Il y a des murs et des blocs de pierre qui, malgré le temps, continuent à tenir et restent les vestiges d’un passé sombre. Alors que nous commémorons les 80 ans de la Guerre d’Espagne, le Museu Memorial de l’Exili à La Jonquera en Catalogne a répondu à nos questions concernant les fortifications construites par le Général Franco le long des Pyrénées entre 1944 et 1960 afin d’éviter toute agression venant du Nord. Les incendies de forêts en 2012 ont exposé ces vestiges d’un autre temps de l’Espagne.

 

– 4 500 ouvrages défensifs sont construits le long des Pyrénées et ne seront jamais utilisés et pourtant entretenus jusqu’en 1960 et c’est un incendie en 2012 qui a révélé au public ces bunkers cachés. C’est aussi le moment pour l’Espagne de parler de l’époque de Franco?

 

Il n’est pas exact de dire que ces bunkers n’étaient pas connus mais ce qui est certain c’est qu’avec les incendies de l’été 2012 dans la région de La Jonquera Capmany, de Darnius et de Biure, ils sont beaucoup plus visibles.

L’histoire de ces bunkers est un épisode peu connu des premières années de la dictature franquiste mais ce n’est pas considéré comme un sujet tabou. En Espagne, à l’époque de Franco, le vrai tabou ce sont les morts de la répression franquiste pendant et après la Guerre Civile (1936-1939).

Ces restes architecturaux, qui font partie du patrimoine historique et militaire, sont des éléments majeurs pour raconter l’époque de leur construction. Ils sont liés directement à la Seconde Guerre mondiale et à la défense militaire espagnole.

Cette architecture militaire pharaonique, inutile et excessive est aussi le symbole de la longue période de l’après-guerre en l’Espagne. Il s’agissait d’un temps particulièrement dangereux sous le régime dictatorial et autoritaire franquiste jusqu’à son aliénation avec les États-Unis dans les années 50.

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– Les bunkers sont-ils d’inspiration allemande?

Ce type de défense militaire est lié aux autres fortifications en Europe à la même époque (Ligne Maginot, Ligne Siegfried, Mur Atlantique, Ligne Staline, Ligne Gothique, Ligne Mannerheim, Ligne GHQ -General Headquarters Line- ou Ligne Metaxas). Cependant, son efficacité défensive est questionnable, difficile à entretenir et peu opérative dans un pays détruit par trois ans de guerre avec des ressources économiques faibles, et avec de lourds déficits alimentaires, humanitaires, sociaux et culturels.

Depuis la fin de la guerre civile, il y avait plusieurs projets de défense, mais le projet de fortification le plus important était connu sous le nom « Organisation C-15 », officiellement “Organización Defensiva Pirineos”. Réalisé à partir de l’été 1944, avec une ligne de surveillance et une ligne de résistance adéquate, il permettait la défense des Pyrénées avec 10 000 éléments de fortification. Presque 5.000 ont pu être construits, divisés et regroupés en 169 centres de résistance avec un espace pour un bataillon.

 

– Franco craignait-il une invasion allemande de l’Espagne? des Soviétiques pendant la Guerre froide? 

Selon quelques historiens il est possible de confirmer l’hypothèse d’une possible invasion de l’Espagne par les Allemands. Les sources viendraient de rapports d’espionnage (Alfaro –De FRANCOla Fuente, 2009), mais c’était surtout une réaction défensive symbolique contre les troupes alliées et les membres antifranquistes en exil (qui vont, par exemple, essayer une tentative d’invasion par le Val d’Aran en octobre 1944).

Comme précédemment mentionné, le projet le plus ambitieux est mis en œuvre durant l’été 1944, dû aux succès des Alliés à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Aucun lien avec une invasion soviétique, même si bien sûr, il y avait une totale répulsion pour la menace communiste.

Il s’agissait d’une mesure de protection face à d’éventuelles invasions venant du nord.

 

– Que nous apprennent ces fortifications sur la vie des soldats et de la population locale? Que pensaient-ils de ces bunkers?

Il y a eu, dès 1939, un projet de militarisation de la frontière avec la France, et aussi de construction des défenses militaires, surtout pour les principaux accès des Pyrénées (Empordà, Cerdanya, Ripllès –Pyrénées Orientales- et Pays Basque, Navarre et l’Aragon, aux Pyrénées Occidentales et Centrales) mais aussi, dans une moindre mesure, dans tous les Pyrénées, et dans des zones assez inaccessibles.

