« Venire », « Parare », « Signa ferre », tous ces ordres en Latin ont dû être entendus de nombreuses fois par les soldats de l’Empereur de Rome. Pendant près de 500 ans, les Romains ont occupé un territoire qui s’étendait de Britannia jusqu’en Mésopotamie. Tout en intégrant les différents peuples vaincus et alliés, les légions ont su lutter contre les multiples invasions barbares durant des siècles. L’armée romaine sur terre comme sur mer a su dominer pour la gloire du Prince.

Yann Le Bohec, Professeur émérite à l’Université Paris IV, répond à nos questions sur cette armée qui fascine encore de nos jours.

.
.
.
.

Quelles sont les plus grandes différences que l’on eut constatées entre l’armée de la République romaine et celle de l’Empire ?

.
.
.
.

L’armée romaine présenta trois caractères nouveaux : elle devint permanente (elle l’était déjà plus ou moins), et surtout sédentaire et professionnelle. Le jeune homme qui était sélectionné par le conseil de révision devait servir pendant 25 ans (légions) ou 30 ans (auxiliaires et marins). Il était envoyé dans un camp, aux frontières de l’empire, face aux barbares. Et il recevait un salaire plus, à la fin, une prime de départ, sorte d’embryon de retraite. Pour le reste, des changements se firent jour tout au long du Principat : évolution du recrutement, de l’armement, etc.

.
.
.
.

 legionari_colonnatraiana-800x445

.
.
.
.

La professionnalisation de l’armée a-t-elle selon vous provoqué l’essor des pouvoirs de généraux plus soucieux d’utiliser leurs troupes pour leurs propres intérêts que ceux de Rome ?

.
.
.

Non, parce que les généraux ne restaient en poste qu’un an, trois au maximum. Au contraire, les soldats de l’empire étaient liés à l’empereur par mille liens (cérémonies, serments, distributions d’argent, de décorations, etc.). De plus, une nouvelle éthique est apparue : il fallait se mettre au service du prince et de l’État, notamment.

.
.
.
.

Y’a-t-il un profil-type du soldat sous l’Empire (milieu social, origines,..) ?

 

.
.
.
.

Non, parce qu’il y a eu une évolution très lente du recrutement et une diversité en fonction acqua-sorgentedes types d’unités. Au début, les légionnaires venaient d’Italie en majorité (surtout des montagnards, choisis dans les Alpes et les Apennins). Puis les provinciaux les ont remplacés petit à petit. Pour la garnison de Rome (prétoriens et urbaniciani), le recrutement s’est fait surtout dans le Latium et les régions voisines. Les auxiliaires ont accepté quelques citoyens romains, mais les unités utilisaient toujours des compatriotes des premiers soldats (par exemple, on trouvait des Pannoniens dans une unité dite de Pannoniens) et elles complétaient les effectifs par des « locaux ».

.
.
.
.

 

Les récits d’historiens contemporains, qui décrivent des territoires comme la Germanie comme difficiles à conquérir, s’apparentent à ceux de journalistes à propos de la Guerre du Vietnam. L’armée romaine a-t-elle souvent été en grande difficulté ?

 

 

.
.
.
.

Non. L’armée romaine était supérieure à toutes les armées de l’époque ; elle était même plus efficace que celles qu’utilisaient les Iraniens et les Germains. Certes, il y a eu des désastres, et même de grands désastres (Teutoburg en 9 après J.-C.). Ils s’expliquent souvent par une ou plusieurs fautes du commandement : pour le Teutoburg, Varus avait accordé sa confiance à un barbare ; et il n’avait pas envoyé d’éclaireurs avant d’engager son armée dans le corridor de Kalkriese.

.
.
.

 

L’Empire devenu de plus en plus vaste, Rome a eu recours à des troupes alliées ou fédérées. Est-ce que cela veut dire que l’armée romaine n’avait plus de soldats italiens dans des provinces comme en Judée ou en Gaule ?

.
.
.
.

