Publié le 1er Juin 1967 en Grande-Bretagne, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band reste un demi-siècle plus tard un album de légende. Au sommet de leur gloire, les Beatles réalisent un chef d’œuvre dans son ensemble. Pour leur 8ème album, les quatre garçons de Liverpool réussissent en effet l’exploit de capter l’indomptable énergie artistique de la fin des années 60.
Pour en savoir plus sur ce moment historique, Jacques Volcouve, grand spécialiste français des Beatles, répond à nos questions.
– En quoi Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band est un chef d’œuvre et pourquoi est-il une photographie de son époque ?
C’est une question de synchronisme et les Beatles ont su l’être avec leur époque du début jusqu’à la fin. Strawberry Field Forever n’aurait jamais été un succès en 1963 par exemple.
Depuis le premier disque, les Beatles se sont toujours améliorés. Ils ne se sont jamais parodiés c’est-à-dire qu’ils ont toujours innové. Les Beatles refusaient de changer un accord par ci ou par là pour refaire à en quelque sorte la même chanson. Ils ont toujours voulu se dépasser.
En Août 1966, les Beatles mettent fin à leurs tournées à San Francisco. Pour la première fois, ils disposent de tout le temps qu’ils veulent pour enregistrer un album. Jamais des artistes n’ont pris autant de temps pour réaliser un tel projet. Leur premier album avait été enregistré en une journée, lors d’une session d’enregistrement « marathon » de 585 minutes. Cette fois-ci, les Beatles passaient plusieurs jours à enregistrer une seule chanson.
Paul McCartney a eu l’idée de ce nouveau concept. A son retour du Kenya dans l’avion, il demande à Mal Evans, l’un des deux road-managers des Beatles de lui passer le sel et le poivre (salt and pepper). Et avec le bruit de l’appareil, McCartney entend Sergeant Pepper. Paul McCartney a pensé à deux personnages historiques pour créer le personnage du Sgt. Pepper: un officier Major-General James Melvin Babington, commandant de la première brigade de cavalerie, en Afrique du Sud, en 1902. Mais il est aussi inspiré par celui de Lord Kitchener. C’était l’époque où des groupes de musique avaient adopté des « noms à rallonge », Big Brother and the Holding Company, The Nitty Gritty Dirt Band, Quicksilver Messenger Service ou The Bonzo Dog Doo Da Band par exemple. Le groupe alter ego des Beatles s’appelle donc désormais Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. C’était un nouveau chapitre. Le début de l’album est une présentation d’un concert du Sergeant Pepper’s band.
50 ans après, on ne se lasse pas des Beatles. Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band reste incontournable.
Je compare souvent les années 60 à la période de la Renaissance. Tout a changé et dans tous les domaines dans cette décennie. Avant les Beatles, le monde était en noir et blanc. Avec leur arrivée, il passe en couleur et tout devenait possible.
Sgt. Pepper a une sonorité spéciale, une cohérence (c’est la première fois que les chansons s’enchaînent sans temps mort, c’est la première fois où la pochette est aussi un vrai moyen d’expression). A Day In The Life est la troisième chanson enregistrée, et ils décident dès le départ d’en faire l’ultime morceau de l’album. Avec une telle sonorité, jamais un disque n’a été aussi loin. Les Beatles ont ouvert la voie à de nombreux groupes comme Pink Floyd. A la sortie de l’album, Roger Waters l’entend à la radio dans sa voiture. Impressionné, il a dû s’arrêter sur le bord de la route. Les autres groupes se sont interrogés sur ce qu’ils pourraient faire désormais. Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band était l’album parfait.
Pour la première fois, les Beatles, considérés jusque-là comme un simple groupe de rock ‘n’ roll, deviennent pour tous des musiciens hors pair, des musiciens sérieux. Ils sont désormais comparés à George et Ira Gershin, Cole Porter, Irvin Berlin et autres Richard Rodgers.
Les Beatles ont su traduire leur époque. En 1974, John Lennon affirme même que si on imagine un bateau « sixties » où à bord il y a les Rolling Stones, les Kinks ou les Animals, les Beatles sont dans la vigie. Ils avaient une seconde d’avance avant les autres.
– Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band est-il une réponse à l’album Pet Sounds des Beach Boys?
C’est une volonté de faire mieux. Il y avait une compétition entre les Beatles et les Beach Boys depuis 1965. Chacun admirait l’autre. Brian Wilson et Paul McCartney sont nés à 36 heures d’intervalle.
– Pour quelles raisons a-t-on pu imaginer la mort de Paul McCartney ?
