« Peuple on te trompe, on tue tes amis! » aurait lancé le député Camille Desmoulins dans la charrette qui le menait à l’échafaud le 16 germinal An II (5 avril 1794). Figure majeure de la Révolution française, « L’homme du 14 juillet » est finalement tombé dans l’ombre au fil du temps. C’est pourtant bien Camille Desmoulins qui appelle dans les jardins du Palais-Royal le 12 juillet 1789 la population de Paris à s’armer face à l’autorité royale. Il choisit alors comme cocarde le vert, couleur de l’espérance. Camille Desmoulins mérite indubitablement d’être redécouvert tant pour ses écrits que pour ses actions de révolutionnaire.

Entretien avec Hervé Leuwers, Professeur des universités et spécialiste de la Révolution française.

 

 

 

En quoi Camille Desmoulins est une figure clé des événements de juillet 1789 ?

 

 

 

Il l’est à double titre. D’abord par sa contribution aux événements, car il est l’un de ceux qui ont appelé aux armes dans les jardins du Palais royal, le 12 juillet 1789, au lendemain du renvoi du ministre Necker. Son but n’était pas de lancer une attaque contre la Bastille, mais d’inviter les Parisiens à s’armer pour sauver la Révolution ; il était vertpersuadé que le roi voulait dissoudre l’Assemblée nationale et, que le coup de force aurait entraîné une « Saint-Barthélemy pour les patriotes ».

Si Desmoulins est une figure majeure de juillet 1789, c’est aussi par la trace qu’il a laissée dans l’histoire. C’est par son appel aux armes, mais aussi par ses premiers écrits (La France libre, puis le Discours de la lanterne aux Parisiens) qu’il est devenu un personnage emblématique. Sous la Troisième République, notamment, la scène du 12 juillet inspire les sculpteurs (Doublemard, Boverie…) et les illustrateurs de livres scolaires. Le personnage est alors connu de tous.

 

 

 

 

Contrairement à une grande partie des révolutionnaires de 1789, Camille Desmoulins revendique dès cette époque une république sans roi. A-t-il finalement réussi à convaincre ses pairs ou finalement les événements lui ont donné raison ?

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Camille Desmoulins est en effet l’un des rares à espérer, dès un pamphlet de juillet 1789 (La France libre), que son pays devienne une véritable république, à la manière des Etats-Unis. Il affirme alors : « Ô rois, oui, je vous ai en horreur ! Comment ne vous haïrait-on pas, tigres que vous êtes ? ». Mais ce qui compte pour lui, plus encore que l’absence d’un roi, ce sont des ambitions démocratiques : le droit de vote pour tous les hommes majeurs, la soumission du pouvoir exécutif à l’Assemblée, le respect de la liberté d’expression, etc.

Au fil des mois, et particulièrement après la fuite manquée de Louis XVI et son arrestation à Varennes (juin 1791), nombre de démocrates vont se convaincre que la république est la seule manière d’imposer la liberté. En 1791 et 1792, la demande de son instauration va ainsi s’exprimer de plus en plus vivement, et Camille Desmoulins va continuer à en défendre l’idée, notamment aux côtés d’hommes comme Lavicomterie et Robert.

 

 

En quoi Lucile, son épouse, devint-elle une figure importante de la Révolution ?

 

 

 

Si l’on se place au temps de la Convention nationale, à partir de septembre 1792, Lucile Desmoulins n’est qu’une femme de député, une parmi d’autres. C’est son destin tragique, son exécution sur la guillotine, une semaine à peine après la mort de son mari (avril 1794), qui va la transformer en un personnage historique.

Au XIXe siècle, on retrouve ainsi le nom de Lucile Desmoulins dans les dictionnaires de « femmes célèbres », comme ceux de Lairtullier ou de Prudhomme. On commence alors à s’intéresser à ses convictions politiques, à ses écrits, et l’on s’aperçoit combien elle a partagé les convictions démocratiques de son mari.

 

 

lucile

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Quel fut le rôle de Camille Desmoulins dans la création de la devise de la République française : « Liberté, Egalité, Fraternité » ?

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Ces trois notions sont fréquemment évoquées par les philosophes du XVIIIe siècle, mais c’est avec la Révolution que leur association s’opère, dans cet ordre précis.

Le premier à en faire une devise, c’est Robespierre, en décembre 1790, lorsqu’il propose de placer ces trois mots sur les drapeaux des gardes nationales. Mais Camille Desmoulins n’est pas étranger à cette idée puisqu’à l’été précédent, il a évoqué dans son journal, les Révolutions de France et de Brabant, les gardes nationaux qui s’étaient promis « liberté, égalité, fraternité » à la fête de la Fédération du 14 juillet 1790.

Dans les deux cas, on peut souligner que la formule « Liberté, Egalité, Fraternité » est revendiquée avant même la République, qui est fondée en septembre 1792.

 

 

 

Proche à la fois de Mirabeau, de Robespierre, de Marat et de Danton, comment Camille Desmoulins a-t-il vécu les divisions entre les révolutionnaires ?

 

 

 

Comme beaucoup d’acteurs politiques, Camille Desmoulins n’a pas été proche de ces hommes de la même manière. Mirabeau a été pour lui un maître en politique, en 1789, puis il s’en est éloigné ; Robespierrdesmoulins ce était un ami de collège, Marat un confrère journaliste, et Danton un ami et voisin, dont il fréquentait régulièrement l’appartement.

