La bande dessinée est un visuel sans limites. Au fil des cases et des bulles, les aventures s’enchaînent sous la mine du stylo du dessinateur. Action, merveilleux et femmes font partie intégrante de l’imagination de Nico alias Nicolas Van de Walle, jeune auteur liégeois. Et bien que les péripéties d’Adelin et d’Irina prennent place dans un univers de fantaisie, on peut retrouver de temps en temps des références aux paysages de la Belgique. Entretien avec Nico, dessinateur.

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La bande dessinée a-t-elle été pour vous une évidence en tant que métier ?  

 

 

 

 

C’est banal, mais quand j’étais gamin, ma grand-mère me lisait les Tintin. J’étais fasciné par les quatrièmes de couvertures, qui montraient les albums déjà parus, et les portraits de tous les personnages quand on ouvrait l’album. Puis, j’ai découvert Gaston, qui en était très éloigné. Au début, le dessin et les histoires me semblaient beaucoup plus étudiées pour les adultes, avec un côté parfois cauchemardesque. En furetant dans la bibliothèque de mon père, j’ai été amené à lire des BD aussi diverses que « Rubrique-à-brac », « La langouste ne passera pas »,  « Submerman », « Cinemastock », « L’histoire de France en 100 gags », « Baratine et Molgaga », « Les aventures du Duc de Saint Piastre », « Le concombre masqué »…donc, oui, c’est ce que j’ai toujours voulu faire. J’ai aussi suivi une formation d’éléctricien aux cours du soir, et des cours de Russe, mais bon, je reviens toujours à la BD. C’est ce que je sais faire le mieux, alors je m’applique.  



 

 

Y’a-t-il un style propre à la bande dessinée belge selon vous ?  

 

 

 

 

 

Je pense que la BD Franco-Belge est un tout. J’aime tout ce qu’ont fait les belges et les Français dans les années 50, 60,70 et 80. Après, je trouve que ça décline. J’ai vu une grande diversité dans tous les albums, de ces années-là  que je ne retrouve plus aujourd’hui. Pour moi, la BD Belge et la BD française faisaient jeu commun, avec des Tardi, des Cossu, des Pichard, Mezières, Jijé, des Comès, Sokal, Morris, Bezian …tout ça se répondait, se faisait mutuellement référence sans cesse. C’était vraiment vivant. Je ne retrouve plus ça aujourd’hui, excepté pour raisons commerciales. Je vois beaucoup de technique, mais peu d’imagination.  

 

 

 

 

Avec les albums « Carcassonne » et « Bruxelles » (Les voyages de Jhen), tout en faisant de l’histoire, vous vous êtes intégré dans l’univers de Jacques Martin. Ce fut un vrai défi ou un vrai plaisir de travailler ce grand dessinateur ?  

 

 

 

 

 

Jacques Martin m’a donné mon premier vrai boulot, donc je lui en suis très reconnaissant, c’est normal. Je devais aller chaque mois lui montrer mes pages. C’était dur, mais ça m’a appris des choses. Bon, ce que j’ai produit pour le studio Martin n’est pas impérissable. C’était du travail d’apprentissage. J’ai au moins appris ceci, et bien : quand un album est imprimé, il est trop tard pour aller modifier quoi que ce soit dans le dessin. Fort de cette expérience, j’ai décidé d’être plus attentif aux détails. Le fait de mettre moi-même en couleurs mes albums m’oblige d’ailleurs à les regarder bien dans le détail, et à faire les corrections nécessaires, sans me dire « c’est bon comme ça ».  

 

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Comment concevez-vous un album ? Vous commencez à dessiner ? à écrire ?  

 

 

 

 

 

 

Je commence d’abord à écrire les cinq ou six premières pages de l’histoire en détail, en essayant d’avoir dans le coin de la tête une vision d’ensemble des thématiques principales que je souhaite mettre en scène. Souvent, j’ai déjà quelques idées de scènes éparses que je désire incorporer à mon scénario. Je les esquisse, je dessine quelques cases sur des feuilles volantes. Puis, j’avance, scène par scène. Souvent, je me dis que les idées que je croyais bonnes au départ ne le sont pas tant que ça, puis, au détour du scénario, elles me retombent dans la main, arrivant tout juste à point pour boucler la séquence sur laquelle je peinais, me permettant de passer à la suite avec fluidité. Étant mon propre lecteur, je ne fige pas la fin d’entrée de jeu. J’ai toujours plusieurs fins dans la tête, jusqu’au moment où j’y arrive, et alors, je choisis celle qui me parait la meilleure.  

