Le 2 août 1990, à 2 heures du matin, les troupes irakiennes envahissent le Koweït, petit État voisin, afin d’annexer ses richesses pétrolières. Unanimement condamnés par la Communauté internationale, les appétits de Saddam Hussein viennent de déclencher une crise majeure. De cette Guerre du Golfe, nos mémoires se souviennent avant tout du direct sur les chaînes de télévision avec ces images irréelles, vertes et tremblées des bombardements de la coalition menée par les Etats-Unis. Près de trente pays ont participé à ce conflit d’un nouvel ordre dont la France qui fut le deuxième pays européen avec le plus de soldats sur le théâtre des opérations. De septembre 1990 à mars 1991, fantassins, équipages de chars, marins, aviateurs, médecins, tous ont été mobilisés au sein de cette immense Division Daguet pour un seul et même but : le repli de l’armée irakienne hors du Koweït. Rencontre avec ces combattants français de la Guerre du Golfe.

 

 

Au départ du conflit, dans quel état d’esprit vous vous trouviez ?

 

 

Richard Stralka (2ème Régiment d’Infanterie de Marine) : Nous avons eu l’ordre de partir pour une durée indéterminée. Notre mission était de libérer un pays, le Koweït, occupé par un sanguinaire, Saddam Hussein. La raison nous animait.

 

Louis Audemard (2ème Escadron Régiment de Chars de Combat) : Nous avons reçu l’ordre de partir pour Mourmelon (Marne) afin de gonfler les rangs. Nous écoutions les médias durant l’été 1990 sans réellement être conscients de l’ampleur du conflit. C’est à la rentrée que les choses se sont accélérées et c’est seulement le jour du départ que nous avons compris que nous allions participer à une grande aventure. Depuis Mourmelon, nous sommes allés à Toulon et nous avons pris le bateau pour le Golfe.

 

Georges Waxin (2ème Régiment Étranger d’Infanterie) : J’étais moi-même dans un régiment professionnel. Nous étions habitués à tout type d’opérations. Nous avions eu l’expérience de la Centrafrique, du Liban et du Tchad. Et lorsqu’on nous a ordonné de partir pour l’Irak, nous n’avions qu’un seul souhait : en découdre.

 

canon

 

La guerre du Golfe est le premier conflit depuis la Seconde Guerre mondiale a avoir un aussi grand nombre de nations-combattantes. Aviez-vous conscience du caractère international ?

 

 

Col. Jacques Allavena (1er Escadron du 4ème Régiment de Dragons) : L’armée française n’avait pas pour habitude de travailler en international ni même en interarmées. Pour la première fois, nous avons manœuvré en tant qu’Armée française : l’armée de terrecover a été transportée par la marine nationale et soutenue par l’armée de l’air. Ce fonctionnement n’était pas courant pour nous. Artilleurs, chars de combat, soldats d’infanterie, nous avons travaillé ensemble et avons ensuite découvert la dimension interarmées à notre arrivée sur le terrain. Mon régiment de chars était par exemple appuyé par des lance-roquettes multiples américains. Nous avons appris à connaître nos alliés et avions une solide connaissance de l’ennemi qui était en face de nous. Tout cela se place dans un grand mouvement avec des moments d’attente qui n’étaient pas angoissants. Un scud (missile irakien) avait un temps de vol de 20 minutes et donc au bout de ce laps de temps, nous savions qu’il n’était plus dans le ciel.

 

 

Quelles étaient vos principales occupations dans le désert de l’Arabie Saoudite ?

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Col. Jacques Allavena :  Nous devions manœuvrer sans moyen radio et apprendre à connaître tous afin de réussir notre opération. Il y avait beaucoup d’exercices donc nous n’avions pas le temps de nous ennuyer. Nous avons même eu l’occasion de visiter les hôpitaux de campagne et voir comment fonctionnait le système lorsqu’un soldat était blessé et rapatrié. Pour la première fois de ma vie, j’ai vu un hôpital modulaire gonflable dans le désert. Le service hospitalier des armées était au plus près de nous. Nous n’avions pas prévu de toute façon de reculer… Un de mes soldats a été blessé lors d’une manœuvre dans sa tourelle. Au bout de 36 heures, il était hospitalisé à Paris. La Guerre du Golfe est clairement la première guerre moderne de l’armée française et c’est elle qui a servi d’exemple à structurer, à dimensionner et organiser une armée. En 30 ans, la différence est gigantesque.