Cette rumeur est née avec la pochette de l’album Abbey Road. Russ Gibb, disc jockey de WKNR-FM, un radio de Chicago annonce que McCartney serait mort. Lorsque nous avons créé le Club des 4 de Liverpool, nous avions notre propre magazine, le Fab Four Publication. Nous avons entièrement consacré notre numéro 6 à ce sujet. On s’est amusés d’abord à présenter toutes les preuves, les indices de cette rumeur dans la première moitié du journal. Et dans la seconde, nous avons démonté chacune de ces soi-disant preuves pour dénoncer la supercherie.
Un exemple, sur la pochette de Sgt Pepper, Paul McCartney porte sur la manche gauche de son uniforme un écusson, Certains pensaient y lire les lettres O.P.D. et que cela voulait dire « Officially Pronounced Dead » [déclaré officiellement mort]. Lors de leurs tournée, les Beatles recevaient souvent des cadeaux et lors de leur passage au Canada, la police de l’Ontario avait offert cet écusson à Paul avec la mention OPP (Ontario Provincial Police).
À la fin de Strawberry Fields Forever, certains ont cru entendre John Lennon murmurer « I buried Paul » (« j’ai enterré Paul »). Par la suite, l’écoute des pistes séparées de la chanson a démontré que Lennon marmonnait en réalité « cranberry sauce », “sauce aux airelles”.
Donc selon les adeptes de cette histoire, en 1966, Paul McCartney aurait trouvé la mort dans un accident de voiture. Les autres Beatles auraient décidé alors de faire un casting pour trouver un sosie. Ils embauchèrent un certain William Campbell. Curieusement, le village le plus proche de la ferme que possède Paul McCartney en Ecosse s’appelle Campbeltown. Ensuite, Il aurait dû apprendre à jouer de la guitare pour devenir gaucher comme l’était McCartney. Et c’est ce même sosie qui aurait décidé la fin des Beatles, écrit toutes ces superbes chansons et continuerait la carrière en solo la plus prolifique des quatre Beatles.
Franchement lorsqu’on est cartésien, la couleuvre est difficile à avaler.
– Qui a imaginé la pochette de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band ?
Paul McCartney avait dessiné un croquis et je n’ai jamais entendu John Lennon dire qu’il avait lui aussi dessiné quelque chose. Je suis septique concernant le dessin qui a été trouvé et vendu chez Julien à New-York le 27 mai dernier pour 87,500 $. Ce n’est pas le coup de crayon de John Lennon.
Les costumes du groupe sont d’inspiration edwardienne.
L’artiste Peter Blake a demandé aux Beatles de choisir les personnages destinés à figurer sur la pochette. Peter Blake a suggéré qu’ils constitueraient cette foule d’admirateurs venus assister en spectateurs au concert du Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band donné dans un parc de Londres. Avec son épouse, ils ont dressé leur propre liste et chacun des Beatles a fait son choix à l’exception de Ringo Starr qui s’est contenté d’être d’accord avec tout le monde. Il y a des acteurs, des gourous, des philosophes, des écrivains, des sportifs et des hommes politiques. Ensuite, il a fallu obtenir l’accord de toutes ces personnalités pour éviter d’éventuels procès. John Lennon, provocateur, avait sélectionné Hitler. La figurine avait été réalisée et il est bien présent sur certaines photos, mais il fut écarté des photos finales tout comme Gandhi à la demande du PDG d’EMI Sir Joseph Lockwood. L’acteur Leo Gorcey a demandé a être payé, et il a été aussi écarté.
– 34 heures de travail avec la technologie la plus poussée de l’époque, A Day In The Life est-elle selon vous la chanson des Beatles la plus innovante ?
C’est la question qui tue. L’œuvre des Beatles est extrêmement souple et s’adapte à votre état d’esprit. Je ne sais pas si c’est la chanson la plus innovante mais A Day In The Life est extraordinaire avec la mise en place du producteur George Martin. Lorsque les Beatles débutèrent l’enregistrement de la chanson, ils ne savaient pas encore comment remplir le vide de 24 mesures entre les deux parties du morceau, celle de Lennon et celle de McCartney.
C’est le 10 février 1967 qu’un orchestre de 40 musiciens — comportant pour la plupart des membres de l’Orchestre philharmonique royal et de l’Orchestre symphonique de Londres, ainsi que le trompettiste David Mason (qui avait participé à Penny Lane) et le corniste Alan Civil (présent dans For No One) — est invité à enregistrer aux studios d’Abbey Road. Paul McCartney et George Martin donnent comme instructions aux musiciens de jouer la note la plus basse de leur instrument et de monter jusqu’à la plus haute qu’ils puissent jouer, à la vitesse qu’ils désirent sur 24 mesures, avec juste un point de départ et un point d’arrivée.
Pour mettre à l’aise ces musiciens classiques nullement habitués à « improviser » et à ne pas jouer sans partition, les Beatles ont une idée farfelue. Ils vont faire de l’énorme studio no 1 d’Abbey Road une véritable salle de fête, invitant de nombreux amis du « Swinging London » (dont les Rolling Stones) et proposant aux membres de l’orchestre de se travestir avec des faux nez, des grandes oreilles, des chapeaux haut-de-forme, et autres accessoires qu’ils leur fournissent. Certains d’entre eux refusent de se prêter au jeu à moins d’être mieux payés.
