La création est toujours un spectacle merveilleux. Par le jeu et les émotions, le comédien et le metteur en scène échangent avec le spectateur. Le croyant est lui face au spectacle de la vie. Tantôt il prend part tantôt il est celui qui regarde. La Diaconie de la Beauté est un mouvement qui favorise ce lien entre arts du spectacle et Église – relation qui pourtant pendant des siècles fut bien mouvementée.
Anne Facérias, qui met toute son énergie à construire les liens entre la religion et les arts du spectacle, et Michael Lonsdale, immense acteur disparu il y a quelques mois, s’étaient entretenus avec nous le 8 février 2020, afin de parler de cette initiative qui mêle le monde du spectacle à la spiritualité.
Cet entretien est dédié à la mémoire de ce cher Michael Lonsdale, artiste passionné et grand homme de foi.
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Quelle a été la genèse de votre échange entre un cardinal et un acteur ?
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Anne Facérias : Le cardinal Paul Poupard et Michael [Lonsdale] sont de la même génération. Au soir de leur vie, ils nous ont transmis leur patrimoine culturel, artistique et spirituel. Cette transmission a servi de soubassement à ce qu’allait devenir la Diaconie de la Beauté.
Nous avons rencontré le cardinal pour la première fois en 1990, pendant la préparation d’un spectacle sur la vie de Bernard de Clairvaux. Michael était le metteur en scène, mon mari Daniel était l’auteur, et je m’occupais de la communication de l’événement.
Le cardinal Poupard est venu en tant que représentant du pape saint Jean-Paul II, afin d’assister à la pièce. Le lendemain, il a célébré la messe pontificale sur le lieu même de notre représentation. Depuis, il existe une sorte de fil invisible qui nous a toujours reliés. Nous sommes restés en contact, au point de nous voir de plus en plus souvent.
Pendant le synode de la Nouvelle Evangélisation en octobre 2012, le cardinal et Michael étaient déjà engagés dans la Diaconie de la Beauté. L’un et l’autre étaient impliqués dans leurs milieux respectifs : le cardinal à Rome, et Michael en tant que personnalité du monde du cinéma…
Ce livre est un dialogue pour la quête de la beauté du monde.
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Vous écrivez : « Jouer, c’est créer. ». Qu’y a-t-il de plus beau, finalement, que de créer au sein même de la Création ?
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Michael Lonsdale : Il existe en effet tout un plan pour concevoir de la beauté et de l’amour. C’est ce plan qu’il nous faut mettre en œuvre.
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Les relations entre théâtre et Église ont au cours des siècles parfois été ombrageuses. La Diaconie de la Beauté tente-elle un plus grand dialogue entre la scène et l’autel ?
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Anne : Au Moyen–Âge, l’Église faisait travailler les comédiens, les peintres et les architectes. Les artistes et le clergé ont été en lien étroit pendant des siècles. L’Église n’étant plus commanditaire, la relation s’est brisée. De nos jours, ce sont les mairies qui, notamment, financent les spectacles ; mais ceux qui, comme nous, traitent de sujets religieux, ne reçoivent pas d’aides financières. Notre seule motivation, c’est de transmettre la parole de Dieu.
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Vous dites que le Père est le plus grand des artistes. Est-il aussi spectateur ?
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Anne : Oui ! En fait, il est tout et partout : à la fois devant et derrière le rideau.
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La voie de la beauté et de l’amour est longue et parfois tortueuse. Sa quête n’est-elle pas plus passionnante que la consécration ?
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Michael : Cette quête se doit avant tout de toucher le cœur des hommes et des femmes. Le plus important est de trouver l’émotion, la Vérité et la satisfaction. Ma foi, les grands artistes ont toujours été reconnaissants de pouvoir exprimer leur art avec l’aide de Dieu.
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Anne, tout au long de votre carrière, vous avez participé à l’organisation de pièces sur les vies de saints ; Michael, vous avez joué le rôle de frère Luc,1 dans « Des hommes et des dieux » (2010). Comment expliquez-vous l’engouement du public pour ce nouveau type d’hagiographies ?
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Anne : Les saints sont les plus beaux artistes de Dieu, non ?
Michael : Frère Luc Dochier était devenu un homme fragile, souvent envoyé en France afin qu’il puisse se reposer. Il travaillait de 7 heures à 19 heures sans répit, et il a fait cela pendant quarante-sept ans. Frère Luc a été un modèle de ténacité, et il a répandu tellement d’amour autour de lui ! Il était catholique, mais il a tout fait pour ceux de Tibhirine, même s’ils étaient musulmans…
Pour moi, ce fut une grande émotion de jouer un tel bienheureux. Dans certaines scènes, j’étais tellement ému que j’avais envie de pleurer. Un jour, le réalisateur Xavier Beauvois a souhaité que j’improvise une scène avec une jeune fille : troublée car son père veut la marier à un homme, elle demande à frère Luc s’il a connu l’amour avec des femmes … Le moine répond alors qu’il a en effet connu l’amour avec trois d’entre elles, jusqu’à ce qu’il rencontre Dieu.
Durant cette scène, je n’ai pas eu l’impression que c’était moi qui parlais, mais frère Luc…
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Vous avez côtoyé un grand nombre d’artistes. Beaucoup d’entre eux n’étaient pas croyants. Le dialogue sur la foi est-il enrichissant avec les agnostiques ou les athées ?