 

Georges Waxin : Les repas étaient compliqués car l’armée française venait d’obtenir de nouvelles rations de combat essentiellement basées sur le porc. En Arabie Saoudite, nous n’étions pas autorisés à les consommer ni à boire de l’alcool. Donc, nous avions comme repas de l’agneau avec des haricots, du mouton avec des flageolets et du poulet à l’indienne. C’est tout !

 

 

Vous avez été entraînés pour les attaques au gaz. La menace était-elle réelle ?

 

 

Richard Stralka : Elle était bien réelle puisque nous l’avons vécue. En cas « d’épandage », nous étions prêts à avoir l’attitude adéquate avec l’ensemble de la tenue de protection. Pour les régiments professionnels, c’était un entraînement quotidien.

 

 

masques

 

 

Louis Audemard : Tous les matins au campement, nous avions la tenue complète et le masque pendant 2-3 heures. Pour les unités de chars, nous avons eu 3 alertes gaz. Chacun dans ses véhicules, nous devions pressuriser afin de nous protéger. À chaque départ de scud, il fallait également s’équiper.

 

Jean-Stéphane Laudy (4ème Régiment de Dragons) : Un scud a explosé au-dessus de moi à 200 mètres de hauteur. C’était très impressionnant.

 

Pascal Donnez (2ème Régiment d’Infanterie de Marine) : Je me rappelle d’une soirée dans le désert où le DETALAC (Détecteur Automatique Local d’Agent Chimique) s’est mis en alerte. Nous avons dormi pendant 2 jours avec l’équipement complet.

 

 

Qu’avez-vous pensé des autres soldats alliés ?

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Richard Stralka : Nous étions en contact avec les Américains du Camp Freedom au Koweït. Nous échangions souvent nos rations. Ils nous prenaient pour des MacGyvers. Nous savions nous débrouiller avec peu et cela les impressionnait.

 

 

Que pensaient les Américains de vous ?

 

Col. Jacques Allavena : Au départ, les Américains avaient une fausse image des armées européennes. Pour la 1ère fois, ils rencontraient des soldats qui roulaient aussi vite qu’eux et aussi farfelus qu’eux.

 

Gaël Barbosa (Marine nationale) : Nous ouvrions la route avec le Protée aux destroyers américains avec des moyens moindres et des navires bien dépassés. Nous avons notamment ouvert des champs de mines.

 

 

La 45ème Division d’Infanterie irakienne était en face de vous. Qu’avez-vous pensé de l’ennemi ?

 

 

Louis Audemard : Avant notre arrivée à la frontière irakienne, le pilonnage de l’aviation américaine a été très efficace sur les chars irakiens qui nous attendaient. En tant que tireur à bord d’un char lourd, et malgré quelques coups de canon, j’ai surtout vu des soldats irakiens apeurés avec des drapeaux blancs pour se rendre.

 

Richard Stralka : Au Koweït, nous avons rapatrié le matériel laissé par les Irakiens et c’était du bon matériel. Il y avait notamment des AK-47 et des canons neufs. Il fallait faire attention car avant leur départ, les Irakiens avaient piégé leurs armes.

 

kalach

 

Pascal Donnez : Les flyers largués par les avions alliés leur disant d’abandonner le combat, les bombardements intensifs avant l’offensive terrestre, la faim ont démoralisé les Irakiens. Les moins motivés se sont rendus. Au sinon, le combat aurait été plus dur.

 

Georges Waxin : Nous avancions avec des mortiers de 120mm. Lorsqu’il y avait de la résistance, nous posions notre matériel et dès que c’était terminé, nous repartions en avant. Nous n’avions pas besoin de demander d’appui. Sur la route de l’aéroport d’As prisonniers2Salman, nous avons traversé un village. Deux jeunes soldats de 12 ans sont alors sortis, les kalachnikovs au-dessus de la tête. Un interprète a traduit leurs propos. Ils affirmaient que s’ils n’avaient pas obéi aux ordres, leurs parents étaient exécutés. Leur ration ne dépassait pas un quart de riz et un litre d’eau par jour.

 

Jean-Stéphane Laudy : En raison de notre avance rapide, nous avons été submergés de prisonniers. À 23 ans, j’ai été responsable de 90 d’entre eux. Certains avaient plus de 40 ans. Cela m’a beaucoup marqué car nous avons été préparés à combattre mais à aucun moment, j’ai pensé à la question des prisonniers. Cette mission était un travail particulier du soldat.

 

Col. Jacques Allavena : La Guerre du Golfe a permis de tirer un certain enseignement pour la professionnalisation de l’armée française. La question des prisonniers était par exemple non traitée.

