Sur l’océan avec « Golden City » ou sur l’île-rocher de « Cézembre » au large de Saint-Malo pilonnée par l’armée américaine durant l’été 1944, Nicolas Malfin dessine une jeunesse emportée par les événements de science-fiction pour l’un, de la Seconde Guerre mondiale pour l’autre. La mer restant toujours la toile de fond. Entretien.

 

Comment trouvez-vous l’inspiration pour votre dessin ?

 

Je regarde autour de moi. J’observe lorsque que je recherche les visages que je croise et qui correspondent aux fonctions de mes personnages de mon futur album. Je suis en fait à la recherche d’archétypes. Tout ce qui m’entoure m’intéresse.

À une époque, je m’inspirais du cinéma par exemple. On s’inspire souvent des personnes qHellboyue l’on apprécie.  

Les rôles de méchants sont très intéressants à travailler surtout lorsque les héros sont trop lisses. Ces personnages, appelés « les ombres », doivent être très marqués.

Je m’inspire également de la bande dessinée. Un visage ou un regard vont m’inspirer même si le personnage sera au final assez différent.  Un auteur comme Mignola avec ses clairs obscurs et son style simple m’inspire beaucoup. Graphiquement, il y a aussi Mathieu Lauffray ou Giraud.

Entre ce que je vois et ces maîtres, je puise mon inspiration dans les livres de photo et de voyage. Parfois, pour de la science-fiction, je m’inspire des cartes postales du début du XXème siècle. Le cadrage ou l’architecture ancienne peuvent faire penser à une certaine vision du futur.

 

 

Qu’est-ce qui vous plaît chez Miyazaki ?

 

 

La douceur et la simplicité chez les personnages. Le premier dessin animé de Miyazaki que j’ai vu était « Le château dans le ciel ». J’ai également adoré « Mon voisin Totoro », film très tendre ; « Princesse Monoké » est par contre obscur.  « Le voyage de Chihiro » est également formidable. Toutes les formes de poésie  de Miyazaki me plaisent beaucoup.

 


Qu’est-ce qui vous inspire le plus à Saint-Malo ?

 

Durant mon enfance, j’y allais pendant les vacances. Par rapport à mon quotidien, c’était une ville atypique entouré de murailles. Les remparts avaient pour fonction de protéger de la ville à la fois de la houle mais aussi des invasions. J’avais l’impression qu’à chaque coin de rue j’allais rencontrer un corsaire. C’est une ville où la pierre respire l’Histoire.

Enfant, j’avais l’impression que je connaissais parfaitement Saint-Malo et qu’elle n’avait pas changé depuis des siècles. Mais lorsque j’ai commencé à travailler sur les albums « Cézembre », je me suis rendu compte que je ne connaissais pas le Saint-Malo d’avant les bombardements de 1944.

 

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Vos personnages sont relativement jeunes. Que représente la jeunesse dans vos albums ?

 

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L’innocence. C’est-à-dire une âme pure et simple et qui par l’action des autres va être mise à mal voire détruite. Nous avons tous un jour à perdre notre innocence. Durant la Seconde Guerre mondiale, avec 4 années d’occupation, des jeunes qui auparavant étaient protégés (comme Françoise avec ses parents) ont eu ce goût pour agir. J’ai eu envie de raconter ce moment. Saint-Malo a eu une résistance d’action jusqu’en 1942. Il s’agissait certes d’une ville fermée où les Allemands craignaient les traquenards mais il était très difficile de s’en échapper. Les portes étaient fermées la nuit. Pendant la libération, seules les portes Saint Vincent étaient ouvertes. Les autres étaient grillagées et bétonnées.  La résistance va devenir alors une résistance de renseignements. Tout cela va être fait par des petites mains : des femmes et des enfants. Ils vont à bicyclette repérer les véhicules allemands, la couleur des drapeaux sur l’avant des voitures, le moindre signe si un officier supérieur venait à Saint-Malo. Les infos étaient ensuite transmises aux alliés.

Mes albums sont des hommages à ces petites mains.

 

 

La mer fait partie intégralement de votre univers visuel. Était-ce un défi d’explorer tant les fonds marins que la surface ?

 

 

Il y a une certaine plénitude avec la mer à la dessiner dans les états les plus calmes mais aussi dans ses états les plus torturés. À la fois dans « Golden City » et dans « Cézembre », la mer est un personnage à part entière.

 

 

Harrison Banks de « Golden City » est-il un James Bond ?

 

 

Sur la partie dessin, lorsque j’ai réalisé l’archétype d’Harrison Banks, il y avait effectivement ce côté espion belle gueule et qui sait se battre. Les films James Bond ont selon moi le cocktail le plus parfait : l’action et les jolies femmes. J’ai une mise en scène très cinématographique avec des plans ensembles sur une seule et même page avec une lecture d’action champ contre champ. Comme au cinéma.

L’intrigue de « Golden City » traite également de sujets modernes comme les différences sociales entre les riches et les pauvres ou les catastrophes environnementales avec la raréfaction des terres.

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L’île de Cézembre dévasté par les bombes au phosphore puis au napalm par les troupes américaines en août-septembre 1944. Que représente pour vous ce bout de terre maudit ?

