« Ne pouvant le corrompre, ils l’ont assassiné. » écrit le peintre et conventionnel français Jacques-Louis David en rendant hommage à son ami Marat. Le 13 juillet 1793, le révolutionnaire Jean-Paul Marat est tué. Tué par la jeune normande et proche du groupe politique les Girondins, Charlotte Corday. Tué alors qu’il est dans son bain. La mort de « l’Ami du peuple » n’est pas seulement un choc pour Paris mais aussi pour l’ensemble de la France révolutionnaire. Marat devient martyr. En 1794, son corps est même installé au Panthéon, le nouveau lieu des « grands hommes ». Mais finalement, quelques mois plus tard, Marat tombe en disgrâce, son corps « dépanthéonisé » et ses portraits interdits dans les lieux publics. Au-delà de sa mort et la légende qui l’entoure, nous devons nous interroger sur la personnalité même de Marat. Médecin, physicien, journaliste, député de la Convention… Qui était-il ? Quel fut son rôle pendant la Révolution ?

Entretien avec Olivier Coquard, professeur de chaire supérieure, grand spécialiste de la Révolution française et biographe de cet « Ami du peuple ».

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Marat a-t-il été marqué par ses origines et le Calvinisme de son père ?

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Oui. Il naît à Boudry dans la Principauté de Neuchâtel (actuelle Suisse). Il s’agit à l’époque d’un territoire de la Prusse. Marat est marqué par le lieu car il s’agit d’un carrefour d’expériences culturelles. Au sujet du Calvinisme de son père : Sarde, il est possible qu’il s’agisse d’un prêtre défroqué. Marat a cependant gardé un certain recul vis-à-vis de la religion. Il croit en une certaine transcendance assez détachée de toute foi spécifique. Cependant, le Calvinisme a tout de même permis à Marat de profiter d’un vaste réseau de relations, de Neuchâtel à Bordeaux en passant par l’Ecosse. Il se fond clairement dans l’Europe des Lumières où les réseaux protestants sont bien présents. Une bible qui a appartenu à Marat a certes été conservée mais honnêtement, il n’a pas été quelqu’un de profondément religieux.

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Médecin, apprenti-physicien, journaliste, participant à des concours académiques,… Marat était-il un touche-à-tout ou souhaitait-il être avant tout reconnu ?

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Marat est clairement un homme des Lumières. Marat est quelqu’un qui tisse des liens d’amitié avec beaucoup de personnes influentes comme l’horloger suisse et protestant Abraham Breguet. Cependant, étant une vraie tête de pioche, il a souvent de mauvaises relations avec ses pairs. Il a obtenu un diplôme en médecine délivré pamaratr la grande université de Saint Andrews (Ecosse). Écrivant des publications médicales sur l’ophtalmie ou encore la blennorragie, c’est même un praticien reconnu. Installé au Faubourg Saint-Germain avec une employée au moins, Marat a réussi à avoir une belle clientèle qui paye assez cher ses consultations. Il obtient même le titre de « médecin des gardes du corps de Monsieur le Comte d’Artois », un des frères de Louis XVI. Ainsi Marat a à présent sa place dans l’Almanach royal. Cela lui donne un certain prestige et d’une certaine manière il ne fait pas partie de ceux que Voltaire qualifiait de « Rousseaux des ruisseaux ». De fait, Marat connait un certain succès avec ses publications. Il est également un vrai physicien. Entre 1778 et 1786, il participe notamment à des concours académiques à Rouen, à Lyon ou encore à Lausanne en envoyant des mémoires. Ces mémoires souvent récompensés portent, en fonction des sujets mis au concours, sur l’irisation des bulles de savon ou encore les problématiques de l’électricité et du feu…. Il ne s’arrête pas là et publie une traduction de belle qualité de l’Optique de Newton. Ce travail reste une référence jusqu’à la fin du XIXème siècle. Marat est aussi l’un de ceux qui, dès le printemps 1789, écrit des pamphlets politiques. Cependant, étant une vraie tête de pioche, il a parfois de mauvaises relations avec ses pairs. Marat est donc, au total, un homme standard de la fin des Lumières.

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Comment expliquer la montée du radicalisme de Marat ?

