Il y a quelques mois, les protestants ont fêté les 500 ans de la Réforme. En affichant, le 31 octobre 1517, ses 95 thèses contre les indulgences sur la porte de l’église du château de Wittenberg (Saxe), Martin Luther jetait les bases d’une nouvelle religion chrétienne, le protestantisme. Plus de 800 millions de croyants dans le monde se reconnaissent aujourd’hui dans les principes édictés par les réformateurs. Pour en savoir plus, nous avons rencontré Louis Pernot, pasteur de l’Église protestante unie de l’Etoile (Avenue de la Grande armée à Paris), théologien, et musicien.

 

 

 

Selon vous, pour quelles raisons la Réforme a pu se diffuser rapidement et largement en Europe du Nord dès le XVIème siècle ?

 

 

 

Il y a des causes matérielles et humaines. Matérielles avec l’invention de l’imprimerie. Les réformateurs ont été doués pour utiliser les nouveaux moyens de communication de l’époque.

 

D’autre part, étant philosophe de formation, je pense comme Hegel : Il n’y a pas de grand homme indépendamment d’une situation qui lui permet d’être ce qu’il est au moment voulu. Il y avait au XVIème siècle une envie de renouvellement au sein de l’Eglise. Luther a apporté ce qui était attendu au bon moment. 50 ans avant ou 50 après, les idées de Luther n’auraient pas pu avoir le même succès. Je pense qu’il y avait une vraie volonté de renouveau de l’Eglise avec notamment le phénomène de la Renaissance. L’église catholique a de nombreuses vertus dont celle de l’inertie ce qui est un handicap dans les époques où il y a des changements rapides comme ce fut le cas au moment de la Renaissance.

 

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Le protestantisme se caractérise depuis 500 ans par une lecture personnelle de la Bible. Doit-on y voir une volonté de s’éloigner de l’institution pour se rapprocher plus du livre saint ?

 

 

 

Oui certainement, je crois que la chose la plus particulière du protestantisme c’est son ecclésiologie par rapport au catholicisme. Le protestantisme ne se définit pas de façon dogmatique, donc il est difficile de dire que théologiquement il y aurait de grandes différences entre le protestantisme et le catholicisme.

 

Je crois que la rupture irréparable entre les deux c’est l’ecclésiologie, c’est-à-dire la conception de l’Eglise. Le catholicisme pense collectivité et Eglise alors que le protestantisme pense individu qui se convertit. Ce sont les individus qui forment l’Eglise. Dans le protestantisme, l’Eglise est seconde alors que dans le catholicisme, elle est première.

 

Il est vrai que les réformateurs ont eu le souhait de revenir au message originel de la Bible mais aujourd’hui je ne peux pas dire que les catholiques lisent moins la Bible que les protestants. Et pourtant, il y a toujours une différence radicale avec l’ecclésiologie.

 

 

 

Les Protestants refusent de voir les saints comme des messagers entre les hommes et Dieu. Cependant, y’a-t-il un refus de la sainteté ?

 

 

 

Sur la question des saints, il est vrai que globalement les protestants restent très « monothéistes » et n’adressent de culte qu’à Dieu.

 

Sur la question du saint et du sacré, la limite n’est pas au même endroit. Il semble que dans le catholicisme, il y a le sacré et le profane. Le protestantisme a annulé ces différences. Le pasteur est un laïc comme tout le monde et il n’y a pas de lieu de pèlerinage ni de lieu saint. Le protestantisme a plutôt l’idée que tout est sacré. Tout homme est prêtre et le sacré envahit toute la sphère. Tout acte quotidien peut devenir un acte religieux. Les protestants ont toujours été très engagés dans leur métier parce qu’idéalement ils travaillent d’une certaine manière pour Dieu. Comme dit l’apôtre Paul « Et quoi que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur ». Il n’y a plus de distinction entre les êtres et le temps : toute journée est jour du Seigneur. Dieu est autant présent dans une église que chez vous ou dans votre lieu de travail.

 

 

 

Comment interpréter le message de Paul lorsqu’il dit que seule la foi sauve ?

