Fantômes, revenants ou zombies sont les figures du passé qui ne veulent pas s’éteindre. A l’aspect cadavérique, blanc ou encore intriguant, le fantôme a su avoir sa place dans la littérature, la peinture ou encore au cinéma. Bien souvent paria parmi les vivants, il trouve donc sa place dans l’art.

Anne Dietrich, Docteure et enseignante agrégée en Arts Plastiques, artiste-chercheur associée à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 

Qu’est-ce qui fascine autant dans la figure du fantôme? Est-il celui qui prouve qu’il y a une vie après la mort?

 

La figure du fantôme fascine par sa dualité : il est à la fois apparition et disparition. Fuyant et possédant des contours flous, il peut paradoxalement également être omniprésent. Son bibliocaractère indéfinissable l’empêche de prouver quoi que ce soit. C’est une présence-absence, qui hante et marque le monde des vivants par la récurrence de ses retours. J’ai été beaucoup inspirée par la lecture des textes d’Aby Warburg, qui propose une nouvelle conception de l’histoire de l’art fondée sur la répétition et l’anachronisme. Bien qu’au premier abord, cela puisse paraître éloigné de la question du fantôme, on peut au contraire y voir de nombreuses correspondances. En effet, Warburg envisage une conception non linaire de l’histoire de l’art, selon laquelle le temps serait traversé de formes survivantes, qui peuvent rester enfouies pendant des années, voire des siècles, puis soudainement ressurgir sous une autre forme, refaisant surface sur de nouveaux supports. Son histoire de l’art, Warburg la nommera d’ailleurs histoire de fantômes pour grandes personnes.

 

Le fantôme est-il finalement celui qui s’est libéré du corps et du danger?

 

Je ne pense pas qu’il faille assimiler le corps au danger. Ou alors est-ce le danger de la mort ? Dans ce cas, le fantôme n’est pas entièrement libre. Il est une forme errante, qui n’est pas encore tout à fait détachée du corps mort. Comme l’explique Jean-Pierre Vernant (notamment dans Mythe et pensée chez les Grecs), certaines civilisations ont instauré des rituels, pour marquer la séparation, et ainsi éviter que sa présence ne vienne perturber les vivants. Il donne l’exemple du kolossos, qui est une stèle ou une statue en terre, en bois ou en pierre, plantée à la verticale dans le sol, afin de contrer l’errance horizontale du fantôme : ce dernier peut se fixer dans le kolossos.

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Présent dans toutes les religions et croyances, le spectre est-il celui qu’on craint toujours et par conséquent qu’on ne veut pas voir?

 

En effet, souvent, le fantôme est une figure négative, qui sème le trouble. Il peut aussi être rejeté, car c’est une figure trompeuse, qui apparaît comme une illusion. Mais il est également source d’inspiration alimentant la création. On en trouve de nombreux exefanfanmples aujourd’hui. Avant la période contemporaine, on peut aussi penser aux artistes et penseurs — notamment autour de Victor Hugo —, qui appelaient la présence d’esprits pour enrichir leurs œuvres. Un autre cas assez marquant est celui de la photographie spirite, apparue à la fin du XIXème siècle. L’invention de la technique de la photographie était encore récente et donnait lieu à de nombreux fantasmes. Elle apparaissait souvent comme magique. Certains photographes — en France, on peut donner l’exemple d’Édouard Isidore Buguet — se sont emparés de cette croyance, pour créer des portraits ambivalents. Des silhouettes diaphanes de disparus, souvent vêtues de draps blancs, y prennent place à côté des vivants. Ces images ont créé une grande fascination, et le public se plaisait à croire que la photographie possédait vraiment ce pouvoir de faire revenir les morts.

 

Récemment, le zombie a pris une place importante dans le cinéma et la télévision. Autrefois homme, est-il celui qui redevient sauvage?

 

Le zombie est une forme de revenant différente du fantôme. Il tire son origine dans une toute autre histoire liée à la culture haïtienne, et ses modalités d’apparition ne sont pas les mêmes que celle du fantôme.

 

Présent au cinéma, dans les jeux vidéo ou le street art, le fantôme est-il une figure artistique qui ne sera jamais démodée selon vous?

 

En effet, la figure du fantôme devrait encore pouvoir hanter les siècles à venir. Étant Kairo02intimement lié à des problématiques de vie et de mort, le fantôme pourra toujours inspirer, et donner à fantasmer d’autres formes d’existence. Il permet à l’homme de réfléchir au temps et à la matérialité de son corps. Ces questions sont d’ailleurs des points de réflexion essentiels du cinéma, qui comme Jacques Derrida le disait si bien, est l’art de laisser revenir les fantômes.

 

Le site d’Anne Dietrich: http://www.annedietrich.com/

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