La 45ème Division d’Infanterie irakienne était postée depuis 7 ans sur la même zone. Le peu de permissions de ces soldats irakiens ne leur permettaient pas d’améliorer leur moral. Par contre, ils avaient des armes et étaient persuadés de se battre pour la bonne cause. Nos interprètes nous le confirmaient durant l’interrogatoire des prisonniers. Lors de nos passages en char, les Irakiens n’hésitaient pas à tirer des rafales de kalachnikovs sur nos véhicules du 1er escadron avant de se rendre. Nous avons certes détruit la machine decombat guerre de Saddam Hussein mais aucun véhicule de liaison n’a été touché. Les officiers irakiens avaient déjà pris la fuite mais la 45ème Division était pourtant prête pour le combat. Nous avons pu observer qu’elle avait été formée « à la soviétique » pour se défendre. Les Irakiens avaient installé des anti-missiles devant leurs positions mais nous n’avons pas foncé sur eux. Notre état-major nous a dit d’arriver en caponnière- sur les côtés. Et lorsque nous avons commencé à leur tirer dessus avec nos canons, les Irakiens se sont dirigés vers le 2ème RIMA sachant que nos soldats n’avaient pas de chars.

Un autre aspect intervenant : Lorsque les Irakiens ont aperçu nos chars, ils ont été persuadés qu’il s’agissait de véhicules qatari qui venaient les soutenir- nous avions les mêmes véhicules c’est-à-dire des chars de combat AMX-30. Il ne fallait pas sous-estimer la 45ème Division et je tiens à rappeler qu’au Journal de 20H de l’époque, il était dit que l’armée irakienne était la 3ème armée du monde. Par conséquent, nous nous attendions à avoir beaucoup de victimes dans nos rangs et qu’il y ait des soldats ramenés en France dans des sacs plastiques.

 

Jean-Louis Jégou (2ème Régiment d’Infanterie de Marine) : Il y avait en effet 100 000 sacs pour rapatrier les corps de soldats et autant de décorations.

 

 

Avez-vous été témoins du chaos des bombardements alliés sur votre chemin notamment sur la Route Texas ?

 

 

Col. Jacques Allavena : Les Américains la construisaient pendant notre avancée et ont réussi à nous suivre (rires).

 

Georges Waxin : J’ai circulé sur la route de Bassorah à partir de Koweït City, j’ai vu en effet une certaine désolation.

 

Pascal Donnez : Nous pouvions voir les cercles des avions d’attaque A10 et Apaches dans le ciel avant qu’ils se dirigent vers l’Irak. Le bruit était également impressionnant.

 

 

Lors de leur retraite du Koweït, les Irakiens ont détruit les puits de pétrole. Avez-vous été témoins de ces catastrophes ?

 

 

Gérard Courroy (2ème Régiment d’Infanterie de Marine) : Il faisait nuit même quand il faisait jour…

 

Richard Stralka : Ce que nous respirions c’était l’équivalent de trois paquets de cigarettes par jour.

 

Gérard Courroy : J’étais également basé au Koweït à l’école anglaise. Ma femme me disait que sur le courrier qu’elle recevait il y avait plein de points noirs; c’était les taches de pétrole qui tombaient du ciel.

 

puits

 

Vous attendiez-vous à ce que le conflit se termine si vite ?

 

 

Col. Jacques Allavena : Nous étions en pleine offensive. La reconnaissance avait été jusqu’aux portes de Bagdad afin de préparer le terrain pour nous. Nous venions de remettre du carburant dans nos véhicules et de recharger nos armes. Il y avait eu auparavant certes des moments d’euphorie comme lorsque vous tirez la première fois mais nous nous attendions à avancer davantage. Et lorsque nous avons reçu l’ordre d’arrêter et de rentrer, j’ai vu des chefs de char dans leur tourelle frustrés et disant : « Je n’ai encore rien tiré… ».

 

Georges Waxin : J’ai pris une photo d’un panneau indiquant Bagdad 150 kilomètres. Nous étions prêts à y aller.

 

Jean-Stéphane Laudy : L’armée irakienne était loin d’être battue et était même à portée de canon mais on nous disait toujours à la radio : « Halte au feu! ».

 

Richard Stralka : Au Koweït, il y avait une unité qui avait pour mission de protéger les populations kurdes. Ils partaient avec des valises pleines de billets…

 

soldats daguet

 

 

Avez-vous eu des contacts avec les populations ?

