Issues d’un art millénaire, les icônes sont essentielles dans la vie religieuse chrétienne orthodoxe. Les visages, les couleurs ou encore leur vénération fascinent. Mais bien au-delà de leur beauté artistique, les icônes ne sont pas inventées mais révélées. Que représentent-elles ? Quelle est leur place au sein de l’Eglise orthodoxe ? Rencontre avec Maciej Leszczynski, peintre d’icônes, chantre et théologien.
Les icônes ont un rôle très particulier dans le christianisme oriental. Ce rôle se traduit souvent par des histoires et des légendes transmises de génération en génération. Pourriez-vous nous parler en quelques mots de l’origine de ces légendes. Que nous enseignent-elles sur la nature de l’image-icône ?
Bien que des exemples d’icônes antérieures au VIe siècle ne nous sont pas parvenus, de nombreux textes anciens confirment que la tradition de réaliser des portraits des saints et de les préserver pieusement par les fidèles remontent au temps des apôtres.
L’essor du christianisme au cours des premiers siècles est lié à son inculturation, l’assimilation de la culture antique. La nouvelle religion qui proclame l’incarnation de Dieu et propose la voie de la déification à ses fidèles développe un rapport au monde où la référence à l’invisible et l’éternel occupe la place centrale. Il n’est pas étonnant que dans ce contexte les icônes, considérées comme lieux de présence et de manifestations de l’invisible, ont joué un rôle très important dans le culte officiel et dans la piété populaire.
Des sources plus tardives témoignent des icônes miraculeuses à travers lesquelles les saints manifestent leur volonté. D’autres icônes suintent de l’huile miraculeuse, guérissent ou protègent les villes de ses envahisseurs. Au VIe siècle, ces nombreuses histoires, tout comme les vies de saints, ont été intégrées dans des recueils qui sont devenues très populaires.
Parmi les histoires et les légendes les plus anciennes qui nous sont parvenues, deux ont une autorité très particulière – l’histoire de l’image du Christ « acheiropoïètes » ( image qui n’a pas été faite par la main de l’homme ), appelé également « Mandylion », et enfin la légende de Saint Luc réalisant le premier portrait de la Mère de Dieu.
La première nous renvoie à l’histoire d’Abgar, roi d’Édesse, qui étant très malade et ayant entendu parler de la venue du Messie, aurait envoyé un de ses serviteurs pour que celui-ci amène Jésus Christ dans son palais et le guérisse. Jésus ne pouvant pas accomplir la volonté du roi, il aurait lavé et essuyé son visage avec un linge sur lequel l’empreinte de sa face était restée comme imprimée. Le roi Abgar, guéri après avoir reçu cette image miraculeuse, l’aurait préservée comme relique en l’installant au-dessus de la porte principale de la ville d’Édesse. Cette légende est fondamentale pour l’icône qui, avec l’évangile, proclame que « le Verbe se fait chair ». La Sainte Face est la manifestation du miracle fondamental de « l’économie divine » dans son ensemble : la venue du Créateur dans sa création. Ou, comme disait Léonide Ouspensky : « La manifestation absolue de la Divinité et la manifestation absolue du monde devenu un avec la Divinité ». Cette légende a pris un sens un peu différent en Occident chrétien avec l’histoire du voile de Sainte Véronique.
Au XIIIème siècle, la légende de Sainte Véronique est popularisée et associée à la passion du Christ. Femme pieuse de Jérusalem, Véronique, prise de compassion, donne son voile au Christ portant sa croix jusqu’au Golgotha pour qu’il puisse essuyer son front. Jésus accepta et, après s’en être servi, le lui rendit avec l’image de son visage qui s’y était miraculeusement imprimée sur le linge. Il s’agit ici de l’origine de l’icône. D’ailleurs, Véronique (Vera icon) veut dire « vraie image ».
