« Que Dieu ait pitié de mes ennemis car moi, je n’en aurai aucune » écrivait le général américain George S. Patton.

« Je préfère être le marteau plutôt que l’enclume » lançait le maréchal allemand Erwin Rommel.

Personnages emblématiques de leur époque, chacun dans son propre style a été une figure marquante de la Seconde Guerre mondiale. Hommes de guerre, détestés par les uns et adulés par les autres, Patton et Rommel se sont battus toute leur vie sur différents théâtres d’opération et ont su marquer profondément les esprits.

Historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, Benoît Rondeau s’est penché sur les deux hommes dans deux biographies. C’est le moment de les croiser. Entretien.

 

 

 

En quoi general George S. Patton et le Generalfeldmarschall Erwin Rommel ont-ils été des personnages emblématiques de leur époque ? Quel a été l’impact de la Première Guerre mondiale pour ces deux militaires ?

 

 

 

Ces deux jeunes officiers sont sortis du lot, ils se sont indiscutablement distingués au sein de leurs armées respectives (Patton est le 1er américain à mener des tanks au combat; Rommel se distingue au sein des troupes alpines avec la médaille Pour le Mérite), encore que cela ne soit perçu que par un cénacle de responsables: ni l’un ni l’autre n’approchant alors la notoriété qui sera la leur pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils font l’expérience de ce qui sera en partie leur « marque de fabrique »: Rommel est déjà celui qui contourne les obstacles, réagit à la moindre opportunité et exploite en profondeur, ne laissant aucun répit à l’ennemi.

 

 

Comment Rommel était perçu par les Alliés ? Patton par les puissances de l’Axe ?

 

 

 

Rommel n’intéresse que les Alliés occidentaux. Ses succès spectaculaires en France et ses débuts fracassants en Afrique, confirmés au cours de la suite de la campagne du désert, est VIDEO GAMEcraint et admiré. Hitler joue en partie de ce sentiment qu’il inspire en lui confiant des responsabilités à l’Ouest à la fin de l’année 1943. Les Alliés savent qu’ils vont devoir affronter un général de premier plan. Patton va impressionner les Allemands par sa maîtrise de la guerre de mouvement en 1944, jusque dans les Ardennes. Sa prestation en Tunisie n’a en revanche guère lieu de les impressionner. Mais, en 1943 en Sicile, il se montre déjà plus imaginatif, agressif et réactif que Montgomery, jugé par trop prévisible et timoré. Les Allemands ne peuvent imaginer qu’un général si talentueux ne puisse tenir un rôle de premier plan dans l’Invasion attendue sur les côtes de la Manche en 1944.

 

 

 

A Kasserine, dans le désert de Tunisie, en Février 1943, Rommel met en difficulté les jeunes troupes américaines. Patton prend le commandement du US 2nd Corps afin de mieux affronter l’Afrikakorps. La situation américaine était-elle si difficile ?

 

 

Les Américains ne cessent de subir des revers et des déboires depuis l’entrée en lice de leurs premières unités en Tunisie en novembre 1942. Kasserine ne constitue pas le premier KASSERINEaffrontement entre Allemands et Américains, mais, couplé avec les combats de Sidi-bou-Zid, il s’agit du revers le plus cinglant que subissent les GIs. Les erreurs d’ordre tactique sont sans nombre et les pertes à l’avenant. Si certaines unités se sont bien comportées, comme le CCB/1, force est de constater que le moral a besoin d’être revigoré et qu’un changement de direction s’impose au II Corps, ainsi que la façon de se battre.

 

 

 

L’incident des gifles en Méditerranée, le caractère excentrique de Patton avec notamment sa croyance en la réincarnation, ses multiples provocations ont irrité beaucoup mais est-il resté populaire au sein de la population américaine ?

 

 

 

George S. Patton est incontestablement le général américain le plus célèbre de la Seconde Guerre mondiale, et de nombreuses études lui sont encore consacrées. Il reste une référence pour l’armée américaine. Au-delà de sa célébrité -le président Trump a lui-même évoqué le grand général, il est ardu de mesurer sa popularité réelle. Comme les militaires chez nous, elle doit se confiner à certaines catégories de la population, mais l’homme demeure pourtant un exemple de leadership, y compris au sein des entreprises. Il est le symbole d’une Amérique dynamique et triomphante.

 

 

 

À la fin 1943, Rommel devient inspecteur des fortifications à l’Ouest. Croit-il déjà au début de sa mission à l’efficacité du Mur de l’Atlantique ?

 

 

 

Erwin Rommel n’est guère satisfait de ce qu’il voit, mais le maréchal allemand ATLANTIC WALLa tôt fait de mettre au point sa doctrine défensive.  Conscient de la situation délicate dans laquelle se trouve l’Allemagne et des carences dont souffre la Wehrmacht, mais expérimenté dans la lutte face aux puissances anglo-saxonnes, il envisage la meilleure réponse stratégique et tactique à la situation. Il estime qu’il reste une carte à jouer pour l’Allemagne et que la victoire est possible: le débarquement peut être repoussé, mais sur les plages et dans les 24 heures. En dépit de son énergie, il va lui manquer des moyens, mais aussi du temps, et surtout de la bonne volonté des autres hauts responsables de la Wehrmacht à l’Ouest ainsi que du soutien inconditionnel du Führer.

