Le 18 juin 1940, alors que le maréchal Pétain annonçait la veille qu’il proposait un armistice à Hitler, le général de Gaulle annonce qu’il ne faut pas renoncer au combat et demande à tous les Français qui veulent se battre de le rejoindre en Angleterre. Cet appel est notamment entendu par Alexis Le Gall. Devenu sous-officier, il se rend ensuite en Afrique de l’Ouest où il doit former des soldats camerounais du Bataillon de Marche n°5 à l’artillerie. Après le Tchad, le Soudan, la Palestine, la Syrie et le Liban, Alexis Le Gall combat les Italiens et les Allemands de l’Afrika Korps à El Alamein, en Libye puis en Tunisie. Arrivé tout juste dans la Baie de Naples, le Breton d’Audierne est témoin de l’éruption du Vésuve… Tant d’histoires vécues entre 1940 et 1945 qu’Alexis Le Gall a raconté dans ses passionnantes mémoires « Les clochards de la gloire ». 80ème anniversaire de l’Appel du 18-juin, nous rendons hommage à ce Français libre décédé à la toute fin de l’année 2019. Entretien.

 

 

 

Pour quelles raisons, un jeune séminariste et son frère ont décidé de quitter le pays en 1940 pour rejoindre la France libre ?

 

 

Parce que nous étions des patriotes à double titre. Depuis la Grande Guerre, il y avait en France un esprit patriote et en tant que scouts, nous avions fait le serment de servir Dieu, l’Eglise et la Patrie. Nous avons décidé de partir car un général français refusant la défaite faisait appel aux Français pour le rejoindre en Angleterre. Avec mon frère, Jacques, nous en avons discuté longuement avec nos parents et avons pris la bonne décision : partir le 19 juin. Même si nous vivions près du port d’Audierne, ce ne fut tout de même pas facile de trouver un bateau. Un seul a pu partir et ce n’était que pour aller à l’île de Sein, l’Ar Zenith [premier bateau civil à rejoindre la France libre]. A partir de là, nous sommes partis pour l’île d’Ouessant puis ce fut enfin la vraie traversée. A bord, nous étions tous des jeunes rebelles prêts à rejoindre de Gaulle en Angleterre.

 

 

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Ces 4 ans en tant que Français libre ont été un long périple. Est-ce que ce fut également une découverte du vaste monde ?

 

 

 

C’était une époque où on ne voyageait pas du tout. La moitié des gosses qui sont arrivés avec moi en Angleterre n’étaient jamais montés dans un train alors qu’ils en voyaient circuler tous les jours. Un de mes copains avait eu l’habitude d’aller à la gare pour voir les locomotives partir. Le premier train où il est monté dedans était celui que nous avons pris à Plymouth pour nous rendre à Londres.

Nous ne savions pas où nous allions et qu’est-ce qui allait se passer. En Angleterre, les 3/4 des Français libres étaient Bretons. Une partie venait de Saint-Jean de Luz en profitant de l’évacuation de soldats polonais. Mais les premiers de la France libre c’étaient surtout des londresBretons (!).

Le 6 juillet, le général de Gaulle nous a rassemblés à l’Olympia Hall de Londres pour nous dire que nous devions continuer le combat à ses côtés et que la guerre allait être gagnée. Un homme derrière moi a alors dit: « Soit c’est un fou, soit c’est un génie! ». Je pensais que c’était la seconde option… Nous nous sommes engagés dans la France libre comme s’il s’agissait d’une religion. C’était comme une croisade et chaque Français libre a gardé cette cause et cette fraternité en lui toute sa vie.

 

 

Vous étiez des jeunes très différents. Y’avait-il des tensions entre vous ?

 

 

Il n’y avait aucune tension. Un vicomte pouvait fréquenter un voyou, les Juifs étaient avec les non-Juifs, les métropolitains fraternisaient avec ceux des colonies. Les Camerounais que nous avions sous notre commandement nous traitaient comme si nous étions leurs pères. Chaque tirailleur était attaché à son chef. L’obéissance était totale mais si j’allais commandé d’autres tirailleurs dans une autre section, cela ne pouvait pas fonctionner. Mais nous avions tous quelque chose en commun : nous défendions un idéal de liberté et nous étions prêts à mourir pour la France libre.

 

 

Y’avait-il du mépris, de la concurrence voire de la jalousie entre ceux qui ont rejoint plus tard la France libre comme les Giraudistes [partisans du général Henri Giraud] parce que vous étiez les Français libres de 1940 ?

