« Le clown devient quelqu’un à force de n’être personne. C’est tout à fait moi » Ainsi se résume Rufus, artiste aux multiples facettes. Inutile de dire que le Paratonnerre ne pouvait qu’être curieux de rencontrer un tel personnage qui occupe l’écran et les planches depuis près de 50 ans.

 

– Vous êtes comédien, poète, chanteur, funambule, ancien élève médecin, quel métier vous auriez aimé exercer mais que vous n’avez jamais osé faire ?

 

A l’âge de 18 ans, j’ai hésité à devenir moine, ou bien clown ou alors médecin. Le médecin s’occupe du corps, le clown des émotions et le moine du spirituel. J’ai d’abord suivi la médecine pour savoir à quoi m’en tenir sur la santé. J’ai adoré mais je suis resté très perplexe car il n’y avait que des cours sur la maladie et pratiquement aucun enseignement sur la santé. Je suis passé à l’étape du clown en réalisant avec l’équipe du « rire médecin » qu’un enfant qu’on fait rire guérit mieux qu’un enfant triste. Aujourd’hui j’en suis encore là : je suis un clown en finition. André Malraux disait que le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas. J’espère qu’au final il le sera. Mais je vois bien que pour changer le monde il faut se changer soi-même. Si je veux changer le monde, il va peut-être falloir que je devienne moine.

 

– Petite histoire dans un grand film, vous avez joué dans le film d’horreur « le locataire » de Roman Polanski. Comment êtes-vous venu à y participer ?

 

Le locataire est un roman de Roland Topor qui avait crée avec Alejandro Jodorowsky le mouvement panique. Particularité de ce groupe de turbulence qui détestait l’ordre hiérarchique : chaque membre pouvait se revendiquer comme le fondateur. Fermons la parenthèse. « Le locataire » c’est l’histoire d’un homme qui s’installe dans un appartement
laissé disponible par le suicide de l’ancienne locatrice.

Roman Polanski me téléphone et m’en parle. Je venais de lire le livre que j’avais adoré. Ce sera lui qui jouera le rôle principal. Mais il me réserve un rôle magnifique qui me va comme un gant. Sauf que je ne que je ne parlais qu’un Anglais poétique et désinvolte. Le film était tourné en Anglais.

J’ai débauché la meilleure professeure d’une école de langue à Paris, Alison, afin d’apprendre mon texte de façon intensive. Or l’idée m’est venue de fréquenter l’anglais loin du smog (mélange de brouillard et de fumée très fréquent à Londres). Je me surprends à rêver d’un accent anglais ensoleillé. On a parfois de ces caprices ! Je décide d’emmenerle-locataire-1976-a01 Alison au Maroc. Elle est d’accord. J’hypothèque donc le cachet du film et c’est parti. Je l’attendais dans un taxi en bas de chez elle. La professeure avait des difficultés à faire sa valise car son fiancé ne voulait pas croire en la pureté de ses intentions. Ça a duré presque une heure. A Orly, nous avons loupé notre vol pour Casablanca et nous avons alors choisi de partir en Tunisie à Sidi Bou Saïd.

Là, nous avons dédaigné l’appartement nuptial que nous proposait le directeur de l’hôtel Dar Zarouk. Nous sommes restés studieux pendant 8 jours dans la même chambre avec des lits séparés par un long couloir. C’est ainsi que j’ai appris l’Anglais en Tunisie. J’avais des bases mais je n’avais joué qu’une fois en anglais dans « Laisse aller c’est une valse » de Georges Lautner. J’avais un incurable accent Syrien, j’ai du m’en défaire. Trop de soleil, pas assez de smog. Merci Alison. Elle est revenue bronzée et sa directrice n’a pas accepté son arrêt-maladie. Pardon Alison. Merci Topor. J’aurais pu postuler pour être fondateur du mouvement Panique.

Dans le film, mon personnage apporte une carte postale à son amie. Il arrive hélas trop tard : suicidée. Le nouveau locataire tente de le réconforter et lui offre à boire de nombreux remontants dans plusieurs bistrots successifs. Petit à petit, le chagrin s’apaise. Le personnage va mieux. Vers quatre heures du matin un ivrogne fait irruption dans le bar de la dernière chance et déclare : « j’offre une tournée générale, sauf à celui-là » (Moi). Vous remarquerez que la scène n’est pas dans le livre. En fait, cette aventure est vraiment arrivée à Roman Polanski. J’ai joué son vrai rôle de persécuté.

 

– Comment est née votre collaboration avec Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro ?

 

J’ai joué dans beaucoup de leurs films. Tous ? Certains m’ont vu dans « Alien 4: la résurrection ». Peut être que je ne me suis pas reconnu dans cette bête immonde.

