« Cet homme ira loin car il croit tout ce qu’il dit » lance le député Mirabeau à propos de son confrère Maximilien Robespierre. Le chemin de ce dernier sera sinueux, parfois prodigieux mais se terminera par la case échafaud le 10 Thermidor An II (28 Juillet 1794). Depuis sa mort, Robespierre hante toujours les esprits tant sa figure passionne certains alors que pour d’autres, il incarne les « dérapages » de la révolution française dont la Terreur ou encore la guerre de Vendée. Les faits sont bien plus complexes et exigent une étude minutieuse afin de démêler les nombreux nœuds de la Révolution.

Jean-Clément Martin, professeur émérite à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, s’est penché sur Maximilien Robespierre et plus particulièrement sur ce qu’il symbolise. Entretien.

 

 

Avez-vous connu des difficultés à écrire sur l’Incorruptible ?

 

 

Qui n’en aurait pas ? Ce qui m’a semblé essentiel a été de ne pas partir d’idées reçues : il suffit de revenir sur le fait que Robespierre est qualifié d’incorruptible vers l’été 1791. Or il l’est avec Pétion et Buzot, ce qui est oublié parce que ces derniers seront ensuite considérés comme Girondins et se tueront en 1794. Qui peut admettre qu’il y ait eu entre ces hommes, réputés adversaires, une communauté d’idées reconnues par le public ? Il convient de revenir à ce qui s’est effectivement passé en se méfiant des légendes qui nous conditionnent.

Lorsqu’on étudie Robespierre, il faut se débarrasser de toute l’imagerie véhiculée depuis des siècles. Pourquoi avons-nous les yeux braqués sur Robespierre ? Pourquoi avons-nous la totalité des discours de Robespierre alors que nous n’avons pas la totalité des écrits de Marat, de Brissot (unanimement détesté) ou encore de Pétion ? Il faut reconnaître simplement que Robespierre n’est pas une figure révolutionnaire exceptionnelle puisque d’autres, méconnus, mal aimés, restés dans l’ombre, en vrac Billaud-Varenne, Barère, Vadier, ont joué des rôles tout aussi importants que ceux tenus par Robespierre. Celui-ci appartient à la centaine (au moins) d’hommes politiques très doués qui ont su parfaitement comprendre leur époque, comme Mirabeau, Barnave ou encore Bonaparte, que Madame de Staël a appelé « un Robespierre à cheval ».

 

 

La fabrication du monstre prend-elle racine à Paris et en Province ou à l’étranger ?

 

 

Commençons par dire que je ne connais ni d’acteur de la Révolution ni de groupe révolutionnaire qui n’ait pas été dénigré et qui n’ait pas été dénoncé comme contre-révolutionnaire à un moment ou à un autre. Que Robespierre ait été victime d’une conjuration est une évidence comme l’ont été tous les autres, de gauche ou de droite, qui ont subi un sort proche. Les modérés, les girondins, les sans-culottes, les dantonistes (pour reprendre des catégories mal définies mais consacrés par l’usage) qui sont montés à l’échafaud avaient été accusés de tous les péchés du monde.

Revenons à Robespierre. À partir de mai-juin 1794, il est accusé d’envoyer des gTALLIENens à la guillotine, de participer au retour de la religion en France, d’instaurer un régime autoritaire avec ses amis. Ceux qui l’accusent sont Vadier (un des acteurs les plus puissants de la Révolution), Tallien (ami devenu ennemi), Fouché, mais aussi plus étonnamment Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, des personnages proches de Robespierre mais qui n’apprécient pas qu’il leur ait emprunté leurs idées et fait éliminer les sans-culottes. À partir de juin, on fait courir le bruit que Robespierre a le projet de devenir roi des Français. La manœuvre est extraordinaire, elle aboutit à la conjuration de Thermidor. Puis au lendemain même de sa mort, Robespierre est accusé d’être un tyran et un monstre- deux mots très connotés à l’époque. Un mois plus tard, Tallien le désigne comme l’instigateur de la Terreur, idée qui va se diffuser en Europe par la presse thermidorienne et la presse girondine. Les intellectuels étrangers, comme Kant et Hegel, qui ne comprennent pas les événements qui se passent en France depuis la fin de 1792, notamment la mort du roi, concluent que c’est Robespierre qui a précipité la France dans la Terreur.

 

 

Selon vous, Robespierre a des responsabilités dans les crimes durant la guerre de Vendée ?

 

 

La question est surprenante. C’est Barère qui a inspiré les décrets des 1er août et 1er octobre 1793, c’est Carnot qui signe l’accord donné par le Comité de salut public au plan de Turreau de janvier 1794 alors que Robespierre intervient pour rappeler Carrier à Paris, maxro2arrêtant donc la répression qui avait lieu à Nantes. On ne prête décidément qu’aux riches !

