En lançant le 10 mai 1940 leur terrible offensive (la Westfeldzug) contre les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, les troupes allemandes mettent fin à plusieurs mois de « Drôle de guerre ».  Il ne leur faudra qu’à peine quelques jours pour enfin atteindre le territoire français. Concocté par Erich Von Manstein, le plan jaune est redoutable. Au bout de quelques semaines de combat, les Alliés sont battus et les Français signent avec Hitler l’armistice le 22 juin. Comment peut-on expliquer une telle victoire ? Comment les Allemands ont-ils pu avancer sur plus de territoires en 5 jours qu’en 4 ans durant la Grande Guerre ? Entretien avec Benoît Rondeau, historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale. 

 

 

Quelle est la situation militaire avant mai 1940 ?

 

 

La situation est déconcertante pour beaucoup car l’armée reste l’arme au pied (si ce n’est les corps francs et les quelques troupes dépêchées en Norvège). Sur le plan stratégique, les Allemands ont l’avantage de l’initiative : Les Alliés attendent les événements… Sur le plan opérationnel, le plan allemand est nettement plus prometteur que le nôtre (ne serait-ce que par le gaspillage de forces placées derrière la ligne Maginot alors que la décision est attendue en Belgique; une Belgique dont la neutralité pose de sérieux problèmes de coopération). Sur le plan tactique, la Wehrmacht peaufine son art de mener la guerre et elle a l’avantage d’être aguerrie par une première campagne : la Pologne.

 

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Comment les soldats allemands perçoivent leurs ennemis ?

 

 

Difficile de généraliser. Les généraux sont empreints de respect et pensent que la partie ne sera pas facile, tout en n’envisageant pas la défaite. Pour les autres, la crainte d’un ennemi qu’on sait plus fort doit se mêler au sentiment de supériorité engendré par le nazisme et par une confiance en soi qui fait défaut ailleurs (sans généraliser).

 

 

La mémoire collective a retenu que les armées alliées ont été impuissantes face aux troupes allemandes. La réalité est-elle finalement plus complexe ?

 

 

La mémoire collective s’appuie sur un constat bien réel : une défaite sans appel. Si les faits d’armes sont nombreux dans le camp allié, les succès ne sont qu’éphémères et ne permettent guère au mieux de retarder l’échéance que de quelques jours (je pense à la françaisblessélillebataille sur la Somme et l’Aisne)… Potentiellement, les forces alliées auraient pu être nettement plus dangereuses avec des réserves dignes de ce nom, une meilleure articulation entre les 2ème et 9ème armées (sans mentionner la piètre qualité et le faible nombre d’unités du secteur de Sedan) et, surtout, une prise en compte plus réaliste de la progression allemande à travers le Luxembourg et le sud-est de la Belgique. La Wehrmacht, si elle n’est pas exempte de limites (mais aussi de ratés), a fait montre d’une efficience indubitable. Ceci étant, nombre des officiers supérieurs allemands n’ont pu saisir l’importance de manœuvrer selon les principes qui seront appelés plus tard la Blitzkrieg. Sans le génie stratégique de Manstein, la volonté de Hitler qui s’impose et, après le 13 mai, l’élan tactique de généraux comme Rommel et Guderian, de même que la maîtrise du ciel par la Lutfwaffe, la situation aurait été moins dramatique pour les Alliés. Mais pour combien de temps ? Même en Belgique où l’offensive allemande est secondaire, la Wehrmacht marque des points. Partout, en mai et en juin, même si elle subit parfois (et souvent) des pertes sensibles, elle l’emporte…

 

 

Marquées par les exactions allemandes de 1914, les populations civiles fuient et envahissent les routes. Ont-elles entravés les manœuvres des troupes alliées ?

 

 

L’Exode n’a certes pas facilité les mouvements de troupes, mais ce n’est aucunefatalpicardment un facteur déterminant de l’échec des contre-attaques. L’ineptie stratégique du Haut-commandement français (et britannique) porte devant l’Histoire une toute autre responsabilité, ineptie qui ne se limite pas aux ordres donnés, mais aussi à l’absence de réserves suffisantes, et d’un matériel et d’une organisation divisionnaire adaptés.

 

 

Les crimes allemands de 1940 notamment le mitraillage des civils par la Luftwaffe ou encore la chasse aux tirailleurs sénégalais ont-ils suscité des émois ?

 

 

Quand ils sont connus, ces assassinats de prisonniers et les mitraillages ont suscité les réactions attendues : l’Allemand est bien « le barbare » dépeint par la propagande. Cependant, si des exactions contre les civils sont avérées (Voir le livre de Benoît Rondeau « Etre soldat de Hitler »– 2019) de même que les bombardements, les premiers contacts avec les civils sont plutôt rassurants pour ces derniers – à l’image de la fameuse affiche de propagande « Faites confiance au soldat allemand ». La nuit de l’Occupation qui va bientôt recouvrir le pays a tôt fait de modifier cette vision idéalisée…

 

Faites confiance

 

 

Comment la décision de Lord Gort, Commandant-en-chef du BEF (British Expeditionary Force), de rapatrier ses troupes à Dunkerque a-t-elle été perçue par les états-majors belge et français ?

