avaient déjà pour point commun d’être socialistes. Ce n’est pas rien, notamment pour Michel Rocard. Il aurait pu en 1981 se présenter quand même face à François Mitterrand. Mais la fidélité au parti était importante pour lui. Ils avaient aussi en commun un certain sens de l’Etat qui les amenait à s’entendre malgré leurs différences durant les trois années de Michel Rocard à Matignon et notamment pendant la Guerre du Golfe.
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Pour en savoir plus :
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« Michel Rocard » de Pierre-Emmanuel Guigo – Editions Perrin – 2020 https://www.lisez.com/livre-grand-format/michel-rocard/9782262076078
« Mitterrand, un homme de paroles » de Pierre-Emmanuel Guigo – Editions Presses Universitaires de Vincennes – 2017 https://www.puv-editions.fr/nouveautes/mitterrand-un-homme-de-paroles-9782842927271-0-656.html
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