 

 

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Comme chez Weird tales ou les dessinateurs de Métal hurlant, vos visuels intriguent (voire aguichent). Est-il important pour vous de soigner toutes les cases et couvertures ?  

 

 

 

 

 

Oui, pour moi, c’est même l’essentiel. Si c’est pour faire du travail fade, sans vie, ça n’a aucun intérêt. J’aime les images que l’on peut regarder longuement, et découvrir des détails amusants ou pittoresques. Je fais mon possible pour orienter mes dessins dans ce sens-là.  Nico-couv-coul copie

 

Ça me fait vraiment plaisir, que vous me rattachiez à Métal Hurlant où le magazine Weird Tales, dont j’ai lu jadis une anthologie. Il se trouve que, pour moi, Métal Hurlant, c’est la BD débridée, sans limites, que j’affectionne. Ce n’est pas toujours réussi, mais au moins on a essayé. J’aurais adoré travaillé pour ce magazine. La version anglaise est pas mal non plus, et ça a initié chez eux toute un mouvement de BD qui a généré des trucs comme Judge Dredd où Nemesis the warlock. Weird Tales, c’est Lovecraft, Howard ou Clarck Ashton Smith, des écrivains dont l’univers baroque, poétique, violent et torturé constitue le fondement de mon inspiration quand je fais des histoires de la princesse Irina. Spécialement pour mon deuxième album, d’ailleurs, qui voit s’affronter deux sorciers tout droits sortis de Zothique, un magnifique recueil de C.A. Smith.  

 

 

 

 

 

Vos histoires donnent une grande place aux femmes. Comment est venu le concept ?  

 

 

 

 

 

Au départ, dans « captives de l’île aux pirates », je voulais surtout essayer de faire une BD dans le style de la Nutrix, une firme américaine qui, dans les années 50, sous la direction d’Irving Klaw, publiait des BD d’aventures cruelles ne mettant en scène que des personnages féminins. Ainsi voyait on « le tragique destin de la princesse Elaine », par Eneg, qui montrait la princesse en question être malmenée successivement par Cléopâtre, de cruelles gibiercarthaginoises, la reine Zenobie…etc. Cette histoire, à l’époque, m’a beaucoup inspiré. Et j’ai fait « captives de l’île aux pirates », un petit album au lavis, dessiné pour le plaisir, sans autre but que de m’amuser. C’est plein de femmes pirates qui enlèvent une princesse à la noix pour l’emmener sur l’île du crâne. C’est dessiné comme je pouvais, le scénario est écrit au fur et à mesure que je dessine les pages, mais je me suis bien amusé en le faisant. Cependant, quand je le feuillette, j’y vois plein de défauts, qui me font me dire que je le redessinerais bien, mais il faut aller de l’avant. Je ne peux pas redessiner tout ce que j’ai fait.  

    Quand j’ai commencé les aventures d’Adelin et Irina, je me suis posé la question : « qu’est-ce que j’aime dessiner ? » les femmes. Et « Qu’est-ce que je n’aime pas dessiner ?» les voitures. Pour le nom d’Irina, je l’ai repris de ma BD « Captives de l’ile aux pirates », parce que je ne voyais pas de raison de me fouler inutilement. Irina, c’est un joli prénom,  pour une héroïne, je trouve.  

   Peut-être qu’aujourd’hui, ce serait différent. Je me sens plus sûr de moi pour dessiner de nouvelles choses. J’ai un scénario de Western, que je n’ai jamais terminé. Pourtant, ça démarrait bien. J’en ai posté les 20 premières pages sur Facebook, pour les éventuels curieux (sous le pseudo : Vdw Nico).  

 

 

 

 

 

Qui vous a inspiré le personnage d’Irina ?  

 

 

 

 

Au moment de créer ma série, il m’a paru évident que je devais avoir une héroïne blonde, comme Natacha et Colombe Tiredaile, car les blondes sont toujours les gentilles, et les autres, les  méchantes. Je n’ai pas vraiment été chercher beaucoup plus loin, je dois bien l’avouer. Au fur et à mesure que je l’ai dessinée, elle a pris une identité propre : égocentrique, suffisante, colérique, elle aime faire la morale, elle aime que l’on écoute ses discours, et souvent, les faits lui donnent raison, au grand dam du lecteur. Mais il faut dire qu’elle a le scénariste de son côté…  

 

 

Cyclope 

 

 

Avec les révélations de Me too, on assiste un changement de place des femmes dans le cinéma d’Hollywood notamment dans les films d’action. Cela correspond-il à ce que vous faisiez déjà dans vos albums ?  