La deuxième légende est celle de Saint Luc. Parmi les disciples du Christ, il était le plus éduqué et le plus talentueux représentant de la culture hellénique. Saint Luc était médecin, écrivain et chroniqueur. Il serait également devenu le premier peintre ou disons le premier iconographe de la Vierge. Encore aujourd’hui de nombreux sanctuaires abritent les icônes dites « de Saint Luc ». Ces images sont considérées comme des copies ou des reproductions de la première représentation réalisée par l’apôtre. Cette légende d’origine orientale avait eu beaucoup plus de succès en Occident chez les peintres et sculpteurs flamands et italiens de la Renaissance. Saint Luc peignant le portrait de la Vierge sur le vif devint l’un de leurs sujets préférés. Pour cette raison, les artistes le choisirent comme leur saint protecteur.
Certaines versions de ce récit contiennent des détails qui nous amène à contester sa vraisemblance. De plus, les types iconographiques mariales ainsi que la tradition accordée au Saint apôtre sont postérieurs à l’époque du christianisme primitif. Au Ier siècle, on ne peut pas à proprement parlé d’icônes. Il y avait effectivement des portraits – bien souvent funéraires – mais les représentations ne ressemblaient pas aux icônes que nous connaissons aujourd’hui.
C’est finalement le texte de l’évangile lui-même qui nous permet de comprendre le véritable sens de cette légende. La place que Saint Luc accorde à Marie dans son récit est très particulière par rapport aux autres évangélistes. Il est celui qui notamment traite du rôle de la Vierge dans le mystère de l’incarnation de Dieu et de sa relation avec son fils Jésus. Ainsi en écrivant, Saint Luc a su décrire le premier le mystère de la Mère de Dieu. Dans ce sens, il nous a transmit son « icône verbale ».
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Pour quelles raisons les orthodoxes disent que l’icône n’est pas peinte mais en fait écrite ?
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Le mot iconographie vient du grec (eikon – image et grapho – écrire), et signifie littérairement « écriture des images ». En effet, le lien entre l’écriture et l’icône est très étroit. Il faut dire que l’art de l’icône s’est formé au sein d’une civilisation dont la vie politique, sociale et religieuse était fondée sur l’imaginaire. Ainsi les termes comme « image » ou « vision » avaient un sens beaucoup plus large et plus profond que de nos jours. Il suffit de consulter des ouvrages de philosophie et mystiques du début de notre ère. Par exemple, chez le penseur greco-romain Plotin, les définitions liées à la vue sont des métaphores avec lesquelles le philosophe décrit la voie de la connaissance de l’essence des choses. De même, pour les premiers ascètes chrétiens, la « vision de Dieu » désigne l’état le plus élevé de l’âme. Elle est l’union parfaite avec le Créateur. Cette union se réalise à l’intérieur de l’homme, dans son cœur, purifiée et sanctifiée par les pratiques ascétiques.
L’Église orthodoxe accorde une place très importante à la Tradition, autrement dit, la transmission de la foi apostolique. Lorsque le rôle des icônes a été contesté par les iconoclastes au VIIIe siècle, le Concile Œcuménique qui s’est rassemblé pour résoudre cette question a été obligé d’expliquer en quoi consistait l’autorité de la Tradition. Entre autres, il a dit qu’il n’y avait qu’une seule Tradition, mais qu’elle devait être constituée de la tradition « écrite » et de la tradition « non-écrite ». Ces dernières sont inséparables et à égalité. Ainsi la Tradition de l’Église renferme en elle non seulement les sources écrites et verbales, mais également picturales, liturgiques. Avec elles, toute l’expérience mystique de l’Église ne peut s’exprimer par la parole.
La Sainte Écriture a une autorité très importante au sein de notre Église, mais nous avons conscience qu’elle n’est pas autonome ou autosuffisante. Elle est conçue par la Tradition, elle vit en elle. Tout au début de son évangile, Saint Jean témoigne par écrit de « la gloire de Dieu qui s’est manifestée » et de ce qu’il a vu. Il termine enfin en avouant qu’il y a encore beaucoup de choses que Jésus a pu faire mais qu’il ne la pas narrer. Ainsi, le texte de son évangile ne décrit pas toute l’expérience et le témoignage de l’apôtre. Je souhaite rappeler qu’au temps des premier chrétiens, le mot « évangile » (« bonne nouvelle ») décrivait toute la mission et l’enseignement apostolique. Ce n’est que bien après que seuls quelques-uns de ces récits ne soient conservés.