 

 

En effet, l’île de Cézembre est la première zone officiellement bombardée au napalm au monde. Il y a eu des précédents pendant l’Opération Cobra afin de briser le moral des Allemands. C’est en effet une île maudite puisque Cézembre, en tant que terre isolée, avait été utilisée auparavant afin d’entrepôt de bateaux en quarantaine. Ce fut également une sentinelle de Saint-Malo où des canons ont été installés afin de protéger la ville. Pendant la Première Guerre mondiale, l’île a accueilli des soldats belges. Cézembre a également eu sur son sol des forçats et des moines. Elle fut ensuite la cible de l’armée américaine qui avait pour seul but de la faire disparaître. Avec ses canons tirant à 360°, Cézembre était une menace pour les Américains sur terre et pouvait empêcher la navigation des cargos entre Saint-Malo et l’île de Jersey. L’armée américaine a également utilisé les bombardements aériens classiques afin de faire taire Cézembre. L’attaque du 31 août et du 1er septembre 1944 fut la plus dévastatrice par le navire HMS Malaya. Les obus tirés avaient une force de frappe considérable. Même si je n’ai pas utilisé les témoignages de cette attaque dans mon histoire, je me souviens d’un récit de soldats allemands racontant que les portes d’un bunker avaient été soufflées par les explosions. Les Allemands avaient alors installé dans le couloir un système de treuil afin de fermer les portes à chaque nouvelle explosion. Littéralement asphyxiés, ils portaient en permanence des masques à gaz.

Les bombardements ont eu raison du moral de beaucoup de soldats. Il y a eu même des exécutions d’Italiens qui depuis l’armistice de 1943 ne devaient plus combattre. Les Allemands les auraient tués pour stopper l’épidémie de révolte sur l’île. Cézembre a réellement vécu l’enfer sur Terre.

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L’histoire vient-elle avant le dessin ?

 

 

Pour « Cézembre », j’ai commencé à m’intéresser à la Bataille de Saint-Malo. La ville que je connaissais n’a que 50 ans d’existence. Il a fallu repenser et étudier minutieusement le Saint-Malo des années 40. La reconstruction n’a débuté qu’en 1947. La fin des travaux ne date que des années 70. 80% des constructions malouines sont récentes. Cezembre 2C’est ainsi que la ville de Saint-Malo est devenue un véritable personnage. Au lieu d’inscrire mon histoire dans une fiction au sein d’un événement historique, j’ai dessiné et conçu ce lieu de façon la plus précise possible. J’ai fait beaucoup de recherches sur le vieux Saint-Malo mais aussi sur l’occupation allemande notamment l’organisation des sentinelles et l’installation des canons.

Chaque personnage est à la fois acteur et témoin de la grande Histoire. Certains sont inspirés de vraies personnes comme ce nageur qui, un soir, a quitté le Fort national pour aller vers le sillon afin d’arrêter les Américains de bombarder le fort car il n’y avait plus que des civils à l’intérieur. C’est Ewan qui fait de même mais pour une autre mission : Retrouver Françoise.

Il était difficile de rester factuel sur les événements historiques. Les « on-dit » j’en ai fait des « on-dit ». Des témoins ont raconté qu’avec l’intensité du trafic maritime allemand autour de Cézembre, une base sous-marine était en cours de construction. Pour beaucoup, Cézembre était devenue une île creuse où les sous-marins passaient dans un tunnel sous l’eau pour remonter au sein de l’île. Lors de l’écriture des albums, j’ai été aidé par M. Pottier, récemment décédé et qui avait été conseiller municipal de Saint-Malo. Il connaissait très bien l’histoire de la Bataille de Saint-Malo. M. Pottier a retrouvé un rapport de la Kriegsmarine qui traitait d’une plateforme de carburant d’essence dont le but était de ravitailler les sous-marins allemands en kérosène. Le premier essai de cette plateforme a en effet été réalisé à Saint-Malo… Des pêcheurs ont sûrement été témoins de ces tests.

 

 

Quels sont vos projets ?

 

 

Je travaille sur la suite de « Golden city ». Pour un nouveau projet avec les éditions Dupuis, je suis dans la phase de lecture : je lis deux à trois fois le même livre. Je prends beaucoup d’informations pour incorporer mes personnages. Ce sera un récit historique pendant un conflit du XXème siècle.

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Pour en savoir plus :

La page Facebook de Nicolas Malfin : https://www.facebook.com/atelier.nicji

Le site de l’éditeur Dupuis : https://www.dupuis.com/catalogue/FR/c/vc/1/aire-libre.html?fbclid=IwAR1rFfb9SOQsmcYWAmC2Sep35MY8wLmCpndrpNfOUZd-QGp5jTrTWJ60niI

La page de « Cézembre » : https://www.dupuis.com/seriebd/cezembre/4073?fbclid=IwAR3SkMGdogeqlClQPo4CpXnkItHc6mFzJ9WRUcGLZctkY3GZ117MHRPiD9k

Lien vers un carnet de croquis de Cézembre tome 2 : http://blog.dupuis.com/exclu/cezembre-tome-2-carnet-de-croquis/?fbclid=IwAR1F8wAFnynm2KyzMUCIB0SZd7PdmE6jcwJDcpBHRd5eglK8i72Qm7EcnPA

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