La période de la Régence (1715-1723) a suscité de nombreux fantasmes notamment avec le célèbre roman de cape et d’épée « Le Bossu » (1857) de Paul Féval, le brigand Cartouche ou encore la conspiration bretonne de Pontcallec. Alors que le petit Louis XV apprend le métier de monarque, Philippe d’Orléans, neveu du feu roi de guerre Louis XIV, hérite d’une régence lourde et controversée. Par sa force et son charisme, le duc d’Orléans imposera son style.

Entretien dans les jardins du Palais-Royal sur cette période trouble et ce fameux régent avec le docteur en histoire et biographe Alexandre Dupilet.

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L’histoire de France a connu une multitude de régents et de régentes. En quoi Philippe d’Orléans est devenu Le Régent ?

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Il est devenu le Régent parce que même s’il y eut des régences au XIXe siècle, il fut le dernier des grands régents. En outre, personne mieux que lui n’incarna cette époque si particulière. La Régence est une période de 8 ans très marquante car considérée comme en rupture complète avec le long règne de Louis XIV. Le royaume de France était dans une grande attente de changements durant les dernières années du Roi Soleil. L’ambiance était très pesante : la Cour de Louis XIV était devenue très dévote, les décès se succédaient. Avec la Régence, il y eut une certaine forme de libération. Une chape de plomb disparaissait. Voltaire et Montesquieu commencèrent d’ailleurs à écrire sous la Régence. Des fêtes, comme le bal de l’opéra, firent leur apparition. Aujourd’hui encore, Philippe d’Orléans, qui devient Régent âgé d’une quarantaine d’années, est perçu comme un anti-Louis XIV. Philippe d’Orléans avait des relations compliquées avec son oncle.  En outre, il était proche des milieux de la Cour qui étaient critiques envers le mode de gouvernement du Roi-Soleil. Des personnalités proches du feu petit-fils de Louis XIV, le duc de Bourgogne, avaient commencé à imaginer à quoi pourrait ressembler la monarchie absolue après le règne du Grand Roi. On peut citer Fénelon ou encore le duc de Saint Simon. En 1715, Philippe d’Orléans incarnait ces nouvelles aspirations.

 

 

Respectueuses parfois tourmentées, les relations entre Louis XIV et son neveu variaient selon les années. Que pensaient-ils l’un de l’autre ?

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Selon les sources, Philippe d’Orléans craignait beaucoup son oncle tout en ayant un immense respect pour lui. Les provocations de Philippe d’Orléans n’étaient pas destinées au roi mais plutôt à la Cour qui l’entourait. Face à Louis XIV, louis xivle duc eut des difficultés à s’affirmer. Saint-Simon rapporte que Philippe d’Orléans était tétanisé par son oncle. On peut retrouver des relations similaires entre Louis XIV et son fils, le Grand Dauphin. Ce dernier n’arrivait pas à s’affirmer devant son père.

 

Quant à Louis XIV, c’est beaucoup plus nuancé. Il avait de l’affection pour lui et dans le même temps, il s’en méfiait. Philippe d’Orléans n’avait pas toujours un comportement exemplaire. Lors des campagnes militaires, il était jugé trop familier avec les soldats qu’il avait sous ses ordres ; il se passionnait pour la chimie, ce qui était jugé déplacé pour un membre de la famille royale. Louis XIV était également jaloux de son neveu. Dès son plus jeune âge, Philippe d’Orléans excellait dans de nombreux domaines comme la musique ou la peinture. Sur les champs de bataille, il se montrait téméraire et audacieux. Les bâtards légitimés de Louis XIV, comme le duc du Maine, souffraient de la comparaison. En somme, Philippe d’Orléans était jugé par le roi trop brillant et donc trop encombrant.

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Les relations entre Philippe d’Orléans sont-elles bonnes avec Monsieur, son père, et sa mère, la princesse de Palatine ?