Au cours d’une conversation avec Jean-Pierre Jeunet, j’avais parlé d’un code que j’avais observé dans les films américains. Dès qu’un personnage sauve la veuve et l’orphelin mais donne un coup de pied à son chat, brusquement le public le déteste. S’il achève la veuve et l’orphelin mais caresse le museau de son cheval, les gens l’aiment. J’ai voulu faire le malin en lui révélant que le public aime ou déteste le héros du film selon son comportement envers les animaux, et Jean-Pierre m’a écrit le rôle le plus odieux de « la cité des enfants perdus ». Il me fait tourmenter un chien. Je devais manger du saucisson sans lui en donner un morceau et surtout ostensiblement manger aussi la pelure alors que c’est sa part réservée. Puis, je m’endors. Pendant mon sommeil, le chien s’approche pour manger le saucisson laissé dans le panier à côté de moi. Quand le chien s’en approche, son collier qui était reliée par une longue corde au panier fait monter le délicieux saucisson hors d’atteinte. Il y avait un ingénieux système de poulies au plafond qui permettait cette farce. Voici la cruauté parfaite. Il a fallu une journée entière pour tourner cette torture sadique. Fou de rage par cette mise en scène, le chien a fini par mordre l’acteur Principal du film : Ron Perlman.

Après ce film je me demande si je ne suis pas devenu évident comme « méchant ».

Dans un film allemand « Dent pour dent », j’ai joué un tueur irrémédiable, mais j’avais obtenu d’avoir toujours dans les bras un adorable petit fennec. Au final, le public m’a aimé. Je me défends comme je peux. Mes enfants voient les films.

 

– Vous avez joué « Fin de partie » de Samuel Beckett pendant presque deux ans. Beckett est-il celui qui permet une liberté extrême sur scène ou au contraire la disparition des codes classiques impose-t-elle de rester proche du texte ?

 

Le secret de la pièce « Fin de partie », tient dans deux phrases. En les prononçant tous les soirs je me suis surpris à comprendre l’œuvre de Becket : « il faut que je sois là vraiment, si je veux qu’on me laisse partir un jour ». Et l’autre phrase : « Il faut que je souffre vraiment si je veux qu’on cesse de me punir un jour. »

Eh oui, si vous n’avez pas mal quand on vous punit, la punition continuera. Il faut être là avec ce qui est là. C’est une exhortation à être dans la vie. J’ai adoré jouer cette pièce et transmettre ce texte. Le bien fondé de ces phrases est lumineux pour moi.

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– Vous avez joué le Thénardier de la version des Misérables de Claude Lelouch. Y’a-t-il du plaisir à interpréter un personnage classique et d’y apporter une   nouveauté ?

 

Thénardier est le salopard en liberté face à Jean Valjean le héros au grand cœur, poursuivi par le policier radical. Victor Hugo compose ces deux personnages antithétiques. Belmondo était le gentil injustement poursuivi. Moi je devais être le tortionnaire de Fantine et de sa fille Cosette. Est-ce que cela correspond à l’image qui émanait de moi ? J’étais un acteur marginal. J’étais peu payé, je n’étais pas l’ami du pouvoir en place. Je refusais d’apparaître àa3f89ff3ca7c630c7a44a95c0cce76d0 la télévision dont je contestais l’intégrité. Je refusais toute implication dans une campagne publicitaire quelconque. J’évitais les textes vulgaires. Je me défendais toujours de salir la cause des femmes. Et vous le croyez ça ? : justement, les contre-emplois me sont tombés dessus. Pour me consoler, je me suis dit qu’un mauvais bougre avait toujours droit à un avocat.

J’ai accepté de jouer cet ignoble personnage puisque Bourvil l’avait fait. Je me disais que mon allure ne permettrait pas au spectateur de décider si j’étais un gentil ou un méchant et que c’était cela qui maintenait le suspens. Je me targuais d’être un acteur shakespearien. Dans le regard de ma femme, j’avais la certitude d’être un gentil. D’un autre côté, pour être efficace, un vrai escroc doit inspirer confiance. Par conséquent, me disais-je, les cinéastes m’engagent pour cela. Puis-je donc dire que j’ai souvent été abusé ? J’ai fait les sales boulots que personne ne voulait. Mon héros secret était Buster Keaton. Un type trimbalé.

 

– « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain », « Marius », « Bienvenue à MarlyGomont »,… Y’a-t-il un vrai plaisir de jouer dans des films optimistes ?

 

« Bienvenue à Marly Gomont » est l’histoire d’un médecin Zaïrois qui vient de Kinshasa s’installer avec toute sa famille dans un village français raciste. Je joue le seul personnage bienvenue-a-marly-gomont-Rufus-Marc-Zingaangélique du film. J’accueille cet homme avec amitié. Le film raconte comment le village bascule dans la confiance pour son nouveau médecin et abandonne sa défiance.