L’icône n’est pas une simple illustration du texte. Par exemple, l’icône d’une fête contient évidement des éléments que l’on peut retrouver dans l’Évangile, l’hymnographie, la liturgie et l’enseignement des Pères de l’Église. Mais en même temps l’icône va au-delà de l’illustration. Elle a le but de représenter le sens du mystère vécu au sein de l’Église. L’icône commente et complète le texte de l’Évangile.
La langue et l’intelligence humaines sont finalement très limitées face au mystère. L’icône est une manière de rendre visible ce qui est invisible à nos yeux et exprimer ce qui reste inexprimable par la parole.
C’est pour toutes ces raisons que nous préférons parler d’iconographie à la place de peinture de l’icône. Bien qu’aujourd’hui l’expression « peinture des icônes » est aussi largement employée, « l’écriture », selon moi, correspond mieux au sens et à la véritable vocation de l’art de l’icône. Dans notre temps où l’icône coexiste avec différents formes de l’art c’est aussi une manière de la distinguer de la peinture religieuse qui repose sur des principes différents.
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Il y a par conséquent une grande responsabilité dans la conception même de l’icône. Y’a-t-il tout de même une certaine liberté artistique ?
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De nos jours, beaucoup de ceux qui apprécient les icônes les jugent exclusivement selon leurs valeurs esthétiques. Ils sont touchés par leur beauté, par l’harmonie des couleurs, par la sobriété ou encore la sérénité. Cependant l’esthétique ou le style de l’icône ne représente qu’un de ses composants. En effet, l’icône se montre comme tout un système de symboles et de signes qu’il faut apprendre et surtout comprendre pour pouvoir les « lire » et pleinement les apprécier.
Il est très important de souligner que dans l’Église orthodoxe, l’icône a une fonction liturgique. Elle est conçue comme expression de la foi commune, en prière et pour la prière de l’assemblée. Dans ce sens, c’est un art pleinement « catholique » car il manifeste le mystère de l’unité de l’Église. Pour cette raison l’écriture des icônes est considérée comme une forme de sacerdoce. L’iconographe ne crée jamais en son propre nom. Il agit en tant que membre de la communauté eucharistique en pleine communion avec elle. Il ne produit pas d’images pour lui-même ni pour manifester sa foi ou exprimer ses sentiments religieux. Ce n’est pas le point de vue d’une personne qui est au cœur de l’icône mais bien la vision de toute l’Église. C’est d’ailleurs pour cette raison que les icônes sont toujours anonymes.
Il est très important que l’iconographe soit conscient de la responsabilité qu’il porte devant Dieu et toute l’assemblée. L’iconographe, aussi bien que le prêtre ou le chantre, doit être toujours vigilant afin qu’il ne devienne pas un écran séparant Dieu et les fidèles. S’il ne veut pas respecter la Tradition au nom de sa propre liberté et ses œuvres, s’il ne souhaite pas rassembler et guider les fidèles dans leur prière, l’iconographe risque de les détourner de celle-ci en les plongeant dans des fantasmes pseudo-religieux.
Ce n’est pas par hasard que les milieux monastiques gardent une importante influence sur la formation de l’icône et de son caractère. Le but des pratiques ascétiques est de retrouver son intégrité en raccordant, par la voie d’humilité, sa propre volonté avec celle de Dieu. Cet état de cohérence intérieure exprime parfaitement le terme de « synergie », qui veut dire l’union des énergies indépendantes. D’ailleurs, c’est un paradoxe très intéressant : la voie de la vie monastique, qui est basée sur la recherche de la vraie liberté, commence par l’obéissance, c’est-à-dire, le renoncement à sa propre volonté.
Je pense que le christianisme a une conscience très particulière du mystère de la liberté de l’homme. C’est un attribut, qui d’un côté fait de l’homme un proche et un miroir de son Créateur, et de l’autre, c’est la cause de sa chute et de son éloignement. Ainsi, la liberté est un don sacré de Dieu, mais si elle n’est pas « canalisée » vers un bon sens, elle peut mener à la destruction.
