À la fin du XIXème siècle, dans un contexte de révolution industrielle et d’expansion incontrôlée des villes telles que Londres, l’autodidacte britannique Ebenezer Howard (1850-1928) cherche à concevoir un modèle urbanistique combinant les avantages de la ville avec ceux de la campagne. Ainsi naît la cité-jardin. Répondant à de réels besoins sociaux et urbains, le concept se diffusera dans de nombreuses zones en développement notamment en région parisienne jusque dans les années d’après-guerre. Rencontre avec Milena Crespo, Animatrice-Coordinatrice de L’Association régionale des cités-jardins d’Ile-de-France et Benoît Pouvreau, Docteur en histoire de l’architecture et Chargé de mission au Service du patrimoine culturel du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis.
.

 

Comment est né le concept de cité-jardin ?

 

 

Benoît Pouvreau : L’idée naît au moment des grandes mutations du XIXème siècle. La Révolutiohowardn industrielle impose de nouveaux espaces alors que l’urbanisation se développe fortement. Des  « cités parc »  avaient auparavant construites mais il s’agit souvent de lieux de villégiature relativement aisés comme au Vésinet, ou au Raincy. La cité patronale impose également un nouvel aménagement de l’espace très particulier où l’habitat collectif est réservé pour l’ouvrier méritant tandis que les maisons individuelles sont pour les contremaîtres, cette hiérarchisation de l’espace y est primordiale.

Le point de départ de la cité jardin telle que nous l’entendons débute avec la publication des écrits du théoricien Ebenezer Howard. Son projet à la fois utopique et pragmatique permettant d’associer cité et jardin se construit peu à peu à la toute fin du XIXème siècle. Avec l’arrivée massive de nouvelles populations au cours du XIXème siècle, l’organisation de la ville de Londres est devenue anarchique. L’idée d’Howard est de créer des villes satellites afin de désengorger la capitale. Il y a également une inspiration socialiste. Henri Sellier, fondateur et directeur de l’Office public de la Seine d’habitations à bon marché de la Seine (OPHBM) en 1915 puis maire socialiste de Suresnes en 1919 va lui-même adopter le concept après la Première Guerre mondiale.

 

 

« Villes et Campagne doivent s’épouser et de cette heureuse union jaillira un nouvel espoir, une vie nouvelle, une nouvelle civilisation ». Ebenezer Howard – Peut-on parler d’idée utopiste voire d’action politique lorsqu’on traite de cité-jardin ?

 

 

 

Benoît Pouvreau : Oui clairement. C’est une initiative qui est approuvée à la fois par les philanthropes, les catholiques sociaux et les socialistes.

Milena Crespo : L’idée est de fournir un espace généreux et pittoresque pour les populations ouvrières mais aussi pour les classes moyennes dont font partie les médecins et les instituteurs. Cette mixité est également voulue par le Musée social et Henri Sellier la crise du logement ayant touché un grand nombre de personnes.

L’esthétique de la cité n’est pas non plus négligée. À Stains, les façades des immeubles sont animées avec de la brique émaillée, des carreaux de céramiques, des agencements de briques… Les dessous des balcons ont été ornés d’éléments géométriques en pâtes de verre incrustées, et les enseignes de commerces sont en mosaïque. Les lieux ne devaient pas non plus être monotones. Il y a une diversité dans les types de pavillons et d’immeubles, des retraits par rapport à la rue… L’idée était en effet de proposer un cadre esthétiquement beau et soigné pour les classes ouvrières.

 

 

 

En quoi la cité-jardin de Stains est un bon modèle ?

 

 

Milena Crespo : Elle a toutes les composantes d’une cité-jardin. Il y avait à la fois du logement collectif, du logement individuel en pavillon, un aménagement paysager, de nombreux jardins, une école maternelle et une école primaire, les commerces et un bain lavoir qui a depuis disparu. À part cela, tout a été très bien conservé par le bailleur social Seine Saint-Denis Habitat- très peu de vente, ni d’extension- la cité jardin est restée la même que dans les années 20.

Benoît Pouvreau : Stains est un véritable « faubourg-jardin » reposant sur 27 hectares auparavant parc de château. En 1919, il s’agit de la plus grande cité-jardin. Le foncier ayant été moins cher pendant la Grande Guerre, l’acquisition fut facile.

 

STAINS

 

 

Y’avait-il également des espaces loisirs dans une cité-jardin ?

.

 

Milena Crespo : Tous les îlots n’avaient pas de fonction potagère et pouvaient notamment contenir des espaces de jeux comme un terrain de boules. À Stains, un des cœurs d’îlots était aussi appelé le champ de moutons. Il n’y a pas dans la cité de Stains (que les habitants nomment le vieux Stains) d’église mais par contre à Suresnes, des emplacements avaient été prévus pour recevoir des lieux cultes dont la construction devait être financée par les institutions religieuses. À Champigny-sur-Marne, une église était aussi prévue mais la chapelle à proximité a finalement suffi.