 

 

Giraud n’appréciait pas que certains de ses troupes désertaient pour rejoindre de Gaulle car aucun Gaulliste n’avait l’idée de le rejoindre… Le général Saint-Hillier m’a raconté qu’un ggjour alors qu’il était en Algérie, il a pu rencontrer un de ses amis afin d’avoir des nouvelles de sa famille. L’ami en question était colonel et commandait une unité pro-Giraud. Au moment du déjeuner, les deux sont allés au mess hall. Deux officiers sous-mariniers ont alors dit au colonel que son ami était gaulliste. Par conséquent, « le rebelle » ne pouvait manger avec eux. Le colonel a alors insisté pour que le « rebelle » puisse rester à table car c’était avant tout son ami.

Les Américains avaient décidé de soutenir Giraud à notre détriment. La situation était si tendue que le général de Gaulle a tenu à ce que notre unité protège la villa où il vivait à Alger. Même lorsque nous étions en Italie, les Giraudistes faisaient en sorte de ne pas nous croiser.

 

 

Les relations avec les Américains furent également tendues. Comment étaient-ils perçus par les Français libres ?

 

 

Même s’ils ne nous faisaient pas de cadeaux, nous supportions les Britanniques. Par contre, avec les Américains c’était impossible. Pour eux, nous étions des ennemis. Nous n’avions rien contre eux mais ils nous prenaient pour des imbéciles et se sentaient supérieurs à nous. Même leur patron, le président Roosevelt, préférait Pétain à de Gaulle.

En Tunisie, lors du rassemblement le matin de la compagnie, le chef a lancé un défi aux hommes : ramener une jeep de Tunis le lendemain. Ceux qui réussiraient l’exploit auront droit à deux jours de permission en plus. En somme, il fallait voler une jeep aux Américains. La mission était très dangereuse car les GI’s n’hésitaient pas à nous tirer dessus. Même à Naples, il y avait des batailles rangées entre Américains et Français. Leur police militaire n’hésitait pas à nous appréhender dans les rues. Les Napolitains leur étaient favorables ce qui n’aidait en rien à la situation.

De plus, nous avons toujours porté le casque anglais et jamais l’américain. De toute façon, il était plus facile à porter.

Nous avons encore eu des soucis avec les Américains en Alsace. Au début de l’année 1945, suite à la bataille des Ardennes, les Allemands ont lancé une nouvelle offensive sur nous. Les Américains ont alors décidé de retirer nos troupes du front. De Gaulle a protesté et a tout fait pour nous restions sur nos positions. Si les Allemands revenaient, ils se seraient vengés sur la population alsacienne.

 

 

Avec le débarquement en Provence, le 15 août 1944, c’est le retour en France après 4 années d’absence. Comment fut perçu ce moment par les métropolitains mais aussi par ceux des colonies qui n’avaient jamais été sur le sol français ?

 

 

Oui, certains Français issus des colonies n’étaient jamais venus. D’autres comme les Juifs avaient eu leur nationalité déchue par les politiques de Pétain. Beaucoup ont très mal vécuProvence cette décision et ont finalement rejoint nos rangs. Pour nous, le combat continuait. Lorsque nous sommes arrivés dans le premier village français, nous n’avons rencontré personne. Dans le second, la population nous a totalement ignorés. Personne n’est venu à notre rencontre, personne nous a proposé de boire quelque chose. Même en Italie, l’accueil avait été meilleur…

Il faisait une chaleur terrible sur la Côte d’Azur. Tous les bois étaient brûlés par le soleil. Nous marchions avec le barda sur le dos, notre armement et les caisses de munitions. De Cogolin à Hyères, j’ai fait le plus grand exploit de ma vie : marcher pendant 50 kilomètres avec tout mon matériel sur le dos.

 

 

Avez-vous été témoin du « blanchiment » des troupes française en Octobre 1944 ?

 

 

Les noirs ont en effet été relevés et ont dû nous quitter précipitamment. Le problème a été de les remplacer avec ceux qui venaient de s’engager, les métropolitains. Avec ces jeunes, nous avons été au début un peu perdus. Il y avait le blagueur et le pleureur mais au final ils ont été fantastiques. Tous les anciens leur ont finalement été reconnaissants.

 

 

Votre histoire comporte également des moments de rires et de plaisanteries. Était-ce un moyen d’échapper au stress et à la peur ?