Je rencontre souvent des artistes qui se mettent à peindre des icônes. Le plus difficile pour eux est sans aucun doute le « renoncement de soi-même ». Il faut finalement retrouver la liberté et la créativité ancrée dans l’expérience des nombreuses générations précédentes. La culture moderne nous a imposés un modèle d’artiste-créateur qui est toujours en quête de l’originalité dont la liberté se définit dans l’autonomie et l’opposition à tout ce qu’il ne vient pas de lui-même. L’iconographe, quant à lui, est celui qui se plonge dans la Tradition vivante, il y retrouve sa propre voie et il vit pleinement sa liberté et sa créativité sans opposition ni contradiction intérieure.
Le canon et les règles de l’iconographie dont on parle souvent n’ont pas été inventés et imposés par quelqu’un dans le passé. A vrai dire, ils étaient définis à l’époque tardive, au moment de la confrontation de l’iconographie traditionnelle avec la peinture religieuse moderne. Au moment où, avec des influences des nouveaux courants artistiques, l’art de l’icône risquait de subir une mutation profonde, il était nécessaire d’exprimer ces principes. Pourtant auparavant et pendant des siècles, ces principes était respectés naturellement, sans être définis. On pense souvent que le rôle de ces règles est de limiter la liberté de l’iconographe, mais en fait, elles nous indiquent la voie dans laquelle nous devrions investir notre créativité afin de devenir pleinement libres tout en restant « ecclésiales ».
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L’icône est-elle un miroir du monde terrestre ou avant tout une fenêtre vers le monde céleste ?
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Je pense que l’icône peut être effectivement regardée comme une fenêtre vers le monde céleste. Surtout dans le cas des portraits. Devant les icônes du Christ, de la Mère de Dieu et des saints, nous nous tenons comme s’ils étaient réellement en face de nous. La manière avec laquelle on les représente nous permet de contempler leurs visages non pas dans leur condition terrestre, mais déjà sanctifiés et transfigurés par la gloire divine.
Leur présence sur les icônes est en effet très puissante. En ce sens l’art de l’icône est un art de « re-présentation », donc de rendre présent, ce qui est de l’ordre céleste et divin. L’icône manifeste avec ostentation le sens de la foi chrétienne et les conséquences ultimes de l’incarnation de Dieu – abolition de toute division entre la terre et le ciel, les vivants et les morts, le monde visible et invisible. Elle est ainsi, une fenêtre qui dévoile le mystère du Royaume du siècle à venir. Cette dimension « eschatologique » est fondamentale pour la théologie de l’icône.
Il existe aussi le rapport très significatif entre l’icône et le monde terrestre, donc le monde créé. La Bible nous dit que l’homme a été créé le dernier jour comme le roi et le médiateur entre Dieu et son œuvre. La chute du premier homme a eu des conséquences tragiques pour toute la Création. Par conséquent, l’Incarnation et la venue du Christ inaugurent la sanctification de l’homme et avec lui toute la Création. Ainsi, sur les icônes non seulement les visages et les corps des saints sont représentés en leur état purifié et glorifié par la Grâce divine, mais avec eux est représentée la Création toute entière – la terre et les eaux, les animaux et le monde végétal. En examinant des représentations des scènes bibliques, nous pouvons remarquer que même si elles nous envoient aux événements du passé, la notion du temps et de l’espace n’y est pas présente. Les éléments du paysage restent assez fidèles à la réalité historique et facilement reconnaissables, mais en même temps, ils sont différents. C’est comme si les montagnes, les arbres et les fleuves étaient aussi rachetés et transfigurés avec l’homme. L’icône nous renvoie, en effet, à la nouvelle création qui a été annoncée dans le livre de l’Apocalypse, quand tout sera uni en Dieu.
Revenant à votre question, je pense que le « miroir du monde terrestre » peut être utilisé comme métaphore de l’icône dans une certaine mesure. Nous pouvons nous regarder dans les icônes, dans les visages des saints. Nous devons le faire si nous prétendons appartenir au monde qu’elles représentent. Cependant, ce que nous voyons pas en elles c’est notre condition déchue et déformée par le mal. L’icône est un miroir « magique » qui finalement nous montre l’état de la sanctification à laquelle nous sommes tous appelés.
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Le VIIème concile œcuménique (en 787) est le dernier reconnu à la fois par l’Orient et à la fois par l’Occident et le dernier de la tradition commune du Catholicisme et de l’Orthodoxie. Quelle est la conséquence pour les icônes ?