 

 

 

 

 

 

Je n’ai pas du tout pensé à Me too en scénarisant mes albums, je vous avoue. Il se trouve que j’aime la castagne et les nanas. Pour tout dire, ce mouvement-là m’évoque davantage un comité de censure qu’un mouvement d’émancipation. C’est la marque de notre époque, de s’offusquer de tout, tout le temps et à tout propos. Ça captivesm’énerve plutôt.  

  Moi qui ai vu beaucoup de films d’action, je peux vous dire que le cinéma n’a pas attendu Me too pour mettre des femmes à l’honneur. Bien avant tout ça, Angela Mao, Kara Hui, Yokari Oshima, Tamara Dobson, Grace Jones, Lucy Lawless ou Cynthia Rothrock ont déjà cassé plein de figures dans leurs prolifiques carrières. J’ai d’ailleurs une pensée émue pour tous les figurants qu’elles ont envoyés à l’hôpital, pour le plus grand plaisir des spectateurs. J’ai envie de leur dire merci.  

 

Dans « captives de l’île aux pirates », il y a peu de baston, finalement, mais dans les aventures d’Adelin & Irina, il y en a de plus en plus. La première histoire est plus modérée, la seconde, il y en déjà plus, et maintenant, on se bat tout le temps. J’en ai déjà parlé avec Walthéry, grand dessinateur de bagarres. Il adore ça, et il le fait très bien. Alors, j’essaie de regarder ce qu’il fait. Richard Corben dessine aussi de très belles bagarres, avec des coups de poings qui font parfois mal à regarder. Ça aussi, c’est une grande source d’inspiration.

 

 

 

 

 

 

Avec les aventures d’Adelin et Irina, vous devenez Nico. En plus du pseudonyme, cela a-t-il été un réel changement de style ou de dessin ?  

 

 

 

 

 

Eh bien, lorsque j’ai commencé à faire cette série, et que j’avais décidé de la faire en humoristique, le moment est venu de faire la couverture, et j’ai eu envie de me rapprocher encore un peu plus de Jehan & Pirlouit, qui servait déjà de base pour le monde que je souhaitais développer. Dès lors, mettre « Nico » à la place de « Peyo » m’amusait beaucoup. En plus, je trouve ça plus sympa que «Nicolas Van de Walle ». De toute façon, tout le monde m’a toujours spontanément appelé Nico. Alors…

 

 

 

 

 


Vos aventures sont-elles en lien avec les histoires de Percevan de Philippe Luguy ?  

 

 

 

 

 

Oui et non, car Percevan a une dimension plus tragique, alors qu’Adelin et Irina sont plus orientés vers l’humour. Percevan me fait un peu penser aux mythes arthuriens. C’est très joli. Percevan m’a clairement montré qu’on pouvait faire de l’heroic fantasy dans un style Spirou, et bien sûr, au moment de créer mes personnages, j’ai aussi ouvert mes albums de Percevan pour chercher l’inspiration. Les décors sont si soignés, et Balkis est tellement canon. En plus, les méchants sont carrément effrayants : regardez un peu la tronche de Polémic !  

 

 

 

 

Vos albums comportent une action qui ne s’arrête jamais. Vos héros ne se reposent-ils jamais ?

 

 

 

 

 

C’est-à-dire que quand je feuillette un album de BD avec une couverture ou il y a un dragon, des flammes et une femme en armure, et que dedans, je ne trouve que des dialogues sentencieux, avec zéro action, je referme le livre, et je le remets dans le rayon.  

  Dans une BD d’aventure, il faut qu’il y ait de l’aventure. Je m’efforce, en outre, de mettre au moins un élément comique dans chaque page, et un élément qui fait avancer l’histoire. Parfois, évidemment, j’ai des scènes de dialogue, mais je cherche un moyen de les dynamiser. De toute façon, les Spirou de Franquin, de Tome & Janry, les Jehan & Pirlouit ou les tuniques bleues ne fonctionnent pas autrement. Il s’y passe tout le temps des trucs !  

