« Il n’y a pas d’amour. Il n’y a que des preuves d’amour » écrit Gaston Leroux dans son célèbre roman « Le mystère de la chambre jaune » en 1907.  Écrivain génial et formidable narrateur de son époque, Gaston Leroux n’est jamais avare de bons mots, d’humour et tout simplement de mystères. Reporter ? romancier ? Qui est-il finalement ?

Entretien avec Dominique Kalifa, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de la littérature du XIXème et du début du XXème siècle. 

 

 

 

Quelle est la plus grande originalité dans les œuvres de Gaston Leroux ?

 

 

Les italiques. Leroux est un écrivain qui manie parfaitement les ressorts de la langue, et les LEROUXitaliques dont il parsème certaines phrases sont des signes forts dont la portée surgit peu à peu dans le texte. Son inspiration est également très singulière. Ancien reporter, il maîtrise tous les codes de l’écriture journalistique et réinvestit dans ses romans bien des ficelles de récit de presse. C’est un maître des effets, parfois poétiques, parfois déroutants, en tout cas sans rapport avec les autres romanciers « populaires » du temps. Son registre peut se faire très moderne, voire avant-gardiste. Il a parfaitement perçu ce qu’était la littérature, à savoir l’exercice d’un certain nombre de pratiques d’écriture.

 

 

Le personnage de Rouletabille, journaliste, est-il un anti-policier ?

 

 

C’est un rival en effet. Au début du XXème siècle, de nombreux reporters ont l’ambition d’incarner une forme de légitimité démocratique, capable de révéler la vérité à l' »Opinion ». Leur priorité est de mener des « enquêtes » journalistiques propres à rivaliser et finalement à surpasser la police. Rouletabille incarne cette utopie. Il est jeune, dynamique, rapide. Il symbolise cette modernité face à la routine ou aux pratiques grossières, obtuses, dont font preuve la plupart des policiers.

 

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Tout comme Rouletabille, Gaston Leroux est lui aussi un grand voyageur. Est-il un alter ego à son auteur ?

 

 

Cela est sûr. Leroux a recyclé une partie de ses reportages du Matin, notamment ceux réalisés au Maroc, en Russie et dans les Balkans, dans les épisodes du cycle des Rouletabille.

 

 

Le personnage de Chéri-bibi est-il avant tout une victime plutôt qu’un repris de justice ?

 

 

C’est surtout un personnage amusant. Gaston Leroux est un écrivain qui aime rire, et qui se plaît pour cela à toujours « en rajouter ». Chéri-bibi relève en large part du registre Grandchéri bibi-Guignol. C’est du « mirobolant », un terme qui rend assez bien compte d’une partie de l’inspiration et du style Leroux.

 

 

Y’a-t-il des références politiques dans les histoires de Gaston Leroux ?

 

 

Il y a des références lorsque Rouletabille part dans les Balkans, en Russie avec sa rencontre avec le Tsar. Mais Leroux a été formé à l’école de la presse à grand tirage. Si on veut être lu par le plus grand nombre, il ne faut pas d’avis ou d’opinions trop clivantes. Même en tant qu’écrivain, Leroux reste neutre pour ne pas froisser ses lecteurs.

 

 

L’influence littéraire de Gaston Leroux est-elle avant tout anglo-saxonne ?

 

 

Très difficile de répondre puisque Leroux est très français. Bien entendu, tout comme Maurice Leblanc, il a lu les histoires de Sherlock Holmes. Ancien du journal Le Matin, son « détectivisme » est certes très américain. Mais il conserve une touche très française. Maurice Leblanc va plus loin dans ce registre en faisant affronter son personnage Arsène Lupin à Herlock Sholmès, parodie assez ridicule du logicien britannique.

 

 

Le personnage d’Erik (nom scandinave) du « fantôme de l’Opéra » est-il l’illustration de la pensée romantique du XIXème siècle ? L’hideux pouvant cacher une certaine beauté d’âme…

 

 

Qu’est-ce que le romantisme au début du XXème siècle ? La Belle époque est-elle encore romantique ? Ce courant a influé toutes les époques même la nôtre. Il y a dans « Le fantôme de l’Opéra » une fascination pour le mystère, pour le surnaturel et une certaine beauté. Mais je n’en ferais pas une figure exclusivement romantique.

 

 

erik

 

 

Le fantôme est-il finalement le père de Christine ou un amoureux ?

 

Il faut garder le mystère. Je veux bien m’aventurer dans les enquêtes de Rouletabille, mais avec « Le fantôme de l’Opéra » c’est trop risqué (!).

 

 

Peut-on dire que « Le fantôme de l’Opéra » est plus un opéra qu’un roman ?

 

Leroux a été capable d’écrire un roman très complexe. C’est un véritable écrivain qui avait conscience que l’acte de l’écriture pouvait créer un univers incroyable.

 

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Pour en savoir plus :

« La véritable histoire de la Belle époque » de Dominique Kalifa – Fayard histoire 2017 https://www.amazon.fr/v%C3%A9ritable-histoire-Belle-%C3%89poque/dp/2213655294/ref=sr_1_4?qid=1581591214&refinements=p_27%3ADominique+Kalifa&s=books&sr=1-4-catcorr

« L’Encre et le sang : Récits de crimes et société à la Belle époque » de Dominique Kalifa – Nouvelles études historiques 1995 https://www.amazon.fr/Lencre-sang-R%C3%A9cits-crimes-soci%C3%A9t%C3%A9/dp/2213595135/ref=sr_1_1?qid=1581591214&refinements=p_27%3ADominique+Kalifa&s=books&sr=1-1

 

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