 

 

Nous étions une bande de jeunes qui aimaient être ensemble. Même après la guerre, l’amitié ne s’est pas brisée et nous avons continué à nous revoir. J’organisais des rencontres chez moi tous les étés. Et même si au fil des années, nous avons été de moins en moins nombreux, ce fut toujours un grand moment de se revoir.

 

 

Les combats dans les Vosges et en Alsace furent éprouvants durant l’hiver 1944-1945. Il y avait en plus un nouvel ennemi : le froid.

 

 

Nous avons en effet beaucoup souffert. Est-ce que vous pouvez réaliser ce que c’est de vivre 24 heures sur 24 dans un froid glacial avec pour seul équipement une tenue en toile, la même que nous portions lorsque nous avons débarqué en Provence ? Les chaussures DFLaméricaines étaient agréables pour marcher mais n’étaient pas imperméables avec la neige. Notre moral restait bon car nous savions que nous allions gagner tôt ou tard la guerre mais le froid était vraiment épouvantable. Nous dormions dans le froid et lors de nos repas, nous constations que nos conserves américaines étaient juste gelées. Nous avons connu des situations plus difficiles que les poilus de la Première Guerre mondiale. Leurs tranchées avaient pu être creusées, ils avaient des repas chauds,… Nous n’avions rien de tout cela.

 

 

Vous avez finalement été blessé gravement à l’épaule en Alsace. Vous avez dû quitter le bataillon de marche n°5 après tant d’années. Était-ce difficile de finir la guerre ainsi ?

 

 

Nous avons eu beaucoup de dégâts ce jour-là. Deux des hommes ont été tués et un caporal a failli mourir. Il ne restait qu’un seul jeune de 18 ans avec sa mitrailleuse. Blessé, j’ai dû le laisser seul. Je l’ai revu plus tard et m’a raconté qu’il avait été effrayé de se retrouver seul assis sur ses deux copains morts et glacés. Ils lui ont servi de siège pendant le combat.

Oui je n’ai pas pu aller en Allemagne mais je ne l’ai pas mal vécu comparé aux autres de la 1ère Division de la France libre qui ont finalement été affectés dans les Alpes. De Gaulle a fait une erreur de céder à deux officiers légionnaires qui ne voulaient plus aux côtés du général de Lattre. Alors qu’il était à l’Opéra de Paris, de Gaulle a passé le papier au général Juin qui lui avait des soucis avec la 4ème Division de Montagne marocaine. Cette unité refusait d’aller combattre dans les Alpes et demandait à aller en Allemagne. La 1ère DFL est alors allé la relever.

 

 

Vous terminez vos mémoires par cette phrase : « Depuis près de 5 ans, j’ai vécu l’aventure, le risque, la mort. Une autre aventure commence : celle de la vie. » Avez-vous pu profiter de la paix ?

 

 

Peu de Français libres ont continué une carrière dans l’armée. De Gaulle a donné des avantages aux prisonniers dans les administrations françaises mais pas aux Français libres. Le général aurait dit que la guerre étant terminée, il fallait à présent nous quitter. Les Français libres devaient être fiers du devoir accompli mais la France ne leur devait rien. Ils n’avaient fait que leur devoir.

Il y a eu des décisions lamentables pendant le déclassement. Un de mes amis a été invité par la famille d’un soldat tué. Elle lui a proposé de venir vivre à ses côtés. Il s’agissait de gens riches qui auraient pu tout à fait l’entretenir. Mon ami a compris qu’il devait remplacer le fils défunt. Au bout d’un mois et demi, le jeune homme a décidé de partir. La situation l’avait rendu mal à l’aise. Il a finalement refait sa vie avec une chanteuse.

En ce qui me concerne, j’ai vécu l’aventure africaine après avoir tenté ma chance en Bretagne et à Paris. De 1945 à 1958, j’ai travaillé au Cameroun dans l’administration.Ce fut ‘abord au bas de l’échelle. Mais les magouilles ont continué : au départ, les postes étaient réservés aux Français libres. Puis il a été accepté que les résistants soient eux aussi considérés comme Français libres. Puis au fil du temps, les copains ont été acceptés, même ceux qui n’avaient pas combattu. J’ai trouvé cela scandaleux alors je suis parti.

 

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Pour en savoir plus :

 

« Les clochards de la gloire- Parcours d’un Français libre » d’Alexis Le Gall – Editions Charles Hérissey 2017 http://www.charles-herissey.fr/index.php/ouvrages-histoire/histoire/les-clochards-de-la-gloire

 

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