 

  J’avais commencé une histoire courte intitulée « Adelin & Irina en vacances », justement, où ils allaient à la plage. Mais ils ne se reposent pas longtemps : en effet, le cuisinier de l’auberge a été assassiné, et la princesse Irina mène l’enquête parmi les clients. Elle désigne le coupable au terme  d’une grande démonstration à la Sherlock Holmes ou plutôt à la Agatha Christie ; il y aurait plusieurs suspects  indignés : le pêcheur de l’auberge, un gros barbu, un poète maudit, mélancolique, snob et dépressif du nom de Maldeleur…mais cette histoire reste à terminer, et j’ai tant d’autres idées.

 

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Vampires, cyclopes, dinosaures,… Le monstre est-il un personnage qui vous fascine ?  

   

 

 

 

 

Me fasciner, je n’irai pas jusque-là, mais le monstre est la figure rock’n roll qui met l’ambiance dans une histoire, et, d’autre part,  je retrouve aussi une part de mon enfance, bien entendu.  

Alors, quand je les dessine,  je me dis qu’ils peuvent avoir de grosses dents, à la Jack Kirby, ou êtrebib carrément excessifs comme dans Richard Corben, où alors être bien sinistres et dégoulinants, comme dans Berni Wrightson où Graham Ingels. J’essaie au maximum d’éviter de faire des monstres qui puissent avoir un rapport avec le seigneur des anneaux, parce que je les ai trop vus : les orcs sont partout, et en plus, ils perdent à chaque fois…et contre qui ? Des elfes et des nains ! Laissez-moi rire ! Je préfère faire référence aux bons vieux monstres de Ray Harryhausen dans Sinbad, Jason ou le choc des titans. 

Enfant, je collectionnais les Star Wars, avec une prédilection bien marquée pour les extra-terrestres saugrenus. Quand « Le retour du Jedi » (1983) est sorti, avec Jabba et sa cour, j’ai évidemment été immédiatement conquis. Peut-être ferai-je un jour une histoire avec un monstre exclu socialement, qui cherche du travail…nan, j’rigole ! Quoique…  



 

Y’a-t-il du Don Quichotte chez Adelin & Irina ? 

 

 

 

 

 

 

 

Pour tout dire, ma source d’inspiration principale, ce sont les romans de Jack Vance, en particulier Cugel l’astucieux, Cugel Saga et un monde magique. Mais c’est vrai que  oui, il y a du Don Quichotte dans ma BD, avec une princesse folle et hautaine dans le rôle de Don Quichotte et un ménestrel de constitution débile dans le rôle de Sancho. Vous avez tapé assez juste, en effet, je m’en rends compte, à présent. À cause de vous, je vais devoir relire tout Don Quichotte ! Et je ne sais plus à qui j’ai prêté ces deux gros bouquins. 

 

 

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Quels sont vos projets ?  

 

 

 

 

 

Le premier album d’Adelin et Irina, « le complot des capes noires », ayant été réédité en janvier dernier, j’attends la republication du second, « l’épée de la domination », dans une version revue et augmentée de 4 nouvelles pages et d’une histoire bonus, en janvier prochain. Il aurait dû sortir en Juin dernier, mais des circonstances indépendantes de ma volonté en ont décidé autrement.  

    On y voit nos héros partir en mer pour une île-labyrinthe truffée de pièges et de monstres, dont les terrifiants raweths, qui sont des espèces de schtroumpfs cannibales, un prince transformé en puceron géant et un cyclope furibard.  

    Sinon, je termine à l’instant le troisième album, intitulé « la révolte des esclaves », sur une thématique plus sociale : on a promis aux esclaves que, pour l’anniversaire de l’Imperatrix (11 ans), ils auraient tous du poulet. La promesse n’étant pas tenue, pour raisons budgétaires, ceux-ci commencent à tout casser dans la ville, et à planter des têtes au bout des piques, une attitude inacceptable que la princesse Irina aura bien du mal à sanctionner. Heureusement, après plusieurs charges de cavalerie et une intervention divine, la loi et l’ordre prévalent, et la morale est sauve, rassurez-vous. Mince…j’ai raconté la fin ! Quoi qu’il en soit, l’histoire parait actuellement par épisodes dans le magazine BD « l’Aventure », édité par les éditions du tiroir,  ou je suis plutôt en bonne compagnie. Jugez-en : Walthéry, Wasterlain, Foerster, Luguy, Cossu, Benoi, Taymans, Warnant…ça va !

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nico 2020 

Pour en savoir plus :

Le site de la maison d’éditions « Les éditions du tiroir » : https://www.editions-du-tiroir.org/

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