Les Italiens ont été réservés pour la garnison de Rome, plus prestigieuse et mieux payée, et ils ont accaparé des commandements. Mais, même au IIIe siècle, l’État a pu mobiliser des Italiens en cas de besoin.

.
.

 

Le Sac de Rome en 410 a-t-il des répercussions au sein de l’armée ?

.
.

.
Quelle armée ? En 410, il n’y avait plus d’armée « romaine », ni même de mercenaires, en Occident ; les quelques soldats qu’on peut trouver se terraient dans leurs casernes dès que des ennemis étaient annoncés. Dans des régions entières (Bretagne, Norique : voir la Vie de s. Séverin), il n’y avait plus d’armée. En Orient, les soldats et leurs officiers faisaient profil bas : ils préféraient ne pas se faire remarquer et laisser les barbares aller vers l’Occident pour piller.

.
.

.
.

sac de rome

 

.
.
.
.

Pour quelles raisons, la marine romaine était peu considérée ?

 

.
.
.
.

Les gens de mer étaient méprisés par tradition : au lieu de voir leur courage, les « terriens » les considéraient comme des aventuriers réduits à faire ce métier parce qu’ils étaient incapables de faire autre chose et parce qu’ils étaient cupides. Sous l’empire, ils étaient recrutés dans des milieux très populaires (même chez les esclaves au début) ; ils étaient mal payés et ils effectuaient un service plus long que les autres (30 ans).

.
.
.
.

Comment était perçue la garde prétorienne par les autres soldats ?

 

.
.
.
.
Les légionnaires éprouvaient à l’égard des prétoriens des sentiments ambigus. D’un côté, ils garde pretorienneles admiraient, parce qu’ils formaient une élite et parce qu’ils vivaient dans la proximité du prince. D’un autre côté, ils les méprisaient, parce qu’ils vivaient à Rome, dans la soie, et parce qu’ils n’affrontaient pas les barbares.

.
.
.
.

Les citoyens romains avaient-ils une bonne opinion de leur armée ?

 

.
.
.
.

Oui, en général. Quelques grincheux, comme Juvénal, n’aimaient pas les militaires, qui leur marchaient sur les pieds avec leurs godillots, sans s’excuser. Mais, par exemple pour une jeune femme, un légionnaire était un beau parti, même si le mariage était interdit : outre le prestige de l’uniforme, il y avait un salaire, modeste mais régulier. Elles acceptaient sans se plaindre le statut juridique de concubine, avec des enfants illégitimes. Dans la vie quotidienne, le soldat était appelé « père » par ses enfants naturels et « mari » par sa compagne.

.
.
.

.

L’allure du soldat romain à la fin du Bas Empire ressemble-t-elle plus à celle d’un barbare que celle du légionnaire du Ier siècle ?

 

 

.
.
.
.

Au IVe siècle, le soldat dit « romain » était un barbare ; mais chut ! Il ne faut pas le dire. La tradition actuelle nous assure que tout allait bien, que les barbares qui servaient Rome étaient fidèles et que ceux qui combattaient Rome étaient gentils. Contra : Ward-Perkins, La chute de Rome, et mon Armée romaine sous le Bas-Empire.

.
.

.
.

casque-romain-tardif

.
.
.
.

Pour en savoir plus :

« La vie quotidienne des soldats romains à l’apogée de l’empire » de Yann Le Bohec- Editions Tallandier 2020 :

https://livre.fnac.com/a14949754/Yann-Le-Bohec-La-vie-quotidienne-des-soldats-romains

« L’armée romaine sous le Haut-Empire » de Yann Le Bohec- Editions A&J Picard 2005 :

https://www.amazon.fr/Larm%C3%A9e-romaine-sous-Haut-Empire-Bohec/dp/2708407449

« L’armée romaine sous le Bas-Empire » de Yann Le Bohec- Editions A&J Picard 2006 :

https://www.amazon.fr/Larm%C3%A9e-romaine-sous-Bas-Empire-Bohec/dp/2708407651

PARTAGER