Premier homme fossile reconnu, contemporain mais distinct de l’homme actuel, l’homme de Néandertal reste toujours un lointain cousin qui fascine toujours. Qui était-il? Pourquoi a-t-il disparu? Les dernières découvertes montrent qu’il pouvait également être cannibale. Nous en parlons avec l’archéologue Christian Casseyas qui étudie les grottes de Goyet (Belgique) où les hommes de Néandertal vivaient il y a plusieurs milliers d’années. 

 

 

– Qu’est-ce que l’homme de Néandertal nous apprend sur nos propres origines? Nous a-t-il transmis des réflexes, des expressions, des pratiques?

 

Le fait que l’homme de Néandertal et l’Homo sapiens ont vécu à la même époque mais au début géographiquement séparés, et puis se sont rencontrés, nous  donne l’occasion de comparer les deux espèces au niveau de leurs similitudes et leurs différences.

Au début, en Afrique, on voit que les sapiens y taillent la pierre de la même façon que les Néandertaliens en Europe. Pourtant, les deux humanités ne pratiquaient pas l’art.

Au Proche-Orient, où ils cohabitaient à partir de 100.000 ans, on voit apparaître les premières sépultures. Le partage de cette culture ainsi que l’absence de  l’art, me paraissent290px-Homo_sapiens_neanderthalensis un bon argument pour dire qu’intellectuellement, il n’y a pas de différences à chercher  entre les deux espèces  au niveau de la culture matérielle et spirituelle. Il y a 40.000 ans, on voit émerger une nouvelle culture, la culture aurignacienne, qu’on veut associer à l’homme moderne en Europe, et qui repousse les Néandertaliens avant qu’ils disparaissent. Mais on voit que nos Néandertaliens changent aussi  de culture avec l’émergence de l’art (sous forme de pendentifs, et qu’on appelle le Châtelperronien).

Actuellement, le débat entre acculturation ou évolution interne persiste, et on n’arrive pas à trancher. Toutefois, aucune datation montre  la contemporanéité de sapiens et Néandertal en Europe : tous les Néandertaliens vivent avant l’homme moderne.

Et quand plus tard l’art figuratif apparaît, il n’y a déjà plus de Néandertal. On pourrait se demander si Néandertal aurait été capable de produire de l’art figuratif si on lui avait «laisser plus de temps ». Ces éléments font que j’ai personnellement du mal à accepter l’idée d’acculturation, mais je pense plutôt à des évolutions en parallèle.

Pour répondre à la question : l’homme de Néandertal nous a rien appris et les sapiens ne lui ont probablement rien appris non plus. Bien sûr, les études morphologiques des derniers Néandertaliens montrent des traits de sapiens, comme la forme du l’arrière du crâne ou la présence d’un menton, mais là des évolutions parallèles ne sont pas non plus à exclure. Les généticiens montrent aussi que nous possédons  4 % de gènes néandertaliens, mais qui datent d’avant l’arrivée des sapiens en Europe, donc c’est apparu lorsque les deux espèces cohabitaient au Proche-Orient (si ce n’est par la persistance des gènes provenant de l’ancêtre commun de sapiens et de Néandertal). Il reste donc une possibilité d’ une transmission génétiques, et leur analyse nous apprend que certains gènes hérités par les néandertaliens, avantageux à l’époque, sont aujourd’hui à l’origine des maladies modernes.

 

– Pour quelles raisons l’homme de Néandertal ne pouvait vivre avec l’homme de cro-magnon? 

 

Il ne m’est pas étonnant de voir que l’ homme de Néandertal aurait disparu par la faute de l’homme de Cro-Magnon. Rien qu’en voyant à l’heure actuelle la difficulté pour l’Homo sapiens de vivre avec d’autres races et même d’autres cultures qui sont pourtant des expressions de sa propre espèce.

Evidemment, aujourd’hui, tout le monde n’a pas la même tolérance ou l’intolérance vis-à-vis des autres cultures, et peut-être que c’était ainsi à l’époque des Néandertaliens, mais tout ça n’empêche pas les choses de changer. Comme partout dans la nature, une deuxième espèce immigrant vers la même niche écologique des autochtones mène forcément vers la compétition pour l’acquisition des ressources. La démographie plus importante des sapiens et sa façon différente d’exploîter son milieu ont probablement été décisives dans la disparition de Néandertal. Cela a peut-être même accéléré une non-immunité contre certaines maladies.

 

– Quelles sont les différences majeures entre l’homme de Néandertal et l’homme de Cro-Magnon? 

 

Physiquement, il y a l’aspect trapu et large à cause de la cage thoracique large, les membres très musclés et le raccourcissement de l’avant-bras et du tibia. La tête est très grande avec neandertal-5un arrière crâne étiré et un cerveau volumineux. Le visage allongé montre un prognathisme facial et un grand nez. Peut-être que cette physionomie  est une adaptation pour limiter la perte de la chaleur corporelle et ainsi réchauffer l’air inspiré.

En détail s’ajoute une longue liste de traits archaïques comme le front fuyant bas, les arcades sourcilières évidentes,… et des traits dérivés, comme l’ espace rétromolaire, le chignon occipital,  le petit apophyse mastoïdale (où s’ attache un muscle du cou- celui qui peut provoquer des torticolis), la position d’ attache musculaire sur l’omoplate lui permettant de propulser le bras avec force vers l’avant.