 

 

 

Il déclare plutôt « nous sommes sauvés par la Grâce au moyen de la foi ». Ce n’est pas tout à fait la même chose. Au moment de la Renaissance, les réformateurs contestent 130090-004-61EDEAD9l’Eglise catholique en revendiquant que nous ne sommes pas sauvés par nos œuvres mais par la Grâce de Dieu. Nous devons faire de bonnes œuvres pas pour être sauvés mais pour la reconnaissance de ce Salut qui nous ait déjà offert. Les œuvres deviennent un acte de reconnaissance

Aujourd’hui, la prédication protestante n’est pas culpabilisante mais le message est que si on se sent aimé, pardonné et sauvé alors on se permet de se remplir de joie et de reconnaissance.

 

 

 

Le terme de protestant est-il toujours d’actualité ?

 

 

 

Les protestants témoignent en effet toujours de leur foi. C’est surtout vrai en France car la situation minoritaire des protestants les rendent plus militants et plus pratiquants que dans des pays où le protestantisme est majoritaire comme en Allemagne et dans les pays scandinaves.

 

 

 

En tant que Pasteur de l’Eglise réformée de l’étoile, vous sentez-vous missionnaire à quelques pas des Champs Elysées ?

 

 

 

Je me sens missionnaire dans une démarche locale. Nous sommes une église francophone. Notre site internet n’est par exemple pas traduit en Anglais.

Des personnes issues de la culture chrétienne mais qui n’ont pourtant aucune réelle connaissance, aucune foi, se rapprochent de nous. Il y a de la place pour un discours moderne, rationnel et adaptée de la vie quotidienne. Se croyant pourtant exclus de l’Eglise, certaines personnes redécouvrent l’Evangile avec notre discours contemporain. La religion que je propose suppose des êtres relativement autonomes. L’Eglise doit permettre la liberté.
L’Eglise évangélique, quant à elle, a un discours plus radical avec un cadre et une doctrine établis. Cette doctrine identitaire est également recherchée de nos jours.

Je passe mon temps à prêcher à des gens qui pourraient très bien se passer de moi. C’est mon titre de gloire.

 

 

 

 

Vous êtes professeur de théologie et aumônier à l’école polytechnique de Palaiseau. Quelles sont les questions que se posent les étudiants concernant leur avenir ?

 

 

 

 

Je pense que la crainte de l’avenir est un des grands maux de notre temps. Les jeunes n’y échappent pas. Les médias font tout pour encourager cette angoisse. Il y a une peur du travail, du chômage, du réchauffement climatique, du terrorisme islamiste, de la dette mondiale,…

 

 

 

 

En mai 2015, l’Eglise Protestante unie de France adopte à 94% voix pour la possibilité pour les pasteurs qui le souhaitent de bénir les couples de même sexe. Y’a-t-il un souhait d’être conforme avec la société d’aujourd’hui ?

 

 

 

L’Eglise Protestante est prête à s’adapter au monde mais ne le suit pas automatiquement. Elle n’est pas la remorque des décisions du monde.

 

La question a été étudiée de façon théologique et d’après un certain rapport à l’écriture. Que signifie de bénir un couple ? Quelle est la définition d’un couple ? Les protestants en fait bénissent un projet.

Le projet d’un couple est-il cohérent avec le message de l’Evangile ? Majoritairement, les pasteurs se sont entendus pour dire que la pratique sexuelle est moins importante que le mode de relation à l’autre. Je m’en réjouis.

Les églises évangéliques sont plus conservatrices et refusent la critique historique des textes. Paul dit que les homosexuels ne mériteront pas le royaume de Dieu. L’Eglise Protestante unie a, quant à elle, un recul par rapport aux textes et dit qu’il est envisageable de bénir des couples homosexuels déjà mariés.

 

 

 

Vous êtes également musicien- spécialiste du luth baroque français. Y’a-t-il ici un souhait de se rapprocher des premiers protestants par cet art ?

 

 
J’aime la musique et petit à petit mon goût s’est orienté vers cela. Le seul lien que je peux faire c’est que mon souhait était de revenir vers un retour aux sources et d’authenticité. Les Protestants font la même chose en lisant la Bible elle-même. Ayant eu une formation de guitariste classique, je me suis intéressé au luth.

 

Mon goût pour la musique française du XVIIème siècle est sûrement lié à mon goût très calviniste d’avoir un message le plus épuré possible et dans la plus grande sobriété. Une complexité qui ne s’affiche pas. Cette musique est épouillée et toute faite en intériorité. Obtenir l’essentiel avec le minimum de moyens est très calviniste. Je ne défends pas les idées de Calvin mais sur la forme du culte, je le rejoins.

 

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Pour en savoir plus :

Site de l’Eglise protestante unie de l’Etoile : https://www.eretoile.org/

 

 

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