La crise du Coronavirus a bouleversé notre quotidien et notre propre rapport à la santé. Confinement, annulation d’événements publics, port du masque dans l’espace public… nous faisons toujours face à une situation sanitaire restrictive et sans dénouement clair. Chercheurs, médecins et infirmiers interviennent quotidiennement contre ce désormais célèbre et redouté COVID 19. Christian Chenay, 100 ans, fait partie de ces officiers de santé et ce depuis la Seconde Guerre mondiale. Installé depuis 1950 à Chevilly-Larue en banlieue parisienne, le docteur Chenay est en effet le médecin le plus âgé toujours en exercice en France. Rencontre avec cet infatigable travailleur.

 

 

Le métier de médecin a-t-il été une évidence pour vous ?

 

 

Je suis devenu médecin par hasard. J’ai été 5 ans soudeur au chantier naval de Nantes mais il a fait faillite à cause de la concurrence norvégienne. J’avais commencé des études de médecine, cela m’avait plu, alors, j’ai continué. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la moitié de l’hôpital de Nantes était occupé par les Allemands, mais il y avait toujours un chenayjeunedirecteur français. La règle des hôpitaux allemands était d’autopsier tout malade décédé dans l’établissement pour contrôler le diagnostic. On m’avait désigné pour cette fonction. Elle comportait le même avantage que pour le personnel des contagieux, celui de bénéficier des rations de travailleur de force : un litre de vin par jour, 250gr de beurre par mois, des pommes de terre, deux paquets de tabac par mois et surtout du savon, très rare à l’époque. N‘étant ni buveur ni fumeur, je revendais les bons correspondants.
En 1941 j’ai été réquisitionné pour soigner l’épidémie de typhus et de typhoïde. Nous nous protégions avec des masques à gaz modifiés : une couche de tissu, une couche de bas de femme remplaçait la cartouche anti-gaz. Cela constituait un filtre électrostatique qui piégeait bien des particules de salive le nez, mais aussi les yeux qui sont une porte d’entrée possible. Aucun des soignants n’a été malade. Avant de quitter l’hôpital tous les vêtements étaient étuvés. Nous sortions de là, parfois humides, mais indemnes de maladie et de poux.

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Vous vous êtes ensuite orienté vers des études psychiatriques,

 

 

J’ai en effet été interne en psychiatrie à Paris où j’ai connu le célèbre psychanalyste Jacques Lacan. Nous étions logés et correctement payés. J’ai pu aider mon père devenu paralysé à 47 ans et qui bénéficiait d’une retraite proportionnelle.

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Comment traitait-on ce qu’on appelait « la folie » ?

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Nous pouvions faire des diagnostics. Les traitements étaient limités : psychothérapie, gardénal, bains chauds, isolement. En neurologie ce n’était guère mieux : vitamines,

asileaspirine, massages, rééducation. La plupart des internes s’installaient en médecine générale pour faire de la prévention possible uniquement sur le terrain.
Depuis Marisol Touraine [Ministre de la Santé entre 2012 et 2017], on a programmé la disparition du médecin de proximité, travaillant seul, ou en petit groupe, au sein de la population, sous prétexte de son isolement. C’est de plus en plus inexact avec internet, le smartphone, et le dossier médical partagé sur le Cloud. Tous les jours je suis en liaison avec les spécialistes ou le personnel soignant qui traitent mes malades. Le grand souci c’est la sécurité. Depuis trois ans il y a explosion de la violence envers la police, les chauffeurs de bus, les pompiers et le personnel médical dans son ensemble. Le sexe féminin est, bien sûr plus exposé que le masculin.

 

 

Toutes ces violences vous ont-elles donné l’envie d’abandonner votre profession de médecin ?