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Il n’y a pas de réelle radicalisation de sa part. Marat a la certitude que les événements de la Révolution confirment sa vision globale. Ce qu’il dit doit être pris, c’est ce qu’il pense, comme « parole d’évangile ». Peu à peu, Marat s’adresse à un public de plus en plus militant. La réalité devient violente et les faits doivent confirmer la pensée de Marat. Par ailleurs, il est persuadé que tout le monde l’entend et le suit avec intérêt. C’est faux. Il est certes « l’Ami du peuple » avec une vraie audience mais il ne faut pas confondre la visibilité médiatique avec le pouvoir effectif. Marat s’irrite lorsqu’il comprend qu’il n’est pas réellement écouté. Élu député de la Seine à la Convention en 1792, il s’aperçoit vite qu’il est finalement isolé. Marat a peu d’admiration pour certains de ses confrères. Robespierre serait trop raide, Desmoulins trop gentil, Hébert serait un hypocrite. D’une certaine manière, Marat a une vraie vision politique mais à force de critiquer, le nouveau député se retrouve seul. Il est certes aimé par les sans-culottes et les couches populaires mais Marat n’est clairement pas un meneur d’hommes. Les maratistes apparaissent finalement à la mort de Marat (rires). L’organisation de la grande journée du 10 août 1792 est un bel exemple. Elle se déroule dans le Club de l’Évêché entre révolutionnaires radicaux. Par contre, Robespierre ou Marat ne sont pas au courant de l’événement. Marat est simplement respecté et aimé. Ceux qui le haïssent pensent qu’il a du pouvoir mais c’est une erreur. Les maratistes apparaissent finalement à la mort de Marat (rires), quand il devient de bon ton de pleurer la mort de l’Ami du peuple.

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marat portrait.
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Est-il le principal investigateur des massacres de septembre ?

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Référence révolutionnaire, Marat est élu à la Commune insurrectionnelle de Paris mais avec finalement peu de pouvoirs. Il fait certes des appels au meurtre mais ce n’est qu’une rhétorique courante de l’époque. Des Hébertistes aux Girondins, il y a les mêmes discours partout. Marat n’est donc pas le principal instigateur de cette tuerie. Ses adversaires girondins, à partir de novembre 1792, trouvent en lui, isolé et visible, un parfait bouc émissaire.

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Partisan d’un véritable procès pour Louis XVI contrairement à d’autres, opposé à l’annexion de la Savoie, favorable aux mesures d’apaisement avec le Clergé et les nobles, Marat est-il finalement un modéré caché ?

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Le député de la Sarthe, René Levasseur, l’avait qualifié de « maximum démocratique qui était dangereux de dépasser ». Pour nos références gauche-droite, Marat fait partie de la gauche radicale mais pas ce n’est pas un extrémiste comme Jacques Roux. Il ne pense pas que l’harmonie sociale passe par la destruction de la propriété ou qu’il faut un anticléricalisme sauvage. Par contre, Marat est convaincu par ce que les Marxistes appelleront la lutte des classes. Avec la réédition augmentée de son livre « Les chaînes de l’esclavage » en 1793, il traite beaucoup des questions sociales et économiques. Ses écrits nourrissent la pensée d’une idée de lutte des classes.

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Quel est le style de Marat dans son journal « L’Ami du peuple » ?

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Sur le plan linguiste et rhétorique, c’est un style complexe, cohérent et efficace. Complexe car il y a une rhétorique de juxtaposition, d’emphase, d’exagération assez difficile à suivre. Cohérent car Marat ne change de style que de façon à la fois très distanciée, très officielle et très visible. A la mort de Mirabeau, il écrit en style « rubrique nécrologique » pour seulement déplorer la mort du cocher de Mirabeau… Il est aussi l’un des premiers à publier ami du peupleun courrier des lecteurs. Certaines lettres sont authentiques puisque les originaux ont été retrouvés dans des saisies de police. En revanche, un certain nombre d’entre elles sont inventées. Le style de Marat est également populaire. Si vous voulez vraiment lire « L’Ami du peuple », il faut le lire à haute voix. Je conserve un numéro authentique. Au début de l’été, j’avais l’habitude de faire des cours aux étudiants d’hypokhagne au jardin du Luxembourg. Dans le kiosque, je leur lis « L’ami du peuple ». Il n’y a alors aucune difficulté à suivre le style rhétorique. De très nombreux rapports de police, lorsque Marat est recherché, affirment que des personnes lisent à haute voix « L’Ami du peuple » dans l’espace public. Le travail médiatique de Marat témoigne d’un véritable talent. L’écriture du député girondin Brissot est plutôt destinée à être lue silencieusement et pour les élites. Avec Desmoulins, c’est un style voltairien et amusé réservé aux cadres moyens. Dans « Le degré zéro de l’écriture » (1953), Roland Barthes étudie le style d’écriture de Jacques René Hebert et constate que si l’on retire les gros mots du « Père Duchesne », c’est finalement un style très classique. « L’Ami du peuple » n’a pas les mêmes lecteurs. Marat déteste la vulgarité et respecte son public.