Il est certain qu’il a, avec les autres membres du Comité, laissé faire les armées dirigées par des sans-culottes à partir de 1793, et avalisé la répression très violente qui a frappé les Vendéens, dans l’automne 1793. Dès janvier 1794, avisé par son représentant, le jeune Jullien, de ce qui se passe à Nantes, il obtient que Carrier soit ramené à Paris, en même temps qu’il participe avec Barère à la suspension des exécutions en Province notamment à Lyon. Il met fin aux actions de l’aile gauche de la Convention et des sans-culottes, dont les chefs sont guillotinés en mars. La conséquence sera que ceux qui ont été menacés par lui, Tallien, Fouché, Barras se vengent en juillet 1794.

 

 

En vous écoutant, on pourrait penser que l’individu politique pendant la Révolution ne décide pas et que seul le groupe dirige. A-t-on simplifié la Révolution en donnant toutes les responsabilités à un seul homme : Robespierre ?

 

 

Tout à fait. Il n’y a pas de politique individuelle pendant la Révolution. Personne ne règne ou ne gouverne. Seules les décisions collectives sont prises même au printemps 1794 où les rivalités entre les comités sont les plus fortes – dans ces mois-là Robespierre signe avec d’autres les appels à l’arrêt des affrontements en Vendée. En juin 1794, alors qu’il semble en retrait de la vie politique, ses proches disposent de tous les pouvoirs dans Paris, inquiétant les autres députés. Là encore plus que Robespierre seul, c’est bien tout un réseau qui gravite autour de lui qui possède du pouvoir et fait peur. C’est précisément le tour de force incroyable que réalise Tallien en août 1794, un mois après son exécution, de rendre Robespierre responsable seul de tout ce qui s’est passé qui motive votre question ! Encore faut(il ajouter qu’une centaine d’hommes est guillotinée en juillet 1794 en même temps que Robespierre.

 

 

Y’avait-il des désaccords entre Robespierre et ses pairs ?

 

 

Oui notamment sur la place de la religion et plus précisément sur le rapport au catholicisme, ce qui irrite nombre de députés, parfaitement athées. Les sources de désaccord tiennent aussi à l’économie. Robespierre, et Saint Just, ont des positions de principes et souhaitent une moralisation des échanges commerciaux mais ne veulent ni de contrôle absolu ni d’un partage des biens. Tous les deux s’engagent, aussi, au printemps 1794, dans le contrôle de la police et de l’armée heurtant les membres des Comités, comme Carnot ou encore Vadier. Ces conflits internes expliquent Thermidor.

 

 

La Terreur a-t-elle été votée à la Convention ou s’agit-il d’un déclenchement populaire ?

 

 

Disons-le fermement : la Convention n’a jamais voté un quelconque système de Terreur, et a même, à plusieurs reprises, refusé tout ce qui pouvait y ressembler, à la quasi-unanimité. La Terreur entre dans la loi, après la mort de Robespierre, précisément pour dire que c’est lui qui avait voulu l’imposer. Faut-il rappeler que le 8 Thermidor, Robespierre accuse des adversaires qu’il ne nomme pas de vouloir mettre en place un système de terreur ? Quand arrêtera-t-on de répéter l’invention de Tallien ?

Revenons un peu en arrière. À partir de mai 1793, des groupes de sans-culottes, les plus sansculotteradicaux, avaient demandé qu’on exerce la Terreur contre les opposants à la Révolution. Le 5 septembre 1793, ils expriment cette demande à la Convention, alors que le pays est menacé de partout. Les Conventionnels félicitent les pétitionnaires, sans céder : la Terreur n’est pas « mise à l’ordre du jour ». Avec Barère, ils accordent cependant la création d’une « armée révolutionnaire » composée de sans-culottes. Quand ils pourront s’en débarrasser, l’armée sera dissoute en janvier 1794 et son général envoyé à l’échafaud en mars 1794. La Terreur sera toujours refusée comme système et aucune loi de terreur n’a été votée.

Robespierre garde cette position jusqu’à la veille de son arrestation. Il a certes avalisé les violences de l’automne 1793 mais on ne peut pas dire qu’il voulait la Terreur (il veut comme d’autres l’établissement d’un État d’exception). À partir d’août 1794, Tallien va nommer les responsables de « la Terreur » : terme qu’il fait entrer dans les débats de la Convention et dans la loi. Avec Robespierre, les noms de Barère, de Vadier, de Billaud-Varenne et de Collot-d’Herbois sont notamment cités. Enfin on invente le mot « terroriste » pour désigner les « robespierristes » dont beaucoup sont exécutés. Depuis cet été 1794, l’écran, inventé par Tallien, nous cache les faits. Hegel ira jusqu’à théoriser la Terreur et depuis ce temps, nous sommes incapables de nous en affranchir.

 

 

La pensée de l’École libérale a-t-elle remporté la victoire sur la mémoire de l’An II ?

 

 

François Furet a eu parfaitement raison de se poser des questions sur la Révolution et de remettre en cause ce qui était assuré sans précaution, obligeant notamment à comprendre comment naissent des récits hagiographiques. J’ai été proche de Furet pendant longtemps cependant je m’éloigne radicalement de lui quand il fait le lien entre la violence révolutionnaire et le totalitarisme; il donne de mauvais arguments à ceux qui défendent l’existence d’un « génocide vendéen » et l’idée que la Révolution a fait naître les États totalitaires.

