Qui est donc ce Spartacus, esclave-gladiateur originaire de Thrace (actuelle Bulgarie) qui a pu défier Rome avec des dizaines de milliers d’autres au Ier siècle avant Jésus Christ, parcourant une grande partie de l’Italie à la recherche d’un départ pour sa terre natale ? Les sources sont peu nombreuses et de plus écrites par ceux qui ont maté cette rébellion.

Yann Le Bohec, Professeur émérite à l’Université Paris IV, tente avec son livre « Spartacus, chef de guerre » d’en savoir plus sur ce personnage qui fut le sujet de nombreuses discordes entre libéraux et marxistes durant les derniers siècles. Entretien.

 

 

 

– La force et la vigueur de Spartacus contre l’esclavage ne s’expliquent-t-elles pas par le fait qu’il est probablement né libre ?

 

 

Je ne pense pas. Quand les esclaves se révoltaient, ils le faisaient avec énergie. Spartacus est sûrement né libre, et il a mis autant d’énergie que les vrais esclaves dans son insurrection.

 

 

– Est-ce le fait que Spartacus ait été gladiateur qu’il a su devenir un bon tacticien ou peut-on se dire qu’il a pu avoir une bonne éducation notamment par le fait qu’il monte à cheval ?

 

 

Les bons gladiateurs devenaient de mauvais soldats: ils avaient appris uniquement le combat individuel, et ils pratiquaient une escrime avec des armes qui n’étaient pas faites pour la guerre, mais pour le spectacle. Spartacus a appris la tactique sur les champs de bataille. En revanche, il savait certes monter à cheval depuis longtemps, mais comme tout le monde à cette époque: le cheval était le moyen de transport habituel, comme l’automobile de nos jours.

 

 

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– Quelles sont les raisons qui auraient pu pousser 70 000 esclaves de toute origine à suivre Spartacus ? Les révoltes étaient-elles plus fréquentes que d’habitude ?

 

 

De nombreuses révoltées serviles sont attestées depuis la fin du IIIe siècle, mais elles n’avaient jamais eu autant d’ampleur, sauf les deux révoltes qui ont eu pour cadre la Sicile (135-132 et 104-102).

 

 

 

– Dans la vallée des Abruzzes, Spartacus aurait contraint des prisonniers romains à s’entretuer dans un grand cirque de bois. En plus d’être impitoyable, Spartacus ne voulait-il pas réduire ses ennemis à son niveau de gladiateur?

 

 

Là, nous ne savons pas bien ce que Spartacus avait en tête. Il voulait sans doute faire comprendre aux Romains ce qu’était la gladiature et, en plus, offrir un sacrifice sanglant aux dieux. Les combats, placés sous la protection de Mars, avaient toujours une dimension religieuse, en l’honneur des morts et du dieu de la guerre.

 

 
– En plus d’être un chef de guerre, Spartacus était-il également un fin politique qui aurait pu vouloir négocier avec les autorités romaines pour sauver sa vie ?

 

 

Il aurait pu essayer, et il a essayé, mais c’était sans espoir: aucun Romain n’aurait accepté de négocier avec un esclave. Vous viendrait-il à l’idée de discuter avec votre chien sur le choix de sa nourriture?
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– Dans une République de Rome en pleine expansion, comment fut perçue la révolte de Spartacus par les citoyens romains ?

 

 

Les citoyens romains avaient l’habitude de ces révoltes serviles. Ils ont toutefois été désagréablement surpris par l’ampleur de celle qui a illustré Spartacus et plus encore par les échecs répétés de leurs armées. Le résultat en a été une haine accrue et un impossible pardon. Il fallait détruire cette mauvaise engeance, irrécupérable, et faire un exemple pour l’avenir.

 

 
– La victoire face à Spartacus a-t-il renforcé le pouvoir politique des généraux tels que Crassus ou Pompée ?

 

 

Certes oui. Elle a permis à Crassus de poursuivre une carrière brillante, jusq1200px-Marcus_Licinius_Crassus_Louvreu’au consulat, et au commandement d’une armée qui a été détruite à Carrhae, où il a perdu la vie. Pompée n’avait pas fait grand chose, mais il a su habilement tirer parti de ce pas grand chose: lui aussi consulat et commandement d’armée, jusqu’à Pharsale et à la fin sur une plage d’Egypte.

 

 

– Au fil des siècles, la figure de Spartacus a suscité de nombreux débats entre libéraux et marxistes. Si Spartacus avait survécu et donc victorieux aurait-il été aussi célèbre selon vous ?

 

 

Là, je ne sais pas. Je dis souvent à mes interlocuteurs que je ne peux pas savoir ce qui se serait passé si ce qui s’est passé ne s’était pas passé (vous suivez?).

 

 

Pour en savoir plus : Le livre de M. Yann Le Bohec « Spartacus, chef de guerre » https://www.tallandier.com/livre-9791021017474.htm

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