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Le VIIe concile œcuménique qui se réunit à Nicée en 787 et le synode de Constantinople de 843 (événement appelé aussi le « Triomphe de l’Orthodoxie » marquent un tournant majeur dans le développement du christianisme orthodoxe. La lutte pour les icônes a eu un tel retentissement sur la vie de l’Église en Orient que nous pourrions couper en deux l’histoire de l’Église byzantine avec un « avant » et un « après ». Nous pouvons même comparer cet événement à la Réforme et la Contre-reforme qui ont divisé l’Église en Occident. Le rejet des images chrétiennes et de leur vénération, fondé sur la base philosophique platonicienne, a divisé l’univers en deux. L’iconoclasme a opposé Dieu à sa création, le monde visible au monde invisible, a séparé Dieu incarné de Son image et de Son Église. La lutte des chrétiens orthodoxes contre la transcendance absolue de Dieu révèle le réalisme de l’Incarnation et de la rédemption de la création. C’est à travers ce réalisme que se manifeste pleinement « l’économie du salut », problème central des querelles en question. C’est seulement par l’Incarnation réelle et non-apparente que Dieu, devenant visible et palpable, peut sauver le monde.
Le concile de Nicée a été le dernier à traiter des questions théologiques de nature « trinitaire » et « christologique ». Le « Triomphe de l’Orthodoxie » sur l’iconoclasme inaugure la période « pneumatologique » dans la pensée byzantine. Celle-ci donne une place particulière à l’Esprit-Saint et à la Grâce.
Nous pouvons constater que l’ensemble des aspects théologiques qui était au cœur de la polémique, a trouvé un reflet dans tous les domaines de la vie de l’Église. Les querelles en question ont achevé une période formative, non seulement pour la théologie mais aussi pour la liturgie byzantine. Le VIIIe et le XIe siècles correspondent au moment de la réforme liturgique dont la forme et le contenu en grande partie ont été définies par les pères iconodoules – défenseurs des saints icônes. Les changements dans la forme et la perception de la liturgie allaient se refléter, au cours de la période suivante, dans des changements correspondants au contexte artistique, architectural et iconographique. Dans ce contexte des débats théologiques autour de l’icône, l’Église élaborera non seulement l’apologie systématique de l’image chrétienne mais aussi son langage artistique, son propre style ecclésial qui ne soulèvera pas de doute sur l’essence, le contenu et la source des inspirations des icônes.
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Enseigner l’iconographie c’est aussi un acte religieux ?
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Dans l’enseignement de l’iconographie, tout est religieux, mais nous préférons parler d’un acte « ecclésiale » ou « liturgique ». Notre école d’iconographie fonctionne au sein de l’archevêché. Elle a été créée avec la bénédiction du métropolite et la direction spirituelle d’un des prêtres de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky où elle à été placée. Je pense que la proximité de cette église exceptionnelle et de la vie liturgique continue qui se déroule entre ces murs est déjà un facteur important qui en grande partie détermine le caractère de cette établissement.
La journée à l’école d’iconographie commence par un court office composé des prières et des hymnes ainsi que la lecture de la Sainte Écriture. L’ambiance dans la salle de cours est très importante aussi. La présence des icônes, l’odeur de l’encens qui remplit la pièce, tout est là, pour nous rappeler que l’iconographie n’est pas une peinture comme les autres. Chaque table de travail est comme un autel, sur lequel se réalise un mystère de la Théophanie – manifestation de la gloire de Dieu dans le monde. Notre comportement pendant le travail est semblable à celui que nous avons dans nos églises.
L’apprentissage de la technique est inséparablement lié à un travail intérieur de chaque élève. Il faut dire que cela peut être un fardeau lourd à porter, surtout au début du chemin. Chaque année il y a des étudiants qui arrêtent au bout de quelques semaines. Il y a aussi ceux, qui à un moment donné sont déçus, pour ne pas dire brisés par la difficulté du travail. Ils ont beaucoup de mal de se retrouver dans ce monde de l’icône, mais il faut accepter cette lutte et passer par cette crise de reconstruction sa propre personnalité. L’art de l’icône, si elle est bien comprise, ne peut pas rester une forme de « loisir religieux », c’est en fait une manière de vivre, d’être et de penser qui nécessite des sacrifices.