Son travail de journaliste est souvent très remarquable : ses informateurs lui permettent d’annoncer très vite la fuite du roi le 21 juin 1791 – il la redoutait régulièrement depuis le mois d’octobre 1789. En novembre 1792, l’opinion publique est en pamoison devant le général Dumouriez qui a dirigé les armées révolutionnaires pendant la bataille de Valmy ; Dumouriez est la coqueluche des salons et le chouchou des girondins. Marat, contre tout cela, annonce dans son journal que Dumouriez est un traitre et passera à l’ennemi avant le 31 mars 1793… Dumouriez est passé à l’ennemi le 2 avril ! Les « prédictions » et « prophéties » de Marat (elle sont souvent désignées ainsi) résultent d’un très bon réseau d’informateurs et d’un vrai sens de l’analyse politique.

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Porté en triomphe suite à son acquittement par le Tribunal révolutionnaire le 24 avril 1793, Marat méritait-il autant de popularité ?

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Il y a en effet une importante iconographie du triomphe de Marat. J’en ai notamment étudié six gravures dans ma biographie. Marat est un personnage dont la célébrité parle par exemple aux sans-culotte, la partie active de la population parisienne se mobilise pour contrarier les Girondins. L’acquittement de Marat leur permet de faire une démonstration de force. Le procès du 24 avril est finalement son heure de gloire. À la Convention, Marat ne brille pas. Il fait des discours longs et souvent ennuyeux. À tel point qu’on peut relever dans les archives que le Président demande régulièrement de passer à l’ordre du jour. On ne le désigne jamais pour faire des missions aux armées ou dans les départements.

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marat triomphe.
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En juin 1793, Marat tombe malade et écrit son testament.

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Marat a une maladie de peau qu’il ne désigne jamais. Depuis sa mort, nous avons un corpus symptomatologique cohérent. Pour les Contre-révolutionnaires, il s’agit de la syphilis. À la fin du XIXème siècle, pour les observateurs, Marat aurait clairement les symptômes de la tuberculose. Durant tout le XXème siècle, on diagnostique cette fois-ci un cancer de la peau associé à du diabète. Avec le même corpus, de grands médecins ont plaqué sur Marat les maladies répulsives de leur époque. Ce qui est certain c’est que Marat a des tics nerveux fréquents et qu’il contracte ses problèmes de peau au cours de la Révolution. Marat prétend que les symptômes sont intervenus lorsqu’il était dans la clandestinité. Il est possible que ce soit également lié à son impopularité. Marat se pensait génial mais n’arrivait pas à convaincre les autres. Voici sa grande frustration.

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Le 13 juillet 1793, Charlotte Corday assassine Marat à son domicile- rue des Cordeliers. Quelles sont les conséquences de ce crime ?

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La Terreur s’est déclenchée à la suite du meurtre de Marat. Ce qui a été tué en Marat c’est non seulement l’Ami du peuple mais c’est aussi le corps de la République. Lcordaya comparaison est manifeste durant les funérailles de Marat. Du jour au lendemain, la peur d’être assassiné s’installe chez les députés de la Convention. Le gouvernement révolutionnaire est alors mis en place et la mort de Marat devient la grande référence afin de justifier les pires mesures. Jamais Marat n’a autant d’importance qu’après sa mort. Le choc de cet assassinat a eu autant de retentissement que les attentats de 2015. Dès septembre 1793, des autels sont levés en l’honneur de Marat. Si on ne le pleure pas c’est un acte politique, comme quand on revendiquait publiquement de ne pas être « Charlie » après les attentats de janvier 2015. Jamais Marat n’a eu autant d’importance qu’après sa mort.