La comparaison entre l’éruption des dents et les lignes de Retzius, qui sont les cernes de croissance journalières des dents, montrent que la croissance des jeunes individus se passait plus vite que notre espèce.

Des études de microtraces  sur les molaires ont montré qu’aussi bien sapiens que Néandertal adaptaient leur alimentation aux changements environnementaux  dues aux variations climatiques ou de latitude, mais l’homme moderne a eu une nourriture plus diversifiée et moins opportuniste.

La présence du « coude de lanceur», présent sur un humérus chez les sapiens et pas chez Néandertal, implique l’utilisation des armes de jet chez le premier, tandis que le dernier, comme les insertions des muscles du bras sur l’omoplate le montrent,  utilisait des épieux dans la main, ce qui le forçait à pratiquer une chasse collective de corps-à-corps face à des grands animaux contrairement au sapiens qui pouvait chasser de petites proies plus rapides mais moins dangereuses.

 

– Que sait-on de la femme de Néandertal ? 

 

Pour les paléoanthropologues, au niveau du crâne et la taille corporelle, il semble qu’il y a autant de dimorphisme sexuel au sein des néandertaliens que les sapiens, et que les différences sont à chercher au niveau du pelvis, un os qui se conserve mal. Par contre, les squelettes des femmes sont aussi robustes que ceux des hommes. Il est difficile d’affirmer que cette ressemblance physique était la même au niveau social est difficile. Cependant, l’idée que la femme de Néandertal étant physiquement plus capable de faire la même chose que l’homme, pourrait faire penser qu’il y avait une émancipation néandertalienne.

Les études génétiques ont aussi montré que l’échange du matériel génétique ne se faisait que par la femme de Néandertal : les chromosomes Y des hommes de Néandertal n’ont pas été reconnus dans notre génome.

Il faut certainement penser que les chromosomes n’ont pas permis de donner une descendance fertile, voire provoqué des avortements.

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– La découverte, il y a peu, du cannibalisme de l’homme de Néandertal peut-elle, selon vous, constituer un nouvel argument sur son caractère sauvage pourtant réfuté depuis plusieurs années? 

 

Selon moi, le cannibalisme me paraît moins sauvage que la violence et la guerre.

Le cannibalisme, comme on peut le constater chez certains animaux,  peut se pratiquer par économie par le fait d’une attitude émotionnellement neutre par rapport à la mort des congénères. Il peut être la conséquence d’une famine et donc d’une nécessité pour les pratiquants. On ne sait pas dire si l’abondance des os sur un site archéologique reflète une succession des chasses réussies ou si elle peut aussi cacher des périodes de disette, pendant lesquels l’homme a dû avoir recours au cannibalisme.

Sinon, le cannibalisme peut être rituel et être une façon de s’approprier l’âme et les qualités du mort. Dans ce cas-là, il devrait exister différentes manières de traiter les morts, avec le cannibalisme, l’inhumation en passant par le traitement spécial du corps (comme isoler le crâne par exemple).

 

– Vous connaissez à présent parfaitement les grottes de Goyet, y’a-t-il encore une certaine émotion lorsqu’on entre dans un lieu où il y a des milliers d’années, il s’agissait d’un lieu de vie? 

 

A la fin de la visite guidée, on arrive à l’endroit où l’homme a vécu et il est vracopie_de_edouard_dupont_[640x480]i que parfois j’ai l’impression de voir à contre jour ces gens inconnus d’autrefois et comme il m’arrive
aussi (même plus souvent) de voir Edouard Dupont, le découvreur de la grotte en 1868.

Je pense que c’est dû à la sensibilité de quelqu’un qui veut découvrir le passé, sans que ce soit possible de le revivre. En essayant de saisir l’insaisissable, on rêve déjà en la frôlant.

 

 

– Quelque soit les différentes théories, peut-on tout de même affirmer que l’homme de cro-magnon a participé à la disparition de l’homme de Néandertal? 

 

Pour moi oui. Notre espèce est malheureusement réputée pour faire disparaître les autres. Bien sûr, cela ne s’est pas fait à la même vitesse comme nous avons connu pour des autochtones pendant des périodes sub-actuelles : Nous étions plus nombreux et mieux équipé pour le faire.

Ce fut plutôt une substitution plus qu’un génocide : n’oublions pas que les deux espèces ont cohabité pendant des millénaires, même si d’après les nouvelles datations cette cohabitation en Europe s’est en fait réduite de 10.000 ans à 5 500 ans.

Pendant ce temps-là, ils étaient en compétition pour vivre dans la même niche écologique, laissant des traces de violence rares, mais tout de même existantes. Certains auteurs pensent que les sapiens faisaient de meilleures chasses grâce à la domestication du chien en tant que potentiel compagnon de chasse (avec d’ailleurs le plus ancien témoin à Goyet!)

Reste bien sûr l’idée de l’assimilation par le métissage occasionnel, prouvé par la génétique, mais qui n’est pas forcément une preuve de rencontre pacifique mais qui pouvait être aussi le fruit de viol.

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