Des coyotes vivant autour de New York et de Chicago jusqu’aux renards traînant dans les rues de Londres, c’est un fait : Les animaux sauvages viennent s’installer en villes. Est-ce un danger ou un joli retour du sauvage ?
Pr. Darryl Jones de l’Université de Griffith à Brisbane (Australie) est un chercheur en écologie urbaine et dans la gestion de la vie sauvage. Il s’intéresse plus particulièrement aux phénomènes d’urbanisation et aux espèces animales qui doivent s’adapter à ce milieu.
D’après votre expérience, les perceptions concernant l’écologie dans un environnement urbain sont –elles différentes lorsqu’on vit en périphérie ou à la campagne ?
Si nous considérons que l’environnement « urbain » c’est principalement les zones des grands immeubles résidentiels plutôt que les résidences avec jardins privés, il y a alors deux façons de voir les choses.
Pour certaines personnes, leurs vies sont éloignées de tout ce qui peut paraître naturel et ce qui est « sauvage » est synonyme de danger, de risque, de maladie et de chaos. Pour de telles personnes, la ville est un lieu où les hommes doivent tout contrôler afin d’éviter toute intrusion de la vie sauvage. Par exemple, certains considèrent que la soudaine apparition d’un simple écureuil peut être considérée comme un manque de contrôle, une agression.
Pour d’autres, au contraire, le même écureuil est la preuve que la nature et le « sauvage » perdurent au cœur de la domination humaine malgré notre supposé pouvoir et notre contrôle. La Nature n’a pas été totalement expulsée de la ville. Pour ce groupe, la vie sauvage est très importante car elle apporte la vie et une bonne part de l’écosystème au sein d’un monde ultra-humain.
Selon moi, ces deux modes de pensées se développent de plus en plus avec d’un côté ceux qui veulent éliminer toutes « menaces » alors que d’autres se réjouissent du retour d’espèces sauvages parmi eux. Je sais quel camp je soutiens.
Plusieurs espèces urbaines se sont adaptées à leur environnement plus contraignant que celles qui vient à la campagne. Certains sont à présent actifs la nuit lorsqu’il n’y a plus personne et beaucoup ont appris à se déplacer sur les routes sans se faire faucher par une voiture. Pourquoi certains animaux comme les renards en Europe ou les coyotes aux Etats-Unis viennent en ville ?
.
.
L’écologie urbaine a évolué passant d’écologie dans la ville à écologie de la ville, le paysage urbain devenant ainsi un écosystème étrange, contraignant et dominé par une espèce reposant sur le même principe qu’un récif corallien ou une forêt tropicale.
De ce point de vue, ce phénomène récent qui concerne de nombreuses espèces s’avèrent extrêmement prospère au milieu d’une population humaine dense. Les animaux se sont adaptés aux caractéristiques de la ville : espaces restreints, bruit, pollution, voitures, humains et ainsi ont pu prendre avantage sur un tel milieu. Les renards et les coyotes, par exemple, ont vaincu leur crainte de l’homme et ont à présent accès à de grandes ressources de nourriture et de refuges. C’est la même chose avec les castors, les biches et en Australie, avec les opossums et les oiseaux loris à présent les deux espèces les plus importants en milieu urbain.
Y’a-t-il de grandes différences entre les « animaux des villes » et ceux de la campagne (oiseaux, rats,…) ?
Il y a en fait beaucoup de différences. Une habituation améliorée avec la présence humaine, un stress moins important (les animaux des villes ont appris à ignorer le bruit et d’autres nuisances), une plus grande facilité à trouver de la nourriture (avec la présence humaine), une tendance à créer de plus grands groupes (dans certains cas, c’est une première dans l’histoire de l’Evolution), et une capacité certaine à innover (d’autres façons pour trouver de la nourriture, faire son nid, à échapper aux prédateurs,…). Tout cela a permis que les espèces qui vivent en ville ont développé leurs cerveaux.
Certains animaux vivent mieux grâce à l’urbanisation ?
.
.