 

 

J’ai connu un braquage qui m’a valu un jour d’hôpital, mais je travaille en tiers payant intégral et il n’y a pas d’argent au cabinet. On m’a bien sûr volé mes masques datant de 10 ans et des personnes viennent, parfois accompagnées de pitbulls pour essayer de me forcer à faire des ordonnances de drogue ou de faux certificats. Mon expropriation m’a déplacé désormais dans une zone spéciale sensible. C’est digne du Père Ubu : mes impôts pour un seul médecin sont le triple des précédents, pour trois médecins. C’est parfaitement légal, car ma petite zone bénéficie du « Grand Paris », du « Pôle développement d’Orly » et est proche du « Pôle » gastronomique reconnu par l’UNESCO. Tout est taxé même le parking handicapé ! 50 m plus au nord je payerais moitié moins. 1000 m plus près de Paris, je serais en zone franche et n’aurais rien du tout à payer. La dernière année j’ai travaillé 60 heures par semaine (formation et paperasserie comprise) j’ai gagné 10 euros de l’heure. Ma femme de ménage en gagnait 16. Je suis retraité, je peux travailler dans ces conditions. Un médecin normal ne le pourrait pas. L’un des jeunes qui devait me succéder est parti dans une zone franche, l’autre a trouvé un poste salarié.

 

 

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Tout au long de votre carrière, vous avez connu de multiples épidémies : le typhus, la tuberculose, la syphilis, le sida. Comment peut-on soigner ce qui est dévastateur ?

 

 

 

Pour le typhus on a eu très vite un vaccin et le DDT s’est montré redoutable pour les poux et très peu toxique pour l’homme. Il a fallu des années pour venir à bout de la tuberculose, de la syphilis et transformer le sida mortel en une maladie chronique.

 

 

Vous êtes spécialiste en neurologie et lésions cérébrales et vous avez enseigné à Chicago et à Los Angeles. Cela vous arrive-t-il d’envier des médecines à l’étranger.

 

 

Je ne suis pas spécialiste, j’ai été chercheur, je ne suis plus qu’un homme de terrain qui essaie d’appliquer les découvertes des autres. Le monde est en crise : il y a 10 fois plus d’habitants sur la Terre que lorsque je suis né ! Les médias se sont développés, l’ordinateur et le smartphone sont arrivés. Certains systèmes médicaux ont réussi à intégrer les nouvelles données et ont mieux réagi face au virus : l’Allemagne, les pays nordiques, la Nouvelle Zélande et la Corée du Sud. La France et les pays latins payent cher leur incurie et leur refus de l’évolution. Il serait inhumain d’abandonner le bateau et ses passagers parce qu’il prend l’eau. On peut colmater !

 

 

En 1955 il y a eu la variole en Bretagne ; en 1968 la grippe chinoise a fait beaucoup de morts en France. Nous sommes en 2020 et le Coronavirus continue d’être une menace. Faisons-nous toujours les mêmes erreurs face aux épidémies ?

 

 

Votre question est passionnante. Chaque pays a réagi différemment :

  • L’Allemagne vit dans la crainte de la guerre ABC : atomique, bactériologique, chimique. Le système médical possède cinq fois plus de postes de réanimation, trois fois plus de biologistes que nous, des doses d’iode pour toute la population en cas de nuage atomique et quatre fois moins de personnel administratif. Elle a été la nation la plus performante.
  • La Chine a envoyé mourir en prison le lanceur d’alerte. Devant le scandale les autorités coronavirsont été exemplaires. Il est vrai qu’elles possédaient le quasi-monopole mondial de la fabrication des masques, des tests et des antiviraux. La Chine est en avance sur tout le monde et est au stade de l’éradication totale du virus de son territoire.

 

En 2010 la France possédait un milliard, deux cent mille masques. En 2019 il en restait zéro ! Pour pallier à la pénurie le Professeur Jérôme Salomon a déclaré que les masques étaient « plutôt dangereux ». C’est déprimant lorsque l’on fait le décompte des soignants morts faute de protection. Il y a un précédant : lors du nuage de Tchernobyl : il aurait fallu distribuer en urgence une dose d’iode pour éviter les cancers de la thyroïde. C’est efficace, ça coûte quelques centimes par habitant. L’armée en avait des stocks et le personnel pour distribuer était là. Vu les difficultés administratives le Professeur Pellerin a proclamé « Le nuage n’a pas dépassé la frontière ». Il y a eu une multiplication des tumeurs thyroïdiennes et des leucémies dans les départements de l’est. Depuis cinquante ans, nos élites et nos dirigeants ont perdu la mémoire. Nous allons payer longuement cette amnésie chronique sur le plan médical et économique.

