Ce n’est pas un scoop : les journalistes sont classés derniers en termes de popularité auprès de la population. Souvent perçus comme au service du pouvoir et moins objectifs sur le terrain, les mauvaises langues ne leur font pas de cadeau. Avec autant de désamour, le célèbre reporter Tintin aurait beaucoup moins de fans…

Et même si cette crise de confiance et d’intérêt que vit aujourd’hui le journalisme n’est pas nouvelle, elle tend à s’aggraver depuis plusieurs années.

Ce n’est pas faute de s’être adapté au rythme. A l’heure d’internet, la façon de communiquer et de reporter a en effet considérablement changé. Les lecteurs sont devenus bien souvent des spectateurs exigeants en termes de temps et mélangeant sur les réseaux sociaux vie personnelle et news en tout genre.

Comment raconter, analyser et surtout faire comprendre l’actualité et les problématiques de notre monde ?

Nous avons rencontré Linh-Lan Dao, journaliste sur la chaîne d’information en continu Franceinfo, afin d’échanger sur son métier en perpétuelle évolution.

 

 

 

L’apparition des médias pure player et 100% vidéo (NowThis, PlayGround ou Brut) a-t-elle selon vous bouleversé notre manière de s’informer ?

 

 

 

Ces nouveaux médias sont un nouveau vecteur d’informations pour ceux qui n’avaient pas le réflexe de se renseigner auprès des journaux papiers et télévisés. Alors qu’avec les réseaux sociaux, par l’intermédiaire de leurs proches, les personnes ont favorisé un plus grand partage d’informations.

Ces médias correspondent à une certaine attente de ceux qui ont juste le temps de s’informer dans les transports ou au bureau. Il s’agit en effet d’un condensé d’infos adapté. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas l’habitude de suivre un journal télévisé du début à la fin, mais vont plutôt faire un choix d’infos à la carte.

 

 

 

La touche d’humour afin de délivrer de l’information est-elle devenue une règle pour attirer l’attention ?

 

 

 

Oui, l’humour a un effet sur le public. Je suis très influencée par mon rédacteur-en-chef, Julien Pain, et sa manière de concevoir l’information. Selon lui, il est possible d’amuser tout en transmettant de l’information de fond. Allier les deux permet de toucher un public plus hqdefaultlarge et plus jeune.

Nous souhaitons également casser le ton stéréotypé, trop classique du journaliste, et du rythme des sujets (son – commentaire – son) que l’on retrouve dans tous les JT. Ce mode lasse beaucoup de monde.

L’ajout de l’humour correspond aussi à ma personnalité, puisque je fais des blagues tout le temps- même au bureau. Je ne me force jamais à mettre de l’humour dans mes sujets.  

 

 

En quoi le dessin reste un support capital au sein d’un média ?

 

 

 

Le dessin a toujours été cantonné au billet d’humeur dans un journal, à la caricature. Nous l’utilisons de façon plus pédagogique. Certains sujets s’illustrent mal en vidéo, comme l’économie ou les sciences. Le dessin peut apporter plus de pédagogie et une touche plus humaine. Cela attire également l’attention, car c’est différent.

L’humour n’est jamais très loin non plus. J’utilise le dessin de façon “vintage” avec un tableau Velleda, des feutres de couleur et un chiffon. Le public que je vise est plutôt jeune (20-30 ans). Ainsi, nous pouvons vulgariser certains sujets scientifiques, politiques ou des questions difficiles comme le viol, les violences conjugales… Cela permet aussi de transmettre des témoignages différemment : j’avais illustré l’histoire d’un survivant de l’attaque terroriste du Bataclan. Le dessin m’a permis de reconstituer ce qu’il a vécu.

Je suis autodidacte. Je dessine depuis l’enfance avec une certaine influence des mangas. J’ai des lacunes techniques mais pour ce format, je n’ai pas besoin d’être une experte. C’est plus de la “facilitation graphique” (un vrai métier) que du dessin technique. Durant mon entretien d’embauche, Julien Pain m’a demandé si, à part le journalisme, j’avais d’autres passions. Je lui ai montré sur Facebook un album de croquis que j’avais réalisés lorsque j’étais étudiante au Mexique. Ma créativité a été un plus dans mon recrutement. Un stagiaire de franceinfo: a eu l’idée des « draw my news » en pensant à Norman et ses « Draw my life ». C’est né ainsi. J’ai pu également échanger sur le sujet avec Plantu, mon idole, qui apprécie beaucoup ce concept hybride entre le dessin et l’actualité.