Au Pré Saint-Gervais, le stade Léo Lagrange a été conçu à la fois comme un lieu de pratique sportive et de grands rassemblements. Dans les cités-jardins, il y avait de grandes fêtes qui étaient pensées comme des rassemblements conviviaux, tissant un réel et profond lien social.

 

 

La cité-jardin était-elle une réponse à ceux qui venaient des campagnes et souhaitaient garder un cadre de vie rural ?

 

 

Milena Crespo : La proposition d’Howard était d’assembler à la fois le meilleur de la ville et le meilleur de la campagne afin de créer une ville-campagne modèle. Les territoires urbains attiraient les populations en tant que bassins d’emploi mais aussi comme espace organisé et festif. Par contre, la pollution et le manque de lien social étaient des éléments négatifs de la ville. Afin de contrer ces extensions, Howard proposait de l’urbanisme circulaire avec un nombre limité d’habitants. Le centre devait constituer le lieu des loisirs, puis les avenues de maisons et les PLANjardins et enfin les usines en périphérie. Les villes circulaires communiqueraient entre elles plus aisément. Dans un contexte de révolution industrielle, le concept d’Howard s’est répandu dans toute l’Europe mais avec des urbanismes et des problématiques différents, adaptés à chaque pays. Un système de lois se met en place en France au début du XXème siècle afin de construire des logements sociaux notamment les Habitations à Bon Marché (HBM). Pour le département de la Seine, l’Office public d’habitations à bon marché de la Seine (OPHBMDS) dirigé par Henri Sellier remplit cette mission. Construites tout autour de Paris, les cités-jardins avaient pour but de désengorger la capitale tout en restant à proximité des bassins d’emploi : Stains, Gennevilliers ou Suresnes. La région parisienne connaît alors un véritable aménagement. En France, les cités-jardins ne sont pas circulaires mais s’adaptent au tissu urbain préexistant.. À Stains, il s’agit d’un ancien parc de château. L’installation de potagers fut très importante pour sa population issue de la campagne et donc attachée à la terre. Puis durant les années 1960-1970, les potagers sont peu à peu délaissés et se transforment en friches à Stains. Les espaces verts formant des clos ou créant des zones de transition entre les immeubles sont devenus en partie des parkings à Suresnes et Gennevilliers. C’est à la faveur du contexte écologique et de développement durable que les habitants souhaitent de nos jours valoriser ces espaces végétaux.

 

 

Il y a également un foyer de célibataires dans un but de n’exclure personne de la vie de la cité-jardin ?

 

 

 

Benoît Pouvreau : Les politiques natalistes ont favorisé les familles voire même les familles nombreuses après la « saignée » qu’a constituée la Première Guerre mondiale. Même si ce n’était pas la mission initiale d’un office de logement social, il existait en effet un foyer de célibataires hommes et un foyer de célibataires femmes. L’habitat devait aussi faire société.

Milena Crespo : À Suresnes, il y avait des logements pour les familles, un foyer de célibataires et une résidence pour personnes âgées. En d’autres termes, vous pouviez passer toute votre vie dans une cité-jardin.

 

 

Avec l’installation des bains douches, la cité jardin est également un lieu où l’hygiène doit prendre une part majeure dans la vie des locataires ?

.

 

Benoît Pouvreau : L’idée s’impose avec la loi Strauss de 1906 qui complète la loi Siegfried. L’hygiène sanitaire et morale est alors diffusée dans le monde ouvrier. La lutte contre l’alcoolisme qui gangrène les couches populaires est également lancée dans les cités-jardins.

Milena Crespo : Dans l’avant-projet de la cité-jardin de Stains en 1920, il est à ce titre intéressant de repérer la mention « café sans alcool » sur le plan. Les cités-jardins avaient aussi des règlements intérieurs. Il était par exemple interdit de mettre son linge à la fenêtre. Le gardien, sifflet à la main, pouvait également donner des amendes.

Benoît Pouvreau : Répondant à une exigence, il faut aussi savoir que les cités-jardins étaient réservées à une certaine « aristocratie ouvrière ». Dans la cité-jardin de Suresnes, il y a de « bons » locataires mais on réserve tout de même des appartements pour des asociaux. Cependant, c’est une exception. Ce n’est que plus tard, dans les années 1950-1960, que le logement social sera ouvert à tous avec la construction des tours et barres d’immeubles.

 bains douches

 

 

Y’a-t-il une nostalgie de la cité-jardin ?

 

 

 

Milena Crespo : On peut le constater lors des visites guidées où finalement les personnes posent la question : « pourquoi le concept de cité-jardin s’est arrêté dans les années 1960 ? ». Autant les barres et les tours d’immeubles ont été des échecs d’urbanisme, autant les cités-jardins se sont finalement maintenues y compris en tant que logements sociaux. Plus qu’une nostalgie, il y a une part de regret chez les visiteurs.

 

 

Les cités-jardins devaient-elles uniformes ou il y avait une certaine liberté dans leur conception ?

