Le nom de Rawa Ruska résonne encore dans les mémoires comme « le camp de la goutte d’eau et de la mort lente » d’après les propos de Winston Churchill. Ce lieu sinistre situé dans l’Ouest de l’Ukraine ne comptait en effet qu’un seul robinet pour des milliers de prisonniers de guerre. Des soldats français et belges capturés en 1940 et attrapés après des évasions étaient internés dans ce camp voisin d’Auschwitz ou encore de Treblinka.

Jean-Baptiste Canonici, 100 ans et d’origine corse, a fait partie de ces détenus. De 1940 jusqu’en 1945 où il finit la guerre en Autriche, il nous livre ses souvenirs de guerre.

 

 

Pour quelles raisons êtes-vous devenu soldat ?

 

 

De 16 à 18 ans, je faisais du travail saisonnier dans mon village de Corse. Puis en 1938, Je me suis engagé volontairement chez les tirailleurs marocains. Je me suis engagé 5 ans car la prime était meilleure que celle de 3 ans. J’ai envoyé ma première prime à mes parents car ils avaient 10 enfants. J’étais le 7ème. En tant que militaire, j’avais tout ce qu’il fallait. La carrière et la retraite étaient assurées. C’était une sécurité de vie.

 

J’ai pris le bateau et trois jours plus tard, je suis arrivé à Casablanca. C’était la première fois que je partais de Corse.

 

A la mobilisation en 1939, j’ai été envoyé en Corse. Mon bataillon a quitté Meknes pour aller en Corse pour la défendre. Nous étions dans un couvent désaffecté dans la région de Bastia puis nous sommes allés sur la côte de Bonifaccio face à la Sardaigne. Nous nous préparions à une invasion italienne. N’ayant pas de caserne, nous vivions dans le maquis.

 

 

 

Mai-Juin 1940, invasion allemande. Comment peut-on décrire l’atmosphère de la défaite ?

 

 

Avant l’invasion allemande, j’ai été envoyé dans le camp de Suippes. Nous n’étions pas au courant de ce qui se passait. Nous sommes partis dans la Somme et nous 2713110252_small_2avons connu le combat avec l’ennemi. Des compagnons marocains ont été tués à mes côtés.

Faute de chefs, chacun prenait les décisions. C’était la débandade. Nous avons pris les choses comme elles venaient.

A 20 kilomètres de Paris, nous nous sommes arrêtés avec tout le matériel (armes et bagages). A trois, nous portions le fusil et le fusil mitrailleur. Les villages étaient abandonnés.

Le 8 juin 1940, encerclé par les Allemands, j’ai été fait prisonnier. Soit on était tués, soit on se rendait.

J’ai été envoyé en Allemagne en train. Nous étions 80 dans un wagon à bestiaux. Interné dans le Wurtemberg, d’abord dans une ferme puis dans une laiterie-fromagerie, j’y ai appris machinalement l’Allemand.

 

 

Pourquoi avez-vous décidé de vous évader ?

 

 

 

Je travaillais chez des paysans allemands mais je ne pouvais supporter de rester prisonnier loin de mon pays. J’ai alors décidé de m’évader avec quatre autres le 15 août 1942. Nous avons failli réussir notre objectif. Proches de la frontière suisse, nous nous étions arrêtés près d’un camp de prisonniers serbes. A ce moment-là, il y avait eu une évasion collective ce qui a mobilisé beaucoup de soldats et des civils dans la région. Une nuit, nous avons décidé de passer par la route. Nous ne faisions jamais cela mais comme il pleuvait, nous pensions qu’il y aurait moins de monde. A 3 heures du matin, nous sommes passés dans un village sans faire attention. Des militaires allemands s’étaient mis à l’abri sous une voûte. Nous voyant arrivés, ils m’ont mis un fusil contre ma poitrine et nous ont emmenés dans une baraque où se trouvaient déjà d’autres prisonniers.

 

Capturé en tant que fugitif, j’ai été cette fois envoyé au Camp de Rawa Ruska. Il est dit que ce n’est qu’à la 3ème évasion que les prisonniers français étaient envoyés là-bas mais c’est faux. C’est à ma première évasion que je suis parti là-bas.

 

 

 

Rawa Ruska est tristement célèbre pour être le « camp de la goutte d’eau et de la mort lente ». Comment était la vie à l’intérieur ?