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Michael : La plupart des artistes ne sont pas croyants. J’ai participé à des comédies sur la religion, comme « Le fantôme de la liberté » (1974), de Luis Buñuel, ou les films de Jean-Pierre Mocky : il faut voir cela comme de la blague, rien de plus.
Durant le tournage de « Des hommes et des dieux » au Maroc, certains musulmans venaient nous poser des questions. Ils voyaient les scènes de messe et s’interrogeaient sur les rites catholiques. Nous leur expliquions : ils étaient très attentifs et montraient beaucoup de respect.
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Vous avez interprété un grand nombre d’hommes d’Église. Est-ce des rôles que l’on travaille différemment ?
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Michael : J’ai tout joué : du petit curé de campagne au pape. J’ai même été l’archange Gabriel et la voix de Dieu ! Il n’y a pas de rôle comme les autres, mais je n’ai pas joué mes personnage religieux avec une façon de travailler particulière pour autant.
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Vous avez également été metteur en scène. Que préférez-vous : jouer ou diriger ?
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Michael : L’important est de délivrer un message avec les yeux et le cœur. Vous faites du bon travail lorsque le public est touché par ce qu’il voit.
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Votre voix résonne dans la pièce « La Passion à Ménilmontant », représentée chaque année depuis 1932 par des bénévoles… Pour vous, le théâtre est-il une forme de messe ?
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Michael : Oui, sauf que la messe c’est la Vérité, et le théâtre un passage ; c’est un moment de témoignage.
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Quel est votre film religieux préféré ?
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Michael : « La passion de Jeanne d’Arc » (1927), de Carl Theodor Dreyer, est un film sublime. Renée Falconetti était une chanteuse de cabaret qui a accepté de se métamorphoser en Pucelle pour le film. Elle est ensuite partie en Amérique du Sud et on ne l’a plus revue…
Dreyer a également tourné un autre film en danois : « Ordet », ou « La parole » (1955). L’histoire traite d’une famille avec une fille enceinte et d’un garçon retardé. Au moment de l’accouchement, la jeune mère meurt. Son frère tente de la ressusciter en prononçant des paroles sacrées, et la jeune défunte ouvre les yeux. C’est la première fois qu’au cinéma on assiste à une résurrection totale. J’ai toujours beaucoup de joie à revoir ce chef-d’œuvre.
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Quels sont les projets de la Diaconie de la Beauté ?
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Anne : Dans la Diaconie de la Beauté, il y a trois axes. Le premier est spirituel : ce sont des soirées avec un mélange de prières et de témoignages. Il s’agit avant tout d’un moment cultuel et de convivialité. Ce moment fonctionne avec des rencontres chaque mois chez les dominicains du faubourg Saint-Honoré ou ailleurs. Nous avons une quinzaine de groupes à Paris, à Nantes, à Toulouse, Nice, Agen, à Lourdes, en Guyane et même à Rome ou Madagascar. Ces groupes sont autonomes et ont entretiennent une vie relationnelle et sociale autour de l’art et de la foi.
Le deuxième axe est culturel, avec l’organisation d’évènements. Chaque mois de février, à l’occasion de la fête du bienheureux Fra Angelico, nous allons à Rome pour un symposium et une rencontre avec le Souverain Pontife. Ces quelques jours dans la ville éternelle sont un grand moment de partage autour de l’art.
Autre temps fort : chaque mois de mai, pendant le festival de Cannes, nous organisons le festival sacré de la Beauté. Michael en est le président. C’est un moment de rencontres et de projections de films.
Chaque mois de novembre, pour lors de la sainte Cécile, nous avons des messes d’artistes. Un comédien peut devenir lecteur, un musicien peut interpréter le répertoire, un chanteur animer le chant de communion…
Une fois par un an, nous organisons aussi un spectacle sur la vie d’un saint. C’est ainsi qu’en septembre 2019, nous sommes partis à l’île Maurice, lors de la venue du pape, afin de « jouer » la vie du bienheureux père Laval, avec la participation de jeunes de Caritas. Le spectacle a été magnifique, et à tel point qu’il y a eu dix-huit représentations, et que nous sommes demandés depuis dans le monde entier !
Dans un tout autre registre, nous avons le projet de traiter de l’histoire d’une commune : Blagnac, le berceau familial de mon mari. Il y a encore quelques dizaines d’années, il s’agissait d’un petit village… Airbus s’est implanté, et la population a bondi de trois cents à trente-cinq mille habitants. souvent jeunes, dynamiques et avides de spectacles de qualité.
Enfin, notre troisième axe est résidentiel, avec des maisons d’artistes et s’organise autour d’ateliers créatifs. Actuellement, Nous avons trois maisons : à Nantes, à Lourdes et sur l’île de la Réunion. Nous aimerions développer ces maisons pour qu’elles deviennent des lieux de réflexion, de prière et de création.
La Diaconie c’est aussi une histoire de personnes, qui dépend du temps, de l’intérêt et de l’énergie que nous voulons bien lui consacrer : la Diaconie, c’est ce qu’on en fera !
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Message d’Anne Facérias :
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Merci à notre cher Michael pour la confiance qu’il continue à nous faire de là-haut ! La Diaconie est devenue un peu sa famille. Il nous aime, et nous l’aimons comme un vrai papa.
1 Un des sept moines martyrs de Tibhirine (Algérie) béatifiés en 2018, NDLR.
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Pour en savoir plus :
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