 

 

Milena Crespo : Les années 1920 connaissent un grand moment de transition où il n’y a pas qu’une seule architecture. Certains architectes vont concevoir des cités-jardins très différentes selon les villes. Chaque cité-jardin a sa particularité de son terrain et de son maire. Au Pré Saint Gervais, il y a notamment une architecture très moderne. Les pavillons avaient été construits sur les anciens remblais du métro par conséquent les fondations ne pouvaient pas être profonds. Les terrains ont finalement contraints l’implantation des bâtiments mais pas l’architecture.

Afin de recenser les cités-jardins d’Ile-de-France, nous avons utilisé le service de navigation virtuelle Street View et les vues satellites. Il était ainsi facile de les retrouver avec leur architecture typique et leur placette entourée de verdure.

 

Benoît Pouvreau : Au départ, il y a eu une influence du style britannique pittoresque  et des cités « validées » par Ebenezer Howard, telles Letchworth ou Welwyn. Au fin fond de la Seine-et-Marne, grâce à ce mouvement et à cet engouement pour les cités-jardins, des petits groupements de maisons forment des « close » à l’anglaise autour d’espaces verts où l’automobile n’a pas sa place et créent ainsi un ensemble certes modeste mais de qualité. Peu à peu, on trouve une évolution du style architectural avec l’introduction du béton comme au Pré Saint Gervais.

 

 

Pourquoi le concept de cité-jardin s’est peu à peu éteint ?

 

 

Milena Crespo : Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la priorité est de construire massivement et vite. La cité jardin ne peut répondre à une telle problématique. De plus, sur le plan architectural, elle est un concept dépassé. L’architecture moderne du Corbusier va dominer à partir des années 1950. Le logement social français change de modèle. Les dernières constructions de cités-jardins sont finalement des projets d’avant-guerre et qui ne feront que se terminer après 1945. 

 

 


En quoi la cité-jardin peut-elle également être un modèle artistique ?

 

 

 

Benoît Pouvreau : Henri Sellier souhaitait construire une véritable ville. Cependant, l’Office n’a pas tous les moyens et par conséquent doit convaincre les maires des différentes villes concernées, pour les convaincre de confier aux mêmes architectes les écoles ou théâtres relevant de leur responsabilité de maîtres d’ouvrage. QuelquesSELLIER ateliers d’artistes sont installés dans certaines cités dans un but de mixité sociale et de créer une dynamique artistique.

Malgré la crise de 1929 et une volonté de réaliser plus de « collectif », il y a un virage stylistique que l’on peut retrouver dans les cités jardins. Dû au coût, Henri Sellier va par exemple arrêter de construire peu à peu les cités en brique. L’architecture de la cité de Châtenay-Malabry s’apparente à celle que l’on peut retrouver à l’époque en Allemagne, édifié sous de la République de Weimar. La cité de la Muette à Drancy avec ses 14 étages est également dans cette logique de renouveau artistique stylistique?  En faisant appel à la préfabrication et en privilégiant le logement collectif, on construit plus de logements pour moins cher mais l’identité de la cité-jardin se perd.

Milena Crespo : L’idée est également « d’éduquer le peuple ». Des lieux culturels comme des théâtres et des salles de spectacles ont construits dans les cités pour cette raison. Le journal même de l’OPHBM publiait régulièrement des articles afin d’expliquer aux locataires comment bien entretenir sa maison, comment se soigner, comment bien se nourrir… La question du bien-vivre était elle aussi centrale.

 

 

Quel est le rôle majeur de l’association des cités-jardins ?

 

 

Milena Crespo : L’association a pour objectif de fédérer des acteurs très divers mais complémentaires travaillant sur les cités-jardins : collectivités, bailleurs sociaux, instituts d’enseignement supérieur, acteurs du tourisme, habitants…  L’association a pour rôle de développer la connaissance sur ce patrimoine par le biais de publications, de visites, d’actions communes, de la tenue de commissions « valorisation-promotion » et « préservation-rénovation » et ce faisant de contribuer à la promotion, la valorisation et la préservation de ces quartiers. Ainsi, nous préparons actuellement un colloque international intitulé « Des cités-jardins pour le XXIème siècle » pour les 3 et 4 juin 2021 au Théâtre Jean Vilar de Suresnes, au cœur de la cité-jardin. Plus proche, du 3 au 18 octobre 2020, nous organisons un événement « Les cités-jardins en automne » avec une quinzaine de visites sous différents formats dans quatre départements. Il s’agit de la 9ème édition du Printemps des cités-jardins que nous avons dû reporter à l’automne à cause du contexte sanitaire.

.

dav

 

 

Pour en savoir plus :

 

Le site de l’Association régionale des cités-jardins d’Ile-de-France : www.citesjardins-idf.fr

La page Facebook de l’association : https://www.facebook.com/pg/assocjs/posts/

Le compte Twitter de l’association : https://twitter.com/assocjs?lang=fr

 

Photo de couverture, photo 2 et dernière photo [Association régionale des cités-jardins d’Ile-de-France]

PARTAGER