Deux pays ont limité la réanimation des malades à l’âge de 70 ans, envoyant à la mort les plus âgés : L’Italie et la France. Ce n’est pas glorieux !

 

 

Le médecin doit-il avant tout guérir la maladie ou peut-il également se préoccuper du malade ?

 

Vous soulevez un problème fondamental. On soigne des êtres humains malades, non des maladies anonymes. En temps normal c’est facile : on adapte le traitement à l’état du malade. On lui explique les avantages et les risques des différentes possibilités, il peut faire un choix différent de celui que préfère le médecin. On établit ensemble le programme.

En cas d’épidémie le médecin est lié par la protection de la communauté et les règles édictées par le pouvoir politique : isolement, masques, vaccination, limitation ou interdiction de certaines thérapeutiques. Le médecin est débordé, il n’a que peu de temps pour expliquer. Pour la première fois les médias, les multinationales et la finance ont joué un grand rôle : liquidation de stocks d’antiviraux coûteux aux effets insuffisamment hydrodocumentés, statistiques du Lancet que les auteurs ont refusé de signer, bagarres indécentes de personnalités pour l’avancement ou l’obtention de sinécures, interdiction de l’hydrochloroquine. Cette dernière interdiction totale pose une interrogation : depuis 70 ans elle a été utilisée par des millions d’individus (triés sur examen cardiaque) pour le paludisme ; nous avons des malades atteints de maladie auto-immunes qui en prennent depuis vingt ou trente ans et paraissent échapper à certains virus. Les incidents sont rarissimes. Trois essais américains et deux chinois sont favorables à l’usage à dose normale aux premiers jours de la maladie ; sans danger, il évite un certain nombre de passages en réanimation. Son usage tardif est illogique, antiscientifique, dangereux, surtout à dose massive au moment de l’explosion de la maladie où il faut passer aux anti-inflammatoires et à l’oxygène. On a tout mélangé.

 

 

En 2018 vous avez écrit le livre « Et si la vieillesse n’était pas un naufrage. Séniors réveillez-vous « Avec des populations de plus en plus vieillissantes, comment peut-on accepter le poids de l’âge et de la souffrance ?

 

 

Vous soulevez un problème fondamental. Seulement 20% des personnes âgées sont dépendantes. Le reste se débrouille seul et ne demande qu’à être utile. La prise en charge des aînés peut se faire sans dommages pour les jeunes, sans dépenses supplémentaires. Il suffirait de répartir les importantes sommes actuelles de façon plus rationnelle. Je viens d’écrire un livre qui traite le problème en détail, le « Manuel de survie des retraités ». Le problème de la douleur, lui, concerne tous les âges. Il est, depuis quelques années, lié à la toxicomanie qui détourne certains médicaments. Pratiquement on arrive à calmer toutes les douleurs et les malades en fin de vie vont dans les services de soins palliatifs très bien organisés. Les législations actuelles sont inadaptées à l’explosion mondiale des toxicomanies. Le problème est international.

 

 

DR CHENAY 11

 

Pour en savoir plus :

« Le manuel de survie des retraités » du Dr Christian Chenay- Atramenta 2020 https://www.atramenta.net/books/le-manuel-de-survie-des-retraites/968

« Et si la vieillesse n’était pas un naufrage? : Séniors, réveillez-vous! » du Dr Christian Chenay- Atramenta 2018 https://www.amazon.fr/vieillesse-n%C3%A9tait-pas-naufrage-r%C3%A9veillez-vous/dp/9523402773

Le site internet du Docteur Chenay : https://docteurchenay.wordpress.com/

 

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