Après la mort de Mirabeau (1791) et celle de Marat (1793), les différends entre Danton et Desmoulins, d’un côté, et Robespierre de l’autre, deviennent sérieux au début de 1794 seulement. Ces hommes sont alors en profond désaccord sur les moyens pour réussir la Révolution ; ils vivent ces oppositions comme des déchirements.

Pour eux, et particulièrement pour Robespierre, le triomphe de la république oblige à des sacrifices qui, aujourd’hui, à deux siècles de distance, sont devenus en partie incompréhensibles. Comme Brutus l’ancien, un consul romain qui a accepté l’exécution de ses deux fils pour trahison, ils considèrent qu’un vrai républicain doit être prêt à sacrifier au pays ce qu’il a de plus cher, jusqu’à la vie de ses amis ou sa propre existence.

 

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Comment peut-on décrire « Le Vieux Cordelier », le journal de Camille Desmoulins ?

 

 

 

C’est le quatrième journal de Camille Desmoulins, et le plus connu. Comme souvent à l’époque, il s’agit d’un périodique rédigé par une seule plume, et publié dans un petit format, qui est celui d’un livre d’aujourd’hui.

Dans ce journal, dont six numéros paraissent en décembre 1793 et janvier 1794, Desmoulins s’inquiète de la répression politique, et assure craindre que la république ne se transforme en un despotisme. Il plaide pour plus de clémence et pour la liberté de la presse. Le journal va cependant susciter de vifs débats, notamment au club des Jacobins.

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cordelier

 

 

Dans ses écrits et ses dernières paroles, Camille Desmoulins traite souvent de la religion. Quelle est selon lui une « religion nationale » ?

 

 

 

Comme beaucoup de ses contemporains, Camille Desmoulins croit en Dieu. Il se montre cependant sévère envers l’Eglise catholique et ses dogmes ; dès 1789, il écrit : « Au lieu d’une religion gaie, amie des délices, des femmes, de la population et de la liberté ; d’une religion où la danse, les spectacles et les fêtes soient une partie du culte, comme était celle des Grecs et des Romains, nous avons une religion triste, austère, amie de l’inquisition, des rois, des moines et du cilice ; une religion qui veut qu’on soit pauvre, non seulement de biens, mais encore d’esprit, ennemi des riches, et des plus doux penchants de la nature ». Bref, il considère que le catholicisme est l’ennemi du bonheur. Ce qu’il espère, c’est une sorte d’union de tous les Français dans un même déisme, qui permettrait le bonheur et éteindrait toute querelle de religion…

S’il avait vécu plus longtemps, il aurait sans doute approuvé la fête de l’Etre suprême du printemps 1794.

 

 

 

Pour quelles raisons Camille Desmoulins fut finalement exécuté ?

 

 

 

Le jugement et l’exécution de Camille Desmoulins, mais aussi ceux de Danton, Philippeaux ou Fabre d’Eglantine (5 avril 1794), interviennent dans un climat extrêmement tendu. Le pays est en guerre contre une partie de l’Europe, et doit également affronter de fortes résistances intérieures. Dans ce contexte, toute critique de la politique menée par le « gouvernement révolutionnaire » est jugée dangereuse, qu’elle vienne de la gauche (les hébertistes et cordeliers) ou de la droite (les indulgents, dans lesquels on classe Desmoulins). Toute critique est même plus que cela, elle est suspecte, tant la crainte de la trahison est forte.

Ces deux oppositions, celle des hébertistes et celle des indulgents, vont ainsi être éliminées tour à tour au printemps 1794, lors de ce que les historiens appellent la lutte des factions.

 

 

En 1942, l’occupant allemand décide de fondre la statue de Camille Desmoulins au Palais-Royal. « Le premier apôtre de la liberté » est-il finalement une figure de la Révolution injustement oubliée ?

 

 

 

Beaucoup de statues ont disparu pendant la Seconde Guerre mondiale. La statue de Camille Desmoulins de Guise a cependant été ensuite refondue et réinstallée sur la place de la ville, mais pas celle du jardin du Palais royal. Elle représentait l’orateur du 12 juillet montant sur une chaise, prêt à haranguer la foule…chaise

Ce renoncement, à coup sûr, démontre un recul de la notoriété de Camille Desmoulins. Ce recul s’est encore accentué ces dernières années, à la suite d’un appauvrissement de l’enseignement de la Révolution française au collège et au lycée, provoqué par des modifications successives de programmes.

Ce qui est en jeu n’est pas l’injustice d’un oubli de certaines figures de la Révolution : Desmoulins, mais aussi Danton, Saint-Just ou Théroigne de Méricourt. L’histoire n’est pas destinée à célébrer les héros du passé. Le risque est celui d’une désincarnation de l’histoire de la Révolution, et plus encore d’une perte de compréhension de ses enjeux. Le danger est d’autant plus grand que beaucoup mettent en avant la « violence » de certains de ses moments, au risque d’oublier le combat pour l’émancipation politique, l’affirmation de la liberté, l’invention de la souveraineté nationale, l’aspiration au bonheur ou une première abolition de l’esclavage (1794)…

 

 

 

Pour en savoir plus :

 

« Camille et Lucile Desmoulins » de Hervé Leuwers- Fayard 2018  https://www.fayard.fr/histoire/camille-et-lucile-desmoulins-9782213693736

 

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