J’observe souvent comment des étudiants changent au cours de la formation. Ce changement est visible non seulement sur le plan artistique, mais également sur le plan spirituel et personnel.
Malheureusement, l’apprentissage de l’icône devient plus en plus impersonnel et souvent se limite à la technique. La relation entre l’enseignant et l’élève est fondamentale dans l’apprentissage de l’icône. La transmission de l’expérience dans ce domaine est un acte très personnel et intime. Personnellement, je ne peux pas enseigner l’iconographie à quelqu’un que je ne connais pas assez et chez qui je ne trouve pas de flamme pour l’icône. Cette énergie me semble nécessaire car elle permet de nous rapprocher. L’enseignement et la transmission sont efficaces s’ils sont basés sur la confiance, la fidélité, l’amitié fraternelle, mais aussi quand on partage la même approche, la même « vision de l’icône ».
Évidement, j’essaye d’être pour mes élèves un meilleur exemple en tout mais je ne prétends pas être pour eux une autorité ou un guide spirituel. Ils fréquentent les paroisses et ont leur confesseur parmi les prêtres et les moines. C’est leur rôle de les guider. Néanmoins, je me rends compte de la responsabilité que j’aie dans cet établissement. Je suis également conscient, que ce n’est pas moi qui doit occuper la place centrale dans l’enseignement que j’assure, mais Celui qui nous représentons sur les icônes.
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Quelle est la place de la figure du Christ dans les icônes ?
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La place du Christ dans les icônes est centrale. Nous avons déjà parlé de l’image de la Sainte Face qui est à l’origine de toute représentation iconique. La raison de l’existence des saintes icônes et de leur vénération relève de la personne même de Jésus Christ. L’icône est la consonance de l’incarnation de Dieu qui a pris chair, qu’il a souffert, qu’il est ressuscité, qu’il est monté au ciel et siège à la droite du Père, en tant que Jésus Christ, véritablement Dieu et véritablement homme. Tout cet acte salvateur a ouvert la voie aux hommes, et avec eux à toute la Création, vers l’union avec Dieu. C’est de cette union que témoignent silencieusement les icônes. Dans les écrits des Pères de l’Église, nous pouvons lire une phrase qui revient régulièrement et qui peut être considérée comme la plus courte définition de ce qui est au sujet de l’icône. Cette phrase est la suivante : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu par la Grâce ». Nous pouvons dire que chaque icône nous montre l’homme et la création dans leur état de la « déification » (gr. théosis). Dans ce sens, toutes les icônes, aussi bien des saints que des représentations des scènes bibliques, sont « christocentriques », car elles nous renvoient à la personne du Christ et son œuvre du salut.
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Avez-vous une icône que vous aimez « écrire » ?
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Il y a une icône qui est pour moi très particulière et que malheureusement je ne peins pas très souvent. Il s’agit de l’icône de la sainte Face – image acheiropoïète. C’est probablement la composition la plus simple qui existe dans notre tradition, car le visage du Sauveur remplit quasiment toute la surface de la planche, mais elle est aussi, sans aucun doute, la plus difficile à réaliser. Lorsque vous réalisez une icône avec beaucoup de détails, vous commencez par les parties secondaires telles que le paysage, l’architecture, la tenue. Les visages font partie de la dernière étape d’un long processus, comme si c’était la finalisation de l’icône. Il en résulte que la relation qu’on a avec ce type d’images, se tisse petit à petit, l’immersion dans le sujet s’effectue pendant de longues semaines de travail. Avec l’icône de la Sainte Face c’est différent. Dès le premier trait jusqu’au dernier, nous sommes devant ce visage le plus mystérieux au monde, qui nous regarde. Ce constant face à face avec le Créateur n’est pas toujours facile. Il y a toujours un puissant sentiment de crainte et d’indignité qui nous accompagnent dans ce travail, mais aussi de l’immense miséricorde de Dieu et la joie du salut.
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Pour en savoir plus :
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L’école d’iconographie orthodoxe Saint-André-Roublev (12, rue Daru- Paris) : http://saint-andre-roublev.com/