Dans « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain », je joue un médecin militaire. Médecin, il doit sauver des gens, militaire, il doit les tuer. Il a le cul entre deux chaises. Chaque mois, il fait passer une visite médicale à sa propre fille Amélie. C’est le seul moment du mois où il pose sa main sur elle. La petite aime son père et son cœur bat fort. Le rythme cardiaque élevé de sa fille suggère au médecin que sa fille est atteinte de tachycardie. Il la sur-protège. Il a confondu l’amour avec une maladie. Amélie restera éloignée de tout (amis, école). Lorsque elle tombe amoureuse du personnage de Matthieu Kassovitz, le personnage d’Audrey Tautou a besoin de toute une longue stratégie pour lui déclarer sa flamme. Sans ce père défaillant il n’y a pas d’intrigue au film. Très souvent au cinéma, je suis le grain de sable qui dérange, mais qui permet de dérouler un scénario.

Dans le « Marius » de Daniel Auteuil, je suis le Piquoiseau dérangeant voulu par Marcel Pagnol. Mon personnage suggère à Marius de partir en mer au lieu de se laisser envahir par son amour pour Fanny. Par amour, Fanny accepte le choix de Marius car elle veut son bonheur. Elle se sacrifie par amour. Grâce à Piquoiseau Pagnol peut écrire sa trilogie : quatre heures de spectacle au lieu d’une histoire d’amour entre une marchande de coquillages et un garçon de café qui n’aurait même pas valu un court métrage de trois minutes. Encore un grain de sable qui détraque l’ordre habituel du déroulement. Je suis un outil très intéressant pour les scénaristes.

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– Vous avez été candidat aux élections européennes de 2009. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous engager ?

Autour de Nicolas Hulot, il y a eu un élan pour « protéger la vie ». Michèle Rivasi, professeur de biologie, élue de Valence, m’avait convié à quelques meetings. Elle voulait être députée européenne et m’avait persuadé de la soutenir. Sans être membre du parti écologiste, je me suis vu inscrit comme suppléant n° 26 dans sa liste. Etant le dernier, je me croyais en sécurité. Je n’avais aucune chance de devenir député. J’ai fait un sketch qui a connu du succès dans un meeting à Lyon. C’est tout, mais c’était avant l’entrée en scène de Daniel Cohn-Bendit. Au final, j’ai failli devenir député européen car beaucoup d’électeurs avaient sélectionné mon nom. Je ne connaissais pas le mode de fonctionnement des listes électorales. J’ai seulement compris quand la 26 ème de la liste de Paris, Cécile Duflot est devenue ministre. Si j’avais eu le malheur d’être élu, j’aurais perdu ce métier de clown que j’aime plus que tout. Je suis resté ce pauvre naïf qui se fait trimballer dans le cirque. Toutefois j’ai gardé encore ce sourire au pied de l’échelle. Le clown d’Henry Miller s’était pris au sérieux.

 

– Qu’est-ce qu’une expérience Mocky ?

 

Mocky est un réalisateur qui aime les acteurs et qui fait d’eux sa priorité. Avec Mocky, on joue et c’est la caméra qui s’adapte. C’est un grand scénariste aussi. Il a été un des trois grands docteurs des scenarii du cinéma français. (Le grand docteur était Jean Anouilh et ses adjoints Claude Sautet et Jean Pierre Mocky)

 

– Avez-vous un nain de jardin ?

 

Alors que je présentais « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » à Lausanne, on m’a offert un nain de jardin qui était la copie de celui que j’avais dans le film. Je l’ai installé dans mon jardin et un jour, il a disparu. J’ai reçu des photos de lui en voyage. Qui avait joué ce jeu ? Puis, le nain est revenu. Trois ans plus tard, j’ai appris que c’était une femme de mon entourage que j’avais estimée insoupçonnable qui avait fait la farce. Un gogo encore et toujours.

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– Quels sont vos prochains grands défis?

 

Quel est le sens de la vie selon vous. C’est de vivre « quand je mange je mange, quand je rigole, je rigole, quand je dors je dors, quand je meurs je meurs. » Hop là ! Pas de passé pas de futur.

 

Site de Rufus: http://www.rufus.fr/

– Mercredi 10 mai sort le film « vive la crise » où Dominique Pinon revendique le MSBV
Minimum Syndical de Bonheur de Vivre. Rufus y échange son premier baiser de cinéma (chaste)
– Pour en savoir plus sur le livre récent est toujours d’actualité ALFERA ET RUFUS AUSSI
– Le film que Rufus a tourné il y a 43 ans vient de sortir à Paris au « Luminor »
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