 

 

Les Belges quittent rapidement la partie, fin mai, mais avertissent leurs alliés, qui doivent donc se repositionner en conséquence, et cela ne fait que renforcer la volonté des Britanniques d’accélérer le rembarquement. L’état-major français, qui espérait (hors de tout bon sens) établir un camp retranché, une « poche », autour de Dunkerque, ressent l’attitude des Anglais comme un abandon égoïste. Les choses auraient pu être différentes si les événements avaient permis de vigoureuses contre-attaques de part et d’autre du corridor des Panzer. Les Britanniques n’ont pas été en mesure de lancer la moindre opération d’envergure sérieuse durant la campagne (Arras et Abbeville le prouvent). Si la défaite allemande n’était pas pour autant assurée, l’image renvoyée par l’action des armées française et britannique en ces heures douloureuses aurait été tout autre (les défenses magnifiques de Lille et de Dunkerque, et ailleurs comme à Stonne, n’y changent rien).

 

 

La bataille de Stonne, les combats de Saumur et les batailles des Alpes sont commémorés comme actes de résistance face aux troupes allemandes et italiennes. L’obstination française a-t-elle marqué les esprits ?

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Certains sacrifices comme celui des cadets de Saumur sont entrés dans la légende. La mise en avant de la victoire constitue une façon de montrer que notre armée savait se battre (une façon également de dénigrer les Italiens, mais quand on y réfléchit, ni nos Chasseurs IMG_4642alpins ni les Gebirgsjäger auraient été en mesure de faire mieux que les Alpini : quelques jours pour monter une offensive et attaquer sur un terrain particulièrement avantageux pour le défenseur…). La bataille de Stonne est un épisode remarquable pour notre armée, mais je serais curieux de savoir ce qui serait advenu si l’axe d’attaque principal de l’ennemi n’avait pas été orienté plein ouest à la mi-mai 1940… Ces combats (dont Stonne) marquent les esprits des combattants allemands, dont nombre de généraux qui respectent l’armée française, ce que confirme les combats acharnés de juin (mais aussi Lille et Hannut/Gembloux en mai). Ceci étant, l’armée française doit attendre les FFL (Forces Françaises Libres) à Bir Hacheim et le CEF (Corps Expéditionnaire Français) en Italie pour voir son blason se redorer.

 

 

Lorsque le 8 mai 1945 à Berlin, le maréchal Keitel vient signer la capitulation des troupes allemandes, il s’offusque en voyant l’ensemble des représentants alliés face à lui : « Quoi? Les Français aussi! ». Cette présence fut-elle perçue comme une revanche de 1940 ?

 

 

Oui la présence de de Lattre est une revanche pour une France humiliée en 1940. Il reste que sa part dans la victoire est mineure : Les Alliés l’auraient emporté de toute façon sans elle. Cela aurait été plus difficile (peut-être impossible?), à tout le moins plus coûteux en vies humaines sans les Britanniques. Quant aux Américains et aux Soviétiques, le tandem est indispensable à la victoire; les seconds ayant absolument besoin des Occidentaux pour la victoire (contrairement à ce que laisse entendre une certaine vulgate sans doute non sans arrière-pensées politiques).

 

 

Avec un nombre impressionnant de morts et de prisonniers de guerre envoyés en Allemagne, la campagne de mai-juin 1940 sera-t-elle toujours perçue comme un immense gâchis militaire ?

 

 

Mon grand-père comptait parmi ces soldats capturés en 1940. Parti plein d’ardeur patriotique en 1939, il a senti l’amertume de la défaite et de la captivité où le sentiment d’inutilité dans le cours des événements se double d’une forme de honte d’avoir été vaincu. Des centaines de milliers d’hommes auraient pu éviter la captivité. Je pense que les combattants de 1940 ont ressenti des choses similaires. L’armée française (et britannique qui n’a guère brillé non plus!) avait les moyens matériels d’offrir une résistance autrement plus efficace, ce qui aurait changé le cours de la guerre, et donc de l’Histoire. Les dirigeants français et les officiers supérieurs ont provoqué un désastre complet en ne repliant pas le maximum de troupes en Angleterre et en Afrique du Nord pour poursuivre la lutte. L’image de notre armée et de notre pays au cours de cette guerre serait tout autre, et Keitel aurait été moins surpris et méprisant à l’endroit de la délégation française le 8 mai 1945.

 

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