Sur ces sujets, je reprends la démarche d’Albert Soboul : le recours à une érudition historique très précise est nécessaire pour comprendre la complexité des luttes entre les différents acteurs. Il faut étudier les faits avec les individus qui ont incarné les idées. D’où ma position fondée sur le décompte des victimes en Vendée, pour lequel j’ai proposé le chiffre le plus élevé, tout en refusant le terme de génocide, puisqu’il n’y eut pas de plan contre les « Vendéens » en tant que groupe, alors que des crimes de guerre ont été commis contre les « rebelles de la Vendée » choses suffisamment graves pour qu’il ne soit pas nécessaire de les rebaptiser polémiquement.

 

 

Robespierre était-il finalement un personnage modéré par rapport à son époque ?

 

 

D’une certaine façon c’est ce que j’ai écrit en 2016, même si le terme « modéré » est très imprécis. Rappelons que Robespierre était considéré par ses adversaires de gauche comme « un endormeur ». Les sans-culottes les plus radicaux comme Jacques Roux étaient très hostiles à Robespierre. Roux est d’ailleurs mort en prison à cause de ce dernier. Vous retrouvez cet argument également dans le dernier livre de Pierre Serna L’extrême centre ou le poison français 1789-2019, mais avec une autre perspective puisque pour Serna, Robespierre est un centriste extrémiste qui annonce Emmanuel Macron…

 

 

Qui sont les héritiers aujourd’hui de Robespierre ?

 

 

Ses héritiers s’attachent surtout à une image. Car tout comme Saint-Just, Robespierre est devenu une image. Ces deux figures révolutionnaires ont à un moment donné porté l’élan national mais aussi le symbole d’une dureté politique. Ceci explique que, paradoxalement, lorsST JUST de la Seconde Guerre mondiale, Saint-Just soit cité comme exemple chez Drieu la Rochelle ou chez les miliciens mais aussi dans la presse de la Résistance franc-tireur car il incarne la Nation et une jeunesse qui refuse les compromis.

Comment la figure de ce personnage est-elle devenue celle d’un monstre à partir de 1794 ? La contre-révolution dira même qu’il était « satanique ». C’est un monstre car Robespierre est incompréhensible. C’est un petit homme avec une voix aigrelette, qui met de l’eau dans son vin, qui a des lunettes très épaisses, qui se poudre les cheveux de façon traditionnelle, qui s’habille de façon étriquée. Comment ce petit être a-t-il pu instaurer la Terreur ? Plus on réduit Robespierre à rien, plus on va penser que la Terreur était effrayante. Il convient de réfléchir sur cette diffusion de légendes.

 

 

Saura-t-on un jour qui était vraiment Robespierre ?

 

 

Ce n’est pas la bonne question. Saura-t-on de la même façon qui était Louis XVI ? Nous ne le savons pas et est-ce vraiment important ? La personnalité intime est inaccessible et il n’est pas assuré qu’elle permettrait d’expliquer ni les choix politiques ni l’audience recueillie.

La personne de Robespierre compte-t-elle vraiment ? Je n’en suis pas sûr. Nous ne sommes pas capables de savoir s’il a eu des amours, quel était son style de vie, sa pensée… Robespierre a consacré sa vie à la politique. Ce qui compte c’est de comprendre le personnage politique (et non la personne!) de Robespierre et surtout cette redoutable mise en légendes.

 

ROB

 

Pour en savoir plus :

 

« Les échos de la Terreur/ Mensonges d’un mythe d’Etat (1794-2001) » Jean-Clément Martin – Belin 2019 : https://www.leslibraires.fr/livre/13762782-les-echos-de-la-terreur-verites-d-un-mensonge–martin-jean-clement-belin

« Robespierre- la fabrication d’un monstre » Jean-Clément Martin – Perrin 2016 : https://www.leslibraires.fr/livre/9101353-robespierre-la-fabrication-d-un-monstre-jean-clement-martin-perrin

« Jean-Clément Martin révolutionne la Terreur, vu par Antoine Flandrin » : https://www.academia.edu/38003460/Jean-Cl%C3%A9ment_Martin_r%C3%A9volutionne_la_Terreur_vu_par_Antoine_Flandrin?fbclid=IwAR0sv1UuUy3x1GzYg9mVnXvt2EOXhLg-wSFNXO8_Bp7VeY7-UG4vNtfDNPs

« La Terreur : Entretien avec Jean-Clément Martin » : https://www.academia.edu/39563139/LA_TERREUR_entretien_avec_Jean-Cl%C3%A9ment_Martin?fbclid=IwAR15taQrooFHYuPWMN98Q9ViMe0QRvyFN_3m6LYSUZyNd616fXMlcPj7DAo

Entretien vidéo avec Jean-Clément Martin sur « Robespierre : La fabrication d’un monstre »:

https://www.youtube.com/watch?v=nWm9JjHmuak&fbclid=IwAR2ja79R4PqQ8iPLhblX2ad4VniPaRRhdscwkMqnkVghoZEBnhunaMduzVA

 

 

 

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