-Est-ce Jimi Hendrix le premier qui comprend le mieux l’importance de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band dans l’histoire de la musique Pop ?
Je ne pense pas que ce soit lui en particulier mais effectivement il est tellement impressionné que dès le troisième jour de la sortie de l’album, le 4 juin 1967, Hendrix décide de rendre hommage aux Beatles au Saville Theatre en jouant Sgt. Pepper devant McCartney et Harrison autant stupéfaits que flattés d’une si rapide reconnaissance. Quelle époque !
– Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez entendu Sgt. Pepper ?
Le premier disque des Beatles que j’ai entendu était le EP (45tours quatre titres) de « 4 garçons dans le vent » destiné à mon frère pour son anniversaire en janvier 1965. Comme il était sorti à l’été 1964, et nous l’avons entendu avec six mois de retard. Mais à cette époque, nous écoutions surtout de la variété française. Nous avions 9 et 10 ans,
Mon frère ayant eu un souci de santé, il a été contraint de redoubler une année scolaire, en conséquence nous sommes entrés au lycée en même temps. Au lycée, je ne suis pas dans la même classe que lui mais nous avons des cours en commun dont l’anglais.
A la fin de cette première année, j’étais médiocre en anglais (0,5 sur 20 de moyenne). Un ami de mon frère nous a fait écouter Sgt. Pepper. Ce fut une révélation pour moi et j’ai succombé au virus de la Beatlemania sans jamais en être guéri. Et en plus, je suis devenu un excellent élève en anglais. Les Beatles ont été pour moi et comme beaucoup de personnes dans le monde les meilleurs professeurs d’anglais.
Les paroles étaient simples et l’accent était clair. Des chansons comme A little help from my friends permet de distinguer l’utilisation de some, any, many, no par exemple. On l’enseigne en sixième, mais la chanson vous assure de ne pas vous tromper.
Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band est-il également l’album qui marque le début de la fin des Beatles ?
Oui et non. Ce qui a vraiment séparé les Beatles c’est l’argent. A leurs débuts, c’est Allan Williams, propriétaire de quelques boites et autre coffee bar de Liverpool, qui s’occupait de leur trouver des dates de concert. Puis Brian Epstein est devenu leur manager. Intéressé par la musique, il se lance dans l’univers du disque et Epstein, doté d’une sensibilité artistique, a senti que les Beatles allaient être plus importants qu’Elvis Presley. Mais n’étant pas un requin du business, il a signé des contrats qui étaient largement au désavantage des Beatles. Epstein a commis de graves erreurs financières.
Les Beatles n’ont jamais autant gagné d’argent depuis qu’ils ne sont plus les Beatles. Il n’y avait pas de comptes individuels à la banque mais un seul compte pour le groupe. Dérangeant lorsqu’on vend des millions de disques dans le monde.
A peine deux mois après la sortie Sgt. Pepper, Brian Epstein meurt. Les Beatles décident alors de créer leur propre maison de disque Apple. Mais bientôt les ennuis vont s’accumuler. Perte du contrôle de leur maison d’édition (Northern Songs), la situation financière de Apple les menait à la faillite et bien d’autres sujets devenaient de véritables débâcles.
Les Beatles ont décidé de reprendre un manageur. Allen Klein s’occupait déjà de Donovan et des Rolling Stones et rêvait depuis longtemps d’accrocher les Beatles à son tableau de chasse. A l’occasion d’une rencontre, il séduit John Lennon qui l’engage sur le champ et dans son sillage George Harrison et Ringo Starr. Au sein des Beatles, chaque décision n’était prise que si tout le monde était d’accord. Mais cette fois-ci, Paul McCartney a opposé son véto. Il préférait le frère et le père de son épouse Linda, avocats d’affaire. Il y avait une méfiance de cette possible emprise de la part des trois autres Beatles.
Fin 1970, Paul McCartney a finalement lancé un procès contre ses trois anciens camarades afin de prononcer la dissolution juridique des Beatles, et avant tout, dans son esprit, de se débarrasser d’Allen Klein.
La naïveté des Beatles a favorisé un imbroglio juridique si compliqué que les procès qui les opposèrent ont durés près de trente ans. Et c’est donc bien le show-business qui les a séparé.
Pour en savoir plus :
« Revolution…Les Beatles » par Jacques Volcouve et Pierre Merle Fayard 1998. http://www.fayard.fr/revolution-les-beatles-9782213600734
Le site de Jacques Volcouve : http://jacquesvolcouve.fr/
La page Facebook de Jacques Volcouve : https://www.facebook.com/jacques.volcouve