Absolument ! Il y a des exemples spectaculaires comme la présence massive d’étourneaux à Rome et le fait que la plus grande densité dans le monde de léopards et de faucons pèlerins se trouve dans de grandes villes (Chennai en Inde et à New-York respectivement). En Australie, les opossums et les loris sont nombreux dans les parcs et les faubourgs. Et il y a bien d’autres exemples.
Des exemples de bonnes coexistences entre les hommes et les animaux sauvages dans les villes australiennes ?
En Australie (comme dans d’autres régions du « Nouveau Monde »), l’urbanisation repose souvent sur des habitats naturels ce qui a provoqué des résultats catastrophiques pour la vie sauvage présente. Cependant, après que ces changements se soient stabilisés, certaines espèces ont pris refuge dans les villes et ont eu une excellente adaptation.
Dans ma ville de Brisbane, deux grandes espèces d’oiseaux se sont multipliées remarquablement et parfois coexistent même avec les habitants. Ce sont les talégalles de Latham et les Œdicnèmes bridés. Le talégalle fait son nid avec des tas de feuilles et malgré certains conflits avec quelques jardiniers, en général les gens vivent bien à ce remarquable oiseau.
L’Œdicnème bridé a probablement le succès le plus étrange. Alors qu’il décline partout, il se porte bien et est particulièrement apprécié par les citadins.
Quel est le constat le plus choquant concernant les animaux de ville que vous avez pu constater ces derniers temps ?
Probablement la découverte des léopards vivant à Chennai. Ils attaquent parfois les enfants mais l’exemple de mauvaise interaction hommes-vie sauvage que je connais est celle du cassican flûteur (proche de la pie). Cette espèce est différente de celle rencontrée en Europe et elle est connue pour être très agressive face aux humains qui s’approchent trop près de leur nid durant la saison des amours. Les cassicans flûteurs sont très présents dans les villes d’Australie et bien qu’ils ne représentent que 10% des oiseaux qui attaquent les humains, les blessures sont fréquentes. Rien qu’à Brisbane, 1 000 cassicans sont reportés par les autorités et beaucoup de personnes sont attaquées avec des blessures parfois graves à l’oeil chaque année.
Pensez-vous que les scientifiques devraient travailler avec les architectes et urbanistes afin de mieux répondre aux partages de la ville avec la vie sauvage ?
Absolument ! Nous savons à présent qu’il y a une connexion- indirecte avec les espaces verts et les parcs et directe avec les nichoirs et le jardinage. Tout cela est vital pour le bienêtre psychologique et physique. Pour cette raison, architectes et urbanistes doivent échanger avec les spécialistes de l’écologie urbaine afin d’améliorer nos villes pour nature et humains puissent mieux coexister.
Pour en savoir plus sur le Professeur Darryl Jones: www.griffith.edu.au/environment-planning-architecture/griffith-school-environment/staff/darryl–jones
Wild animals in the city: Urban ecology
From coyotes camping out in New York and Chicago to foxes roaming the streets of London, it’s a fact: wild animals infiltrating our cities. Is it a danger? A nice return to wildlife?
Professor Darryl Jones (Griffith University- Brisbane Australia) is a behavioural ecologist working in the fields of urban ecology and wildlife management. He is especially interested in urbanization and the way certain species are adapting to this process.
– In your experience, how are people’s perceptions of ecology in an urban environment different from those who live in suburban or rural environments?
If we assume the ‘urban’ environment to be mainly the areas of tall residential buildings and apartments rather than the suburbs with private gardens, there seems to be two rather distinct classes of perceptions. For some people, their lives are now so divergent from almost all versions of nature that many forms of the ‘wild’ is synonemous with danger, risk, disease and chaos. For such people, the city is a place where human control is necessarily complete such that unexpected intrusions by unpredictable wildlife is viewed with alarm. For example, the sudden appearance of a squirrel could represent potential attack, alarm and a lack of control.
For others, in contrast, the same squirrel could represent evidence that nature and ‘wildness’ is still present in the midst of human domination, that despite our pretence of power and control, natural forces have not been extinguished in the city. For this group, wildlife can be of profound importance, bringing life and a welcome representation of non-human life into an otherwise ultra-human world.
