« Mais comme je tendais l’oreille, j’entendis du bas de la vallée le hurlement d’une meute de loups. Les yeux du Comte s’allumèrent comme des braises et il dit : Ecoutez-les donc, ces enfants de la nuit. N’est-ce pas la plus belle des musiques… ? » Ainsi s’exprime le Comte Dracula face à son hôte (et prisonnier) Jonathan Harker.
Depuis le roman de Bram Stoker en 1897, le monde ne s’est pas arrêté de frissonner avec le mythe du vampire, être mi-mort, mi-vivant, sûrement imaginaire, et qui ne finit pas de faire couler beaucoup d’encre.
Claude Lecouteux, Professeur des universités (émérite) et spécialisé dans les études médiévales allemandes, a longuement étudié les vampires et surtout ce que ces derniers nous disent de nous-mêmes.
– Le vampire (stryge, harpie, mal-mort,…) est présent dans toutes les civilisations depuis la nuit des temps. Comment peut-on expliquer le vampirisme?
Par la peur de l’autre, de l’altérité, des mystères de la Création. C’est pourquoi les diverses époques ont apporté leurs réponses : malédiction, punition, destinée (être né à une certaine date ou coiffé, avec une caractéristique physique particulière comme une double dentition, etc.). Historiquement, on a fait des marginaux, des forgerons, des sacrilèges, des excommuniés des vampires.
– Vivre après la mort, apparaître la nuit et boire le sang des autres (bétail et humains). Le vampire est-il celui qui s’est libéré des lois de la nature?
Oui et non puisqu’il lui faut se nourrir, se coucher dans son cercueil pendant la journée, être lié à la terre de son tombeau – il en emporte partout où il va. Le vampire est un avatar du revenant dont il possède toutes les capacités plus une : il boit le sang ! En outre, il propage la peste, le choléra.
– Pieu, ail, eau bénite, crucifix… Les armes contre le vampire sont connues à travers l’Europe. Finalement, ces sociétés ne cherchaient-elles pas à avoir réponse à tous les maux, à tous les mystères ?
Le pieu et l’ail sont des moyens très anciens. Le pieu, bien attesté par l’archéologie, est sensé fixer le défunt dans sa tombe, l’odeur de l’ail repousser les revenants et les esprits, et ce depuis l’Antiquité. Eau bénite et croix sont les moyens chrétiens mis en place par l’Église qui, confrontée à des croyances hétérodoxes, eut recours à l’arsenal réputé opératoire.
– Au XVIIIème siècle, les histoires de vampires se diffusent même dans les cours royales et les événements intéressent même les intellectuels comme Voltaire qui traite la question dans l’Encyclopédie ou Dom Augustin Calmet qui écrira un traité. En quoi cette époque était propice à de tels débats ?
Je corrige une erreur que j’ai commise autrefois : ce n’est pas Voltaire qui a rédigé l’article « vampires » dans l’encyclopédie de Diderot, mais le chevalier de Jaucourt, principal collaborateur de Diderot.
Les chercheurs ont relevé la concomitance du surgissement du vampirisme et de la fin des persécutions de la sorcellerie. Tout indique que le vampire a pris la place des sorcières, alimentant une nouvelle forme de peur. D Jaucourt notait déjà : « Les Grecs sont persuadés que ces morts sont sorciers […]. Ces morts grecs vont dans les maisons sucer le sang des petits enfants, manger le souper des pères et mères, boire leur vin et casser tous leurs meubles. »
Partie de faits divers bosniaque et serbe, le vampirisme retint l’attention des savants qui y allèrent de leurs explications ou de leurs critiques et contribuèrent donc à son ancrage dans la société. Sans eux, point de romans de Théophile Gautier ou de Sheridan Le Fanu.
Aujourd’hui, c’est la même chose : pour Wayne Tikkanen, professeur à l’université de Los Angeles, le vampire est un malade atteint de porphyrie. Pour le neurologue Juan Gomez-Alonso, il est atteint de la rage ; selon Lawrence Kayton, c’est un schizophrène traversant des périodes d’inanition et inversant le cycle jour / nuit.
– Quel est le portrait-type du « mal-mort »au Moyen-Age et à l’époque moderne ?
Le mal-mort est celui dont la durée de vie prévue à la naissance a été interrompue par un accident, un meurtre ou une exécution. S’il est victime d’un homicide, il revient se venger ; s’il est décédé accidentellement, il vient réclamer une sépulture. Aujourd’hui, il s’incarne dans Dracula et consorts, longues canines, luxure et mystère.
Il faut dire qu’il fait toujours recette, et dès qu’on exhume un squelette transpercé d’un pieu, de fer notons-le, c’est la tombe d’un vampire ! En juin 2012, une dépêche de l’AFP parlait de la découverte dans la ville bulgare de Sozopol, sur la Mer Noire, de deux squelettes percés de morceaux de fer, là encore ces restes furent interprétés comme ceux de vampires, et le fait n’est pas isolé ! Dans le monastère de Veliko Tarnovo, même pays, on a exhumé trouvé le squelette d’un homme cloué au sol par quatre agrafes de fer.
Il en va de même quand les restes comportent une brique entre les mâchoires : en janvier 2012, le National Geographic relatait la découverte à Venise d’un squelette avec une brique entre les mâchoires, et l’anthropologue judiciaire chargé de l’examen des restes se demandait si ce ne serait pas la tombe d’un vampire – force du mythe ! – alors que l’analyse historique prouve qu’il s’agit d’un défunt dont on redoutait simplement le retour.
– Dracula ou encore Carmilla. Pourquoi le vampire devient un aristocrate dans la littérature du XIXème siècle ? Y’a-t-il une volonté de le rendre plus puissant face à ses victimes ?
Pour moi, c’est plutôt une critique sociale de l’aristocratie : on en fait une classe dépravée que la terre et le repos éternel refusent. Les nobles servent d’exemple de ce que le commun réprouve.
– Pourquoi le vampire, être bien souvent démoniaque, fascine toujours au XXIème siècle?
Parce qu’il transgresse toutes les lois de la nature et ressuscite de très anciennes croyances, notamment celle du sang vecteur de l’âme.
Pour en savoir plus : « Histoire des vampires : Autopsie d’un mythe » (Imago 1999) de Claude Lecouteux http://www.editions-imago.fr/listeauteur.php?recordID=240&categorie=Histoire,%20Moyen%20%C2ge