De 1939 et jusque 1960 la frontière va être militarisée  et la population va vivre ce contrôle comme normale. Un de plus.

Dans le secteur de l’Empordà, une des zones des Pyrénées les plus denses en terme de construction de bunkers, il y a presque 2.000 œuvres construites,

Des relations se sont passées entre soldats et des femmes des villages de la frontière où l’armée avait pour mission de construire les bunkers et de surveiller la zone.

Les bunkers ont été construits dans des secteurs particuliers en lien avec des stratégies militaires défensives. Peu à peu, les propriétaires terriens n’ont fait que constater la mise en place de ces constructions militaires inutiles. Dans la forêt, ces bunkers ont été engloutis  par la végétation et oubliés. Ils sont en général très bien conservés.

À partir des années 60, ces bunkers ont progressivement été délaissés par l’armée franquiste et ont été réutilisés comme abris de bergers, de bétail, de chasse, ainsi que par mes randonneurs (Coll de Banyuls, CR92 (Centre de Résistance numéro 92, 1994). Certaines personnes les ont occupés pour en faire des garages, des plantations de champignons, de chenil. Parfois, c’était également un abri pour les SDF ou les chauves souris.

Il y a eu même des réutilisations pour des projets culturels et touristiques (Martinet i Montellà et La Jonquera).

 

– Quelle a été la motivation du travail du photographe Guillem Vidal?

 

Sa motivation c’était de constater l’impact artistique avec la redécouverte de ces bunkers après l’incendie de la forêt en 2012. Après celle du MUME 2012 à l’espace « Art et Mémoire », Guillem Vidal a le projet de faire une exposition plus grande sur le sujet.

http://www.elpunt.cat

Pour consulter le travail de M. Vidal: http://www.guillemvidal.com/ -section « Paisatge desprès de la batalla »

– Quel avenir peut-on imaginer concernant ces fortifications?

 

En dépit de son importance historique, patrimoniale et quantitative, ces fortifications franquistes construites dans les Pyrénées catalanes entre 1945 et 1955 ne sont pas encore assez connues. Il faudra une vraie évaluation et une politique de valorisation culturelle et touristique.

Il faudrait les considérer comme des monuments historiques au niveau local et régional.

Il y a également des publications qui nous permettent de mieux connaître ces fortifications, son histoire et son état actuel pour plus d’informations sur le Museu Memorial de l’Exili:

www.museuexili.cat

Twitter: @museuexili

Photo de couverture & 3ème photo: Guillem Vidal

Pour en savoir plus:

Deux projets culturels en relation avec ces bunkers dans les Pyrénées Orientales sont déjà réalisés à Martinet i Montellà (Cerdagne) : 

http://www.bunquersmartinet.net/ , et  La Jonquera, avec les visites guidées de la la Fondation Fortaleses Catalanes 

https://lesfortalesescatalanes.info/fr/activites-touristiques/els-bunquers-de-la-jonquera/

Publications:

-Rosa Serra, Lluís Esteva i Jordi Piñero. Els búnquers de la línia Pirineus: Memòria d’un temps de guerres, Ajuntament de Martinet i Montellà / Memorial Democràtic, 2007.

-Joan Manuel Alfaro Gil i Pablo de la Fuente. Dues hores… als Búnquers de la Jonquera. Les Fortaleses Catalanes, Figueres, 2009.

-Clara, Josep. Els fortins de Franco. Arqueologia militar als Pirineus catalans. Rafael Dalmau, Editor, Barcelona, 2010.

-Adela Geli. Recórrer la Garriguella fortificada. Desxifrant els búnquers: arquitectura i paisatge. IEE (Institut d’Estudis Empordanesos), Figueres, 2016.

 

Il y a aussi deux documentaires (en catalan) sur ce sujet, qu’il est possible consulter en ligne:

Línia Pirineu : la defensa ignorada (1996). Programa 30’, TV3 : http://www.tv3.cat/30minuts/reportatges/1639/Linia-Pirineu-la-defensa-ignorada

Els Búnquers del Pirineu (2010), de Joan Capdevila i Marc Capdevila, 60’ : https://www.youtube.com/watch?v=IguRQAV-168

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