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Madame vénérait son fils et ce dernier l’adorait également. Monsieur était certes plus distant mais restait très pointilleux concernant le rang. Il a notamment été hostile au mariage de Philippe avec Mademoiselle de Blois, sœur du duc de Maine et fruit des amours illégitimes de Louis XIV et de Mme de Montespan. Il estimait que c’était une mésalliance.  Lors de la guerre de Succession d’Espagne, Monsieur critiqua également le fait que son fils n’ait reçu aucun commandement. Philippe avait de l’affection pour son père  et il éprouvait également une forme de pitié. Il redoutait de subir le même sort que Monsieur. Son père avait été un valeureux militaire, vainqueur de la bataille de Cassel en 1677, mais Louis XIV avait choisi de l’écarter de tout commandement militaire. On ne peut faire d’ombre au Soleil.

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Le portrait que nous avons de Philippe d’Orléans a-t-il été fortement influencé par les écrits du duc de Saint-Simon?

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Oui sans aucun doute. Saint-Simon nous présente le duc d’Orléans comme un prince brillant mais dilettante et pusillanime. C’est en tout cas ce qu’on retient des Mémoires. On oublie trop souvent de noter qu’à plusieurs occasions, il se montre impressionné par le brio politique du duc d’Orléans.

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Empoisonneur, paria,… Comment Philippe d’Orléans a-t-il vécu les multiples accusations et insultes à son encontre?

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Le duc d’Orléans vécut très mal toutes ces accusations. Pendant un temps, il préféra ne plus paraître à la Cour et rester au Palais-Royal. En tant que Régent, Philippe d’Orléans fut également touché par la lecture des Philippiques écrites par François-Joseph de Lagrange Chancel qui l’accusait d’avoir pour projet d’empoisonner le petit Louis XV, rumeur que cautionnait le duc de Villeroy, proche de Louis XIV et gouverneur du jeune roi. Cette attitude fut d’ailleurs à l’origine de l’exil de Villeroy.

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Louis XIV meurt en 1715. Dans quelle situation est le Royaume de France ?

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Le pays est dans un état déplorable sur le plan économique et financier. La situation est similaire sur le plan politico-religieux.  La bulle Unigenitus fulminée en 1713 par le pape pape Clément XI, qui condamnait les jansénistes, fut à l’origine de profondes divisions dans le royaume. En revanche, sur le plan administratif et institutionnel, le bilan est bien entendu plus positif.

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Compositeur, alchimiste, proche du philosophe éclairé Fontenelle,… Peut-on tout de même voir Philippe d’Orléans comme un modéré ?

 

 

 

Le duc d’Orléans était un homme de consensus, tout du moins c’est ainsi qu’on le présentait au début de la Régence. Il était également un homme de culture, un amateur éclairé de musique et de peinture. Il ne faut pas oublier qu’il composa plusieurs opéras et avait un joli coup de pinceau. Tout cela contribue à dresser de Philippe d’Orléans le portrait d’un prince libéral. Montesquieu fit part de son admiration pour ce régent ouvert et à l’écoute qui était aussi un homme de décisions. Il regrettait cependant de ne pas réussir à le cerner complètement.  Pourtant, si on analyse son bilan politique, Philippe d’Orléans ne fut jamais un homme des Lumières mais au contraire le digne héritier de Louis XIV. Il chercha à renforcer la monarchie absolue et à préserver le pouvoir royal.

 

 

 

L’image libertine de Philippe d’Orléans et de l’abbé Dubois, conseiller du Régent, était-elle proche de la réalité ?

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Le duc d’Orléans eut de multiples maîtresses ce qui n’était pas exceptionnel à son époque. Ses petits soupers ont, par contre, fait plus de bruit. Ses invités étaient appelés ses roués. Des dames, comme des danseuses de l’opéra, étaient également présentes. Au début de la soirée, les valets étaient priés de quitter les lieux et le Régent et ses hôtes faisaient eux-mêmes la cuisine et le service. Cette recherche d’intimité fut à l’origine de nombreux fantasmes mais nous n’avons aucune preuve que ces petits soupers dégénéraient en orgies. Saint-Simon était, lui-même, réservé à ce propos.