 

 

J’ai eu 8 jours de train et je suis arrivé au camp début octobre 1942. Les conditions étaient misérables et au début, les Allemands étaient agressifs afin de nous faire comprendre l’atmosphère du camp. Nous n’avions qu’une soupe d’eau chaude par jour et il n’y avait qu’un seul robinet d’eau non potable dans tout le camp. Chaque jour, il y a des heures de files d’attente. J’ai perdu au total 25 kg. Nous dormions toujours très proches des autres afin de ne pas souffrir du froid glacial de l’hiver. Nos vêtements étaient infestés de poux. Nous étions abandonnés.

 

Il était très important d’avoir des conversations. Nous parlions du pays afin de nous remonter le moral, nous pensions à notre avenir après la guerre, on jouait aux cartes et il y avait une certaine organisation « communautaire » au sein du camp : Les Corses étaient avec les Corses, les Bretons avec les Bretons,…

 

Chaque matin, nous faisions une minute de silence pour les morts de la veille.

 

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Est-ce qu’on chantait à Rawa Ruska ?

 

 

 

Oui et il y avait même une chanson anti-allemande du camp : « Dans l’cul ». Lors de punition collective, où nous devions nous mettre à plat ventre, nous lever,… Nous chantions mais les Allemands ne comprenaient rien des paroles.

 

 

Comment avez-vous pu partir de Rawa Ruska ?

 

 

D’après la convention de Genève, les sous-officiers n’avaient pas l’obligation de travailler. Par conséquent, il y a eu des départs du camp. Caporal, je n’étais pas sous-officier mais un autre corse eut l’idée de me « nommer » sergent pour me faire partir. Je lui ai donné mon livret militaire et a fait les modifications nécessaires. Il était habitué puisque mon ami avait travaillé à l’état-major.

 

Le soir du départ, les Allemands nous ont mis en colonne devant le quai de la gare. L’officier tournait en rond, tapait avec une cravache sur ses bottes pour nous impressionner mais nous n’avions pas peur.

Au moment de mon tour, j’ai montré mon livret militaire à un soldat allemand. Regardant mon visâge de jeune garçon, il a prévenu son officier qu’il avait des doutes sur le fait que je POWs at trains stationsois sous-officier. L’officier m’a regardé et a dit en Allemand « Pourquoi pas?! ». L’armée allemande recrutait beaucoup de jeunes sous-officiers à cette époque. Donc au final, j’ai enfin pu quitter Rawa Ruska.

Au camp de sous-officiers de Koberziyn, les conditions étaient moins difficiles. Nous avions enfin de l’eau mais ma volonté de m’évader était intact.

Après la Pologne je change une nouvelle fois de lieu de captivité en Février 1943 . Là je travaille dans une usine pour les Allemands. Mais toujours aussi rebelle, je fais du sabotage. Des actes qui me valent une nouvelle déportation en Slovaquie. Condamné aux travaux forcés, j’ai été envoyé dans un bois dans la région de Bratislava pour creuser des tranchées anti-chars de trois mètres de profondeur pour freiner l’avancée des alliés. J’entendais le train tous les jours à la même heure. Il s’arrêtait à un poste qui était tenu par une femme. Je lui ai demandé un jour où allait le train et m’a répondu : « Vienne ». J’ai donc décidé de le prendre et de m’évader.

Je me suis caché à Vienne pendant six mois chez des civils par l’intermédiaire d’un autre corse que j’avais connu dans un commando de travail.

J’ai travaillé dans un cinéma où j’aidais à diffuser les films puis ensuite dans une usine de laiterie. Nous subissions les bombardements.

Nous avons appris un jour que les Russes étaient arrivés la nuit. Une poignée est arrivée dans l’usine. Les voyant arriver, j’ai tendu la main pour leur souhaiter la bienvenue. Un soldat me l’a serré, l’a retourné et m’a volé la montre. Les Russes ne voyaient que des ennemis.

 

 

 

Quel est votre sentiment lorsque vous revenez à Rawa Ruska ?

 

 

Je suis retourné là-bas trois fois mais il ne reste quasiment plus rien du camp. C’est un lieu où nous avons tous pu mourir. J’étais le plus jeune prisonnier du camp. Aujourd’hui, nous sommes très peu encore vie.

 

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Pour en savoir plus :

Le site de l’association « Ceux de Rawa-Ruska et leurs descendants »

http://www.rawa-ruska.net/historique-du-camp-de-rawa-ruska-2/

 

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