 

 

Richard Stralka : Les Koweïtiens nous disaient : « Now Koweït is free you must go home! » (Le Koweït est maintenant libre vous devez rentrés chez vous!).

 

Gaël Barbosa : J’étais à bord d’un navire-hôpital et comme nous avions un IRM et un scanner, nous étions en contact avec un hôpital civil koweïtien.

 

 

Comment avez-vous vécu votre retour en France ?

 

 

Pascal Donnez : Beaucoup de régiments sont en effet rentrés chez eux. Le 2ème RIMA étant le dernier à partir, nous n’avions pas encore atteint le Canal de Suez que nous avons dû faire demi-tour. Nous avons eu l’ordre de partir pour Djibouti pour l’Opération Godoria. Nous sommes finalement rentrés en France le 26 juin 1991. Au début de l’année 1992, notre régiment s’est ensuite préparé pour une mission de 6 mois à Krajina en ex-Yougoslavie. Nous sommes devenus casques bleus.

 

 

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez défilé sur les Champs-Elysées le 14 Juillet 1991 ?

 

 

Jean-Stéphane Laudy : Nous avons eu l’impression que la France aimait son armée et que nous pouvions être très fiers du devoir accompli. Nous descendions un jour avec nos chars un chemin caillouteux et escarpé devant notre chef de char, le colonel aujourd’hui en retraite Jean-Baptiste de Fontenilles. Il nous a ensuite lancé cette parole : « Digne d’une marche de la 2ème DB ».

 

Christophe Louvet : C’était mon deuxième défilé sur les Champs-Elysées. Ce qui m’a défilésurpris c’était cette ferveur nationale que nous n’avions pas l’habitude de voir. Avec nos treillis « Terre de sable », partout où nous passions nous étions acclamés et invités. Les Français étaient vraiment reconnaissants. Depuis, je n’ai pas retrouvé une telle ferveur.

 

Col. Jacques Allavena : Avec la Guerre du Golfe, les Français étaient avec nous au combat. Chaque français connaissait un soldat engagé. La Poste envoyait gratuitement les colis aux soldats du Golfe. Pour la première fois, les instituteurs demandaient à leurs élèves de nous écrire des lettres. Pendant la phase d’attente, chacun d’entre nous voulait répondre à ce courrier. Il y a eu également des marraines de guerre et ce n’était pas que des vieilles dames…

Je suis originaire d’un petit village de 8 000 habitants de l’arrière-pays niçois. Les commerçants se sont regroupés pour envoyer des macarons et des sacs d’olives pour mon propre escadron. À mon retour, j’ai été fait citoyen d’honneur de mon village le 15 août.

Si la France aimait autant son armée c’est que la cause devait être juste. Pourquoi a-t-on perdu ce lien ?

 

Pascal Donnez : Des entreprises nous envoyaient également des containers entiers de vivres, de savons,… Les écoles nous envoyaient des dessins et des mots gentils. Il y a eu en effet les marraines de guerre.

 

Gaël Barbosa : J’ai rencontré ma marraine de guerre il y a plus d’un mois.

 

 

Le 21 mars 2003, les Etats-Unis déclenchent une seconde guerre du Golfe avec l’intervention en Irak. Qu’avez-vous ressenti suite à cette annonce ?

 

 

Richard Stralka : Notre mission en 1991 était de virer Saddam Hussein du Koweït. Avec l’intervention américaine en 2003, nous n’avons pas vu l’utilité de déclencher une nouvelle guerre.

 

Col. Jacques Allavena : Cependant, nous savions que les obus des Irakiens étaient chimiques. Heureusement que lorsque nous tirions sur leurs véhicules, nous n’avons pas fait exploser de telles armes.

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Que dire de la reconnaissance de la Nation pour les soldats engagés dans le Golfe ?

 

 

Col. Jacques Allavena : Nous pensons que les Français ont la mémoire courte. Notre association a été créée pour nous puissions rentrer dans l’Histoire. Nous sommes passés d’une armée d’appelés à une armée de professionnels. L’armée française d’aujourd’hui est née avec l’Opération Daguet. Si de nos jours, elle est forte et prête aux différentes opérations militaires dans le monde c’est grâce à nos actions en 1991. Ne l’oublions pas.

 

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Pour en savoir plus :

 

La page Facebook de l’Association des Combattants de la Guerre du Golfe :

https://www.facebook.com/groups/803773029757757/

Adresse postale de l’association :

Association des Combattants de la Guerre du Golfe

11 rue de la fontaine

55120 LAVOYE

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