 

 

Comment les Allemands ont-ils réagi face à la percée de la 3rd Army de Patton en Bretagne ?

 

 

Hitler et ses généraux comprennent qu’il n’y aura pas de débarquement dans le Pas-de-Calais. Mais les réserves manquent et ont surtout les plus grandes difficultés à réagir comme PATTON Brittanyil le faut. Par ailleurs, la pression sur le front empêche de mobiliser suffisamment de troupes. Par ailleurs, Patton va beaucoup trop vite et impose un tempo impossible à suivre pour les Allemands, ce qui rappelle le désarroi des forces françaises face au Blitzkrieg en 1940. Pis, Hitler pense pouvoir saisir une opportunité et retourner la situation en anéantissant l’armée de Patton grâce à une fulgurante offensive sur Avranches qui isolerait la 3rd US Army.

 

 

Peut-on aujourd’hui dire que Rommel a participé d’une façon mesurée voire active dans l’attentat manqué contre Hitler (20 Juillet 1944) ?

 

 

Rommel n’a aucun lien avec les conspirateurs. Certes, il pense la guerre perdue et espère arriver à un compromis avec les Occidentaux. Mais s’il sait que des officiers complotent contre le Führer, il reste dans l’ignorance du projet d’attentat. La date de celui-ci n’est d’ailleurs pas arrêtée, car il a été repoussé à plusieurs reprises, ce que le Feldmarschall ignore. Rommel est absolument étranger à l’attentat du 20 juillet.

 

 

Que pensait-il des actions de la SS ?

 

 

Comme tout officier de la Wehrmacht, il voit dans la Waffen SS une force concurrente à la seule véritable armée, à savoir la Wehrmacht. Il enjoint son fils à renoncer à rejoindre les rangs de cette force d’obédience nazie qui séduit bien des jeunes allemands. Il n’est pas insensible aux qualités combatives des unités SS et s’il aurait réagi aux écarts meurtriers de la « Das Reich » dans le Sud-Ouest comme on le rapporte, il aurait pu tout aussi bien le faire pour toute autre unité car bien des crimes sont également imputables à la Wehrmacht à l’Ouest en cet été 1944. Il est difficile de savoir s’il rejette les représailles à l’encontre des civils pour des raisons humanistes, ou bien si ce jugement est celui, pragmatique, d’un officier qui craint un engrenage et, partant, la nécessité de renforcer la lutte contre les résistants.

 

 

Il arrivait à Patton de connaître de profondes dépressions. Rommel était-il également un homme en proie à l’instabilité psychologique ?

 

 

Tout à fait. Hitler, Goebbels et d’autres responsables du IIIème Reich en sont pleinement conscients. L’homme est enthousiaste dans la victoire, mais facilement prompt à la HITLERdépression dès que les difficultés s’accumulent. Il reprend ainsi espoir et fait montre d’optimisme à deux reprises après avoir cru la partie définitivement perdue : lors des premiers succès de la contre-attaque de Kasserine en février 1943, et lors de sa prise de commandement sur l’Atlantikwall fin 1943-début 1944. Par ailleurs, obsédé par sa carrière et en bon courtisan, comme Patton, le « Renard du Désert » est en proie à la déprime dès lors qu’il n’a plus la faveur de son chef, qu’il vénère pendant la plus grande partie de la guerre: Adolf Hitler.

 

 

Même si Patton a survécu à la guerre, les deux hommes sont morts de façon violente.  Cela a-t-il renforcé leurs légendes ?


 

C’est indéniable. Qui plus est, ils n’ont pas survécu à la guerre et n’ont pas publié leurs mémoires. Rommel a eu la chance de servir en Afrique, face aux Occidentaux, dans le cadre d’une guerre relativement chevaleresque menée dans des contrées exotiques, puis, et surtout, d’avoir dû se donner la mort sur ordre exprès d’Hitler. Quant à Patton, sa fougue, son tempérament, ses hauts faits d’armes et ses écarts l’ont fait entrer dans la légende, et la mort prématurée de ce guerrier dans l’âme participe à son entrée dans la légende. A bien des égards, il était préférable pour Patton de ne pas survivre à la guerre. Quant à Rommel, qui sait, il aurait peut-être joué un rôle dans la Bundeswehr.

 

PATTON GRAVE

 

ROMMEL GRAVE

 

 

 

 

 

 

 

Pour en savoir plus :

La biographie de George S. Patton par Benoît Rondeau

https://www.babelio.com/livres/Rondeau-Patton–La-chevauchee-heroique/1012387

La biographie d’Erwin Rommel par Benoît Rondeau

Rommel, Editions Perrin

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