 

 

 

Dessiner encore de nos jours est-il une activité toujours aussi clivante ? La vidéo sur le sexisme dans le manga n’a pas plu à tout le monde…

 

 

 

Je vois bien le genre de personnes qui a mal réagi. Ce sont des otakus [ndlr : les passionnés de mangas], des “ayatollahs” du manga qui s’approprient totalement la culture japonaise, comme si c’était la leur..

Je ne renie pas mes propos. Je pense que j’étais dans le vrai. Le problème n’est pas lié à mes dessins. Les réactions auraient été les mêmes si j’avais tenu ces propos face caméra.28061

J’ai moi aussi grandi avec les mangas, j’ai fait plusieurs voyages au Japon, je connais bien cette culture. C’est un pays qui a plein d’atouts mais qui est indéniablement sexiste. Les femmes n’ont pas une place très valorisante. Et en tant que féministe, je relis ces mangas que j’adorais dans mon enfance avec un œil différent. Les otakus qui m’ont critiquée ne sont pas prêts de changer d’avis sur la question.

Le manga n’est qu’un petit reflet du conservatisme de la société japonaise. Je l’ai utilisé comme exemple, mais je pourrais vous en citer beaucoup d’autres : les femmes qui arrêtent de travailler après leur premier enfant, les inégalités salariales, etc…

 

 

 

L’innovation est-elle le maître-mot dans de nombreux médias ?

 

 

 

Au sein de Franceinfo:, nous sommes une petite équipe et nous travaillons sur une émission appelée « l’Instant module ». Mon chef est un hyperactif : il surveille les nouvelles créations des autres médias pour s’en inspirer, réfléchit à de nouveaux concepts,… J’avais par exemple réalisé plusieurs parodies des primaires républicaine et chez les socialistes. Dans la première, les candidats finissaient par s’affronter en duel. La deuxième parodie montrait François Hollande en super-héros bollywoodien. Ce concept, Julien Pain l’avait repéré dans un média anglais. Il a été repris par plein de médias français après la publication de nos vidéos.

Dans notre chaîne, il y a toujours une volonté de faire quelque chose de différent.

 

 

 

Réaliser des vidéos de moins de 3 minutes est-ce une réelle épreuve ?

 

 

 

La durée est très courte oui. Dernièrement, j’ai réalisé une vidéo de 4 minutes sur les tests ADN. Il n’y avait plus de temps pour faire des contre-points ce qui a été critiqué.

La multitude d’informations était limitée par le temps. C’est frustrant de ne pas ajouter assez de fond.

 

 

Y’a-t-il une préférence aux sujets thématiques et donc de prendre « son temps » ou d’avoir un rythme soutenu en suivant le fil de l’actualité ?

 

 

 

Je suis plutôt une tortue. Même si je vis dans l’adrénaline de l’info, j’adore prendre plusieurs jours afin de mieux cerner un sujet. Pourtant, je dois réaliser mes vidéos « Draw my news » en trois jours. Je dispose seulement d’un jour pour les recherches et l’écriture. Le temps est limité comparé à celui des chercheurs ! Et pour l’Instant Module, il y a obligation de produire au moins une vidéo liée à l’actualité par jour (mais pas forcément en dessins).

 

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La vie personnelle est-elle la plus grande des inspirations ?  

 

 

Ma vidéo où je déplore le racisme anti-asiatique, elle relève plus de la chronique que du journalisme. Mais j’apprécie de parler à la première personne car j’écris ainsi plus facilement ; je peux introduire plus d’humour. Cela donne aussi un ton plus différent et de mieux interpeller le public.

Julien a remarqué que lorsqu’on publie une vidéo sur internet avec un journaliste “face cam”, il y a plus de vues, probablement parce que l’internaute a l’impression que le journaliste s’adresse à lui.

Lorsque j’ai traité du racisme anti-asiatique, l’écriture coulait de source. En une demi-journée, j’ai pu tout rédiger. On m’a cependant reprochée de donner mon avis et d’être trop concernée par le sujet.

Il faut tout de même une certaine retenue dans le journalisme pour ne pas être trop emporté par son sujet, et veiller à présenter équitablement des opinions pour et contre. Je reste journaliste avant tout.

 

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Chaîne YouTube de Linh-Lan Dao : https://www.youtube.com/channel/UCpcd7UA71-eBeJnWftXx9HA

Pour suivre Linh-Lan Dao sur Twitter : https://twitter.com/ceruleeann?lang=fr

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