Concernant l’abbé Dubois, il est clair que la religion n’était pas sa principale préoccupation. L’abbé Dubois ne brillait pas par la finesse de son langage. Il eut des maîtresses, comme un grand nombre d’hommes d’Église à cette époque. On ne peut en revanche affirmer avec certitude qu’il était athée. Ce petit abbé qui venait de Brive-la-Gaillarde fut en fait victime des vengeances des proches du Régent et des grands aristocrates qui ne pouvaient accepter une telle ascension et répandirent les pires rumeurs à son sujet.  

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La crise de l’administration Law a-t-elle été l’échec le plus important de la Régence ?

 

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C’était une expérience, qui effectivement a échoué. L’objectif de Law était avant tout de relancer l’économie et le commerce en remplaçant les espèces par des billets. L’emballement du système et la perte de confiance provoquèrent la banqueroute de ce fragile édifice. Sur le long terme, les conséquences de cette banqueroute furent préjudiciables et à l’origine d’une réelle méfiance envers les billets ; le principe ne sera de nouveau retenu que sous la Révolution française avec les assignats et sans grand succès une nouvelle fois. Cependant, la mise en place du système ainsi que sa chute ont permis de résorber une partie de la dette. De plus, cet échec économique ne provoqua pas de véritable crise dans un royaume extrêmement bien tenu et contrôlé par le Régent.

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Comment le pouvoir a-t-il réagi face à la peste de 1720?

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Difficile de ne pas faire de comparaison. On aurait envie de dire, de la même façon que les gouvernements d’aujourd’hui face au COVID-19. Dans un premier temps, comme en 1709 avec le grand Hiver, le pouvoir central demeure incrédule. Les autorités locales doivent prendre les premières décisions. Progressivement, le pouvoir central reprend la main : le Régent envoie des médecins ; en concertation avec les autorités locales, des mesures sont imposées comme le mur de Provence. Une région va alors être totalement fermée. Un conseil de santé, que l’on pourrait qualifier de vague prémices de ministère de la santé, est même mis sur pied afin de prendre des décisions contre cette épidémie.

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L’ascension du duc de Bourbon, détesté par Philippe d’Orléans, a-t-elle été un échec ?

 

 

Il était logique et légitime que le duc de Bourbon remplace le duc d’Orléans mais il est vrai qu’il prend le contrepied des mesures appliquées par le Régent et l’abbé Dubois, notamment en matière de politique étrangère. La petite infante, Marie-Anne-Victoire, promise à un mariage avec Louis XV, est ainsi renvoyée en Espagne. Mais le duc de Bourbon ne parvint pas à s’imposer durablement au sommet du pouvoir. En 1726, le cardinal de Fleury et Louis XV s’en séparèrent sans ménagement.

 

 

 

Après de longues études sur cette période de la Régence, qu’est-ce qui vous a surpris et qui continue de vous surprendre?

 

 

 

Je dois dire que je suis toujours admiratif devant le brio de Philippe d’Orléans, qui n’était pas destiné à régner et qui s’est avéré un tacticien hors-pair. À partir de 1718, il parvient à rassembler tous les pouvoirs et devient un régent absolu. Philippe d’Orléans était un véritable animal politique n’hésitant pas à employer un certain machiavélisme pour arriver à ses fins. Ses talents artistiques enfin forcent l’admiration.

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Pour en savoir plus :

« Le Régent » d’Alexandre Dupilet – Éditions Tallandier 2020 https://www.tallandier.com/livre/le-regent/

« Le cardinal Dubois » d’Alexandre Dupilet – Éditions Tallandier 2015 https://www.tallandier.com/livre/le-cardinal-dubois/

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