In my opinion, both factions appear to be increasing in potency with some calling for the removal of all ‘threats’ while others rejoice in the increasing evidence of wild species thriving right among us. I know which group I like to encourage.
– Several urban species have adapted to living in much tighter spaces than they do in the country. Some have become active at night, when people aren’t around, and perhaps most crucially, many have figured out how to navigate busy roads without getting hit. Why some wild animals such as foxes in Europe or coyotes in the US are moving into city?
The field of urban ecology has moved from simply ‘ecology in the city’ to ‘ecology of the city’, seeing the urban landscape as an ecosystem – strange, contrived and dominated by one species – yet also operating along the same principles as a coral reef or rain forest. From this perspective, the fairly recent phenomena of many otherwise wild species becoming extremely successful right in the midst of dense human populations is something to be expected. These species have adapted to the special features of the city – hard surfaces, noise, pollution, cars, people – and are able to take full advantage of the many opportunities
available. The reason that foxes and coyotes, forexample, are so successful is that by overcoming their innate fear of humans, they now have access to vast array of food resources and den sites. The same is true for many other species such as beavers, deer and, in Australia, possums and lorikeets, now the two most abundant urban species.
– Are there any big differences between ‘urban animals’ & country animals (birds, rats,…)? [For example, it seems black birds in the city have changed their frequency of singing, their distance of flight and their eating habits.]
There are numerous differences between urban and non-urban species. These include: enhanced habituation (the almost complete reduction in fear of the presence of people); lower stress levels (urban species have learned to ignore all the noise and disturbances); a wider suite of foraging techniques (to deal with all the usual human foods); a tendency to form large aggregations (in some cases, for the first time in their evolutionary history) and a distinct capacity for behavioural innovation (finding new ways to find food, nest, roost, escape predators etc). And all of this goes with the remarkable discovery that the species which do well in cities have significantly larger brains!
– Do some animals have it better thanks to human urbanization?
Definitely! There are some spectacular examples such as the massive numbers of starlings
in Rome, and the fact that the greatest densities of both leopards and peregrine falcons in the whole world are in large cities (Chennai and New York respectively). In Australia, the two species already mentioned – possums and rainbow lorikeets – occur in remarkable numbers in the suburban parks and suburbs. And there are many many examples like this.
– Any good examples of good co-existence between men & wild animals in Australian cities?
It is important to appreciate that in Australia (like many parts of the New World), urbanisation is often occurring directly into natural habitats, with catastrophic results for the wildlife living there. However, once these disturbances have settled down, some species do move into the new urban landscapes and can be very successful. In my city of Brisbane, two large and strange bird species have become remarkably abundant and, in large part, now coexist with the human residents. These species are the Australian Brush-turkey and the Bush Stone-curlew. The Brush-turkey is a mound-builder which lays its eggs in huge mounds of leaves which provide heat for incubation. The construction of these mounds causes plenty of conflict with gardeners but most people now live peacefully with these remarkable birds. The Stone-curlew is probably the world’s strangest urban success story. While it is declining almost everywhere, in urban areas it is thriving and greatly loved by the local people.
– What is the most shocking documentation of the feral animal-urban life juxtaposition you’ve seen in recent years?
Probably the discovery of leopards living in Chennai – who regularly take children – but the human-wildlife interaction I know the most about it that associated with the Australian Magpie. This species is not related to the European bird of the same name, but is famous for becoming extremely aggressive toward people coming too close to its nest during the breeding season. Magpies are very common in towns and cities throughout Australia and although only about 10% of these bird attack people, injuries are common. In Brisbane alone, about 1000 magpies are reported to authorities and many people are hurt with eyes being lost every year.
– Do you think scientists should work with city planners and architects to develop creative solutions to sharing urban areas with wildlife?
Absolutely! Now that we know that the connection with nature – indirectly through walking in green space and parks, and directly through garden bird feeding and wildlife gardening – is vital for psychological and physical wellbeing, it is essential that planners and architects combine with urban ecologists to enhance cities and places for both humans and nature to dwell together.
Professor Darryl Jones: www.griffith.edu.au/environment-planning-architecture/griffith-school-environment/staff/darryl–jones