La littérature s’est également enrichie de ce meurtre commis par une jeune fille contre un homme mûr, qui pourrait être son père, nu dans sa baignoire. Il est toujours possible de faire la psychanalyse à trois sous… Il y a plus de biographies consacrées à Charlotte Corday que sur sa victime alors que la seule chose notable dans sa vie c’est d’avoir tué Marat.

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« Cruel comme la nature, ce tableau a tout le parfum de l’idéal. » écrira Charles Baudelaire sur le tableau de Jacques-Louis David. Le tableau « La mort de Marat » (1793) reflète-t-il l’émotion de l’époque ?

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Je crois qu’il reflète une vraie émotion de David, un ami proche de Marat. Chacun avait un ennemi commun : L’Académie. Ils se sont ainsi liés d’amitié. Le peintre dit avoir été reçu par Marat deux jours avant sa mort dans la même tenue et dans sa baignoire. Charlotte Corday avait prévu de l’assassiner à la Convention le 14 juillet mais trop faible, Marat ne sortait plus de chez lui. Il continuait de corriger les publications de son journal. Dès juin 1793, on ne retrouve plus que le courrier des lecteurs dans « L’Ami du peuple ». Marat n’a plus la force d’écrire.

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bain.
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Après avoir été comparé au Christ, panthéonisé, érigé en statues,… Marat chute dans la mémoire révolutionnaire. Il est dépanthéonisé et ses cendres sont déversées dans l’égout. De nos jours, l’Ami du peuple n’a pas autant d’admirateurs que Saint-Just ou encore Robespierre. Comment peut-on expliquer que Marat soit tombé dans l’oubli ?

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Il existe encore une rue Marat à Ivry-sur-Seine. La maison natale de Marat à Boudry se visite et une statue « colorée » y a été érigée.

Un groupe d’historiens et d’historiennes existe. Engagés dans la gauche radicale, ils sont boudryde grands admirateurs de Marat et ont publié la collection complète de ses œuvres. Considérant que c’était impossible d’écrire sa biographie car tout le matériel n’a pu être rassemblé, ils me critiquent. Le matériel ne sera de toute façon jamais rassemblé. J’ai essayé de comprendre comment Marat est devenu aussi célèbre et comment cet homme s’est construit avant d’acquérir cette popularité. L’idée des « maratolâtres » est de prouver qu’il avait raison. Ce n’était pas mon sujet.

Cependant, il est vrai que Marat est perçu comme un maudit. Dès 1795, il est normal de le considérer comme un monstre. D’un côté, l’historien Jules Michelet ne l’appréciait guère et d’un autre côté, Victor Hugo dans « 1793 » (1874) fait une longue note décrivant Danton comme haut, Robespierre moyen et Marat comme bas. Il ne s’agit aucunement d’un jugement de valeur. Victor Hugo voulait juste signifier que Marat était proche du peuple. Il avait compris que l’Ami du peuple savait se faire comprendre de tous. À partir de Karl Marx, l’image de Marat a été revisitée. La marine soviétique a même rebaptisé un navire de ligne « Marat ». Le célèbre joueur de tennis russe Marat Safin a été prénommé ainsi en hommage à l’Ami du peuple. Cela peut être surprenant puisque pour Marat la grande référence a toujours été Montesquieu.

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Qu’est-ce qui vous surprend chez Marat ?

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Comment a-t-il pu faire tout cela ? J’ai également toujours eu du mal à comprendre ses circuits financiers. Cela reste obscur pour moi. Enfin, il est le parfait exemple des intellectuels des Lumières qui se sont engagés dans la Révolution. L’analyse de son parcours permet de comprendre les évolutions de ceux qui adhérés aux idées révolutionnaires. En l’espace de quelques mois, ces hommes et femmes de gauche et de droite s’engagent tout en sachant qu’ils ont de grandes chances d’en mourir. Découvrir cette mécanique de glissement dans un engagement littéralement mortel constitue l’enjeu, de mon sens, d’une recherche passionnante.

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marat marat.
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Pour en savoir plus :

« Marat » d’Olivier Coquard – Fayard 1993 https://